En effet Séverin Tchounkeu a été nommé président de la commission de délivrance de la carte de presse le 03 Juillet 2015 .La structure que préside désormais le propriétaire de la Nouvelle Expression est composée des représentants du ministère de la communication, des propriétaires des journaux, des journalistes représentant la corporation.
Nous nous sommes intéressés à l’organisation du système de délivrance de la carte de presse dans les pays qui peuvent servir de modèle en la matière. Nous nous attarderons sur les systèmes français et belge.
La carte de presse en français et belge
Qui délivre la carte de presse en France ?
Elle est délivrée en France par une commission paritaire composée de 8 représentants des employeurs et 8 représentants des journalistes. Les journalistes siégeant à la commission sont élus par leurs pairs. La commission est présidée alternativement par un représentant du collège des employeurs et un représentant du collège des journalistes.
Contrairement au Cameroun , elle est totalement indépendante du pouvoir politique.
Qui délivre la carte de presse en Belgique ?
Le titre de journaliste professionnel est délivré par une ‘commission d’agréation’ (d’agrément) qui a la qualité d’autorité administrative. Cette commission est composée d’un nombre égal de représentants des journalistes et de représentants des directions des médias (éditeurs) nommés par le Roi pour quatre ans.
Certes la commission est paritaire dans sa composition, certes elle est sous le contrôle des journalistes et patrons de presse et totalement indépendante dans son fonctionnement Mais comme nous l’avons relevé plus haut ses membres sont nommés par le roi.
Sur quels critères obtient-on la carte de presse en France et en Belgique ?
Le cas de la France
-Il faut signer une affirmation sur l’honneur que le journalisme est bien la profession principale du demandeur. Cela fait aussi la différence avec quelques professeurs d’université ou grands spécialistes qui ont des rubriques régulières dans des journaux mais ne sont pas considérés comme des journalistes.
-Il faut prouver que vous travaillez régulièrement dans la presse et que cela soit validé par des bulletins de salaires ou un contrat de travail. Les pigistes ont un statut particulier.
-Il faut prouver qu’on tire la majorité de ses revenus du journalisme en remettant à la commission de la carte une déclaration qui reprend les éléments forts de la déclaration fiscale.
Il est important de noter qu’aucune école ne délivre la carte de presse et que par définition tous les journalistes commencent par travailler dans la profession sans carte pour acquérir ensuite le droit de le demander.
Le cas de la Belgique
Le titre de ‘journaliste professionnel’ est réservé à toute personne, âgée de 21 ans au moins, jouissant de ses droits civils et politiques, qui exerce le métier de journaliste dans un média d’information générale, autrement dit dans un quotidien, un magazine généraliste, une radio, une télévision, un service d’actualité sur internet ou une agence de presse. Afin de garantir leur indépendance, les journalistes professionnels ne peuvent pas combiner leur travail avec des activités accessoires de nature commerciale. La Belgique compte actuellement à peu près 4.500 journalistes professionnels. S’y s’ajoutent quelques centaines de journalistes professionnels stagiaires. Il faut en effet exercer le métier depuis deux ans pour pouvoir obtenir le titre de journaliste professionnel.
La carte de presse ?
Ni en France ni en Belgique la commission de délivrance de la carte de presse ne confère la qualité de journaliste, elle constate juste et confirme que quelqu’un l’est au regard des critères que la loi lui donne pour mission de vérifier. En d’autres termes on ne devient pas journaliste parce qu’une commission vous a délivré une carte. La totalité des journalistes commence dont à travailler sans carte de presse. Ils doivent se faire intégrer dans une rédaction ou cumuler les collaborations et les piges avant de bénéficier de ce document.
PPDA déclare n’avoir jamais possédé une carte de presse. Et Patrick Cohen a déchiré la sienne devant les caméras de télévision. ça relativise un peu l’importance de ce document
A quoi sert la carte de presse
La carte de presse est d’abord un document de travail. Elle identifie son détenteur afin de lui permettre d’exercer son métier dans les meilleures conditions et d’être reçu dans les ministères et dans la haute administration. Sur les terrains de guerre, elle donne la possibilité d’être accrédité auprès des armées régulières et, en principe, de se voir ainsi protéger. Elle garantit par ailleurs la liberté d’expression des journalistes qui enquêtent sur des affaires sensibles. Implicitement, elle incite à se soumettre à des règles déontologiques. Voilà pourquoi ce petit format n’est pas qu’un emblème.
La carte de presse permet d’entrer gratuitement au stade et dans les musées. Elle permet d’obtenir facilement un visa et paraît-il confère certaines faveurs en matière d’hôtellerie. Dans certains pays elle permet d’acheter les billets d’avion à moindre frais. En France elle permet à celui qui la possède de payer moins d’impôts. Elle donne accès à beaucoup de milieux interdits au commun des citoyens.
La carte de presse permet avant toute chose de montrer qu’on est journaliste. Ce n’est pas le seul document qui permet de le prouver. Il existe des cartes d’accréditation et des cartes professionnelles délirés par les médias eux-mêmes.
Elle n’est pas une condition à l’embauche. Puisque par définition on commence à travailler sans cartes de presse.
Le journalisme ,un métier ouvert :
Le journalisme est fondé partout dans le monde et cela depuis sa naissance sur une vieille tradition d’ouverture. Elle a ses défenseurs et ses adversaires. Ce sont ces derniers qui se font trop entendre ces dernières années notamment au Cameroun. C’est oublier qu’au moment Joseph Pulitzer créait à philadelphie, en 1903 , la première grande école de journalisme , l’inventeur du journalisme d’investigation fut violemment combattu car beaucoup de gens estimaient selon le vieil adage<<qu’on ne devient pas un journaliste, on l’est de naissance>> . A cet argument Pulitzer répondait :<<A mon avis il n’existe qu’une seule position qu’on puisse occuper du fait de sa naissance : Celle de l’idiot. Ne faut-il pas être un idiot pour se passer volontairement de formation, qu’il s’’agisse de celle qu’on acquiert à la maison, de l’instruction assurée par l’école ou l’université, de l’apprentissage auprès des maîtres artisans, des leçons chèrement acquises de l’expérience… ?>>.Un peu plus loin il écrivait :
<<Le rédacteur en chef <<né>> qui a rencontré un grand succès sans aucune préparation particulière, possède des capacités et des facultés hors du commun accompagnés d’un grand pouvoir de concentration et d’aptitude à l’effort prolongé…c’est à strictement parler un homme éduqué, mais il s’est simplement concentré de remplacer l’éducation assurée par les autres par l’auto éducation ,en compensant les manques de son apprentissage par le sacrifice sans limites de son énergie, de son temps et de son plaisir. Ne serait-il pas préférable même dans un cas comme celui là, de pouvoir compter sur un système d’instruction qui produirait les mêmes résultats tout en économisant beaucoup de temps et de travail>>Joseph Pulitzer, Sur le journalisme.
Par ces mots la polémique était définitivement lancée. Elle a accompagné toute l’histoire du journalisme moderne.
Le journalisme, un métier ouvert… Le journalisme a attiré dans ses rangs un beau monde venant souvent de tous les domaines du savoir, de la culture et de l’expérience humaine. Des académiciens ( Jean D’ormesson,Louis Pauwels),des penseurs éminents( jean Paul Sartre, Raymond Aron, Albert Camus), des espions en rupture de ban, des évêques qui voulaient se frotter aux réalités d’ici bas ( Mgr NDongmo),des révolutionnaires de grande stature(Ruben Um Nyobe),des sportifs de haut niveau (Joseph Antoine Bell)…Il a permis de découvrir chez certains autodidactes des talents cachés(Michel Denisot)…Cette tradition d’ouverture si chère au journalisme n’a pas seulement des vertus. Elle a ouvert la porte à beaucoup d’individus dont les capacités étaient très insuffisantes par rapport aux exigences de la profession. On comprend que certaines personnes aient envie de mettre un peu d’ordre dans tout cela. Ça conduit souvent à un militantisme en faveur de la fermeture. Nous touchons là un débat très délicat. Le journalisme doit-il rester ce métier ouvert qui reçoit en son sein un personnel très hétéroclite venant des champs les plus variés de l’émulation intellectuelle ? Doit-il se refermer pour mieux sélectionner ceux qui veulent intégrer ses rangs ? Cette double interrogation n’est pas sans rapport avec la polémique sur l’attribution de la carte de presse au Cameroun.
L’idée qu’on peut devenir journaliste à partir d’une formation sur le tas, ou même du seul fait qu’on a fait de longues études même sans rapport avec le journalisme, a souvent donné une image déformée des réalités d’un métier qui est difficile et exige des savoirs-faire
spécifiques. Entrez dans le site internet de n’importe quelle école de journalisme dans des pays comme la France ou la Belgique et regardez le contenu des matières au programme. Vous constaterez que la formation de journaliste est un enseignement solide et très diversifié reposant sur un large éventail de connaissances portant sur le droit des médias, l’économie des médias, l’étude des principaux pièges éthiques du journalisme, les rapports entre le journalisme et la communication, le photojournalisme, les techniques d’écriture, les techniques d’interview, la conduite d’une enquête, l’infographie en ligne , le data investigation, la technologie de veille informationnelle , le fonctionnement du journalisme d’agence, l’usage des tableurs pour journaliste, le journalisme numérique, la science politique, l’économie politique, la philosophie des relations internationales..La liste est très loin d’être exhaustive. L’étendue et le contenu de ce programme d’enseignement pourrait bien inciter à radicaliser la critique envers la tradition d’ouverture.
Ce serait oublier que l’école de journalisme a été très critiquée par les journalistes eux-mêmes. Relisons le livre de François Rufin, les petits soldats du journalisme.
Né en 1975 à Amiens François Rufin est un journaliste français. Il a collaboré avec le monde diplomatique et a dirigé le journal Fakir. Il est passé par le CFJ (centre de formation des journalistes). Cette institution se proclame la meilleure école de journalisme de France et même d’Europe. Elle a formé patrick Poivre D’arvor,David Pujadas, Pierre Lescure, Franz-Olivier Giesbert, Laurent Joffrin et bien d’autres ténors. Qu’a-t-il découvert dans les locaux de cette institution ? Une conception du métier qu’il combat, celle d’un journalisme convenu et convenable, sans risque et sans révolte, inventé une fois pour toute et dont il ne resterait plus qu’à respecter les canons ; une conception du journalisme qui pratiquait la célébration du vide, le mépris du public, la soumission aux pouvoirs, la quête du profit, l’information prémâchée comme seul horizon, camouflait le conformisme intellectuel derrière le professionnalisme..
La controverse est loin d’être close. Pourquoi ? Parce que Le journalisme navigue entre deux grands registres : Celui du professionnalisme et celui de la responsabilité sociale.
Qu’est-ce que le professionnalisme ?le professionnalisme évoque la compétence. Il renvoie à un ensemble de savoir-faire qu’on enseigne dans les écoles de journalisme. Le terme recouvre aussi des implications ambigües. Il n’est pas toujours neutre politiquement. Le grand professionnel est souvent habité par l’obsession du politiquement correct. C’est le journaliste qui dit des choses convenables. N’existe pas dans cette attitude quelque chose qui relève du conformisme intellectuel et politique ? Très vraisemblablement. Le professionnalisme est le cache-sexe de l’idéologie dominante au sein des médias.
Comment définir la responsabilité sociale du journaliste ? C’est l’exigence éthique de dire la vérité, de donner aux citoyens l’information exacte. Les journalistes sont les gardiens de la démocratie. C’est pourquoi aux Etats-Unis par exemple le journalisme est la seule profession mentionnée dans la constitution, qui stipule :
<< Le congrès ne fera aucune loi qui restreigne la liberté de la parole ou de la presse>>.Comme l’écrivait thomas Jefferson 3e président des Etats-Unis, en 1787 :<<Le fondement de notre gouvernement étant l’opinion du peuple ; le tout premier objectif doit être de protéger ce droit populaire. Et s’il me fallait choisir entre un gouvernement sans journaux ou des journaux sans gouvernement, j’opterais sans hésiter pour la seconde proposition>>
On attend d’un bon journaliste qu’il soit objectif, neutre et indépendant. Est-il possible de satisfaire cette exigence lorsqu’on est salarié de l’Etat ? Au final celui qui est professionnel, n’est pas nécessairement celui qui incarnera le mieux, la responsabilité sociale.
Le débat reste ouvert. A la question qu’est-ce qu’un bon journaliste ?
C’ est celui qui est professionnel diront certains. Ceux qui fustige l’école de journalisme comme François Rufin, mettront en avant des vertus comme l’originalité , le courage, l’esprit de révolte, et surtout le fait d’avoir un style. A propos du style ne dit-on pas souvent <<qu’on ne devient pas les poètes, on est poète de naissance>> une phrase qui a inspiré une autre :<<on ne devient pas journaliste, on est journaliste de naissance>>
Et d’autres encore diront qu’un bon journaliste c’est celui qui possède un solide carnet d’adresses. Comment allez-vous accéder aux informations que les pouvoirs veulent cacher ou dissimuler si vous n’avez aucun ami dans le sérail ? Si vous n’appartenez à aucun réseau ?
Bien au-delà des querelles sur la formation, sur le statut des salariés du quatrième pouvoir, le journalisme pourrait bien affronter dans les années qui viennent une grande révolution. Un article publié dans le journal le Monde le 10 Mars 2010 annonçait l’ère des<< robots-journalistes>>. Il détaillait les travaux des chercheurs américains qui ont mis au point des logiciels aptes à écrire seuls des articles et donc à prendre la place de l’homme. Ces programmes seront conçus pour aller automatiquement chercher les informations et les photos dont ils ont besoin.
La commercialisation à grande échelle de ce genre d’outils pourrait bien entraîner la disparition du journalisme répétitif, bas de gamme, à faible valeur ajoutée, qu’on rencontre dans des quotidiens où l’on demande aux rédacteurs de produire vite et beaucoup, de rédiger des articles courts.
Seuls survivra le journalisme très pointu. On rencontre dans ce répertoire le boulot des grands analystes politiques et économiques, le journalisme spécialisé, le journalisme d’enquête et d’investigation. Le journalisme d’investigation produit des articles trop longs, exige d’énormes moyens financiers et parfois plusieurs mois d’enquête. Sur le terrain du journalisme à grande valeur ajoutée la machine ne pourra jamais remplacer l’être humain.
Ndjama Benjamin. ndjama@yahoo.com
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