Vingt et un an (21) ans après, alors que de nombreuses personnes s’interrogent sur les dividendes et les plus-values de cette initiative, nous questionnons la partialité de cette manifestation. Loin d’être une journée d’agapes qui trahit la scission entre les enseignants du supérieur d’une part et ceux du primaire et du secondaire d’autre part, elle conforte la méconnaissance de la division du travail en milieu éducatif et des contributions des autres partenaires de l’enseignant en milieu éducatif. Au lieu de parler de la Journée de l’enseignant, ne serait-il pas de bon ton de parler de la Journée du personnel éducatif pour englober tous les acteurs qui y exercent ? Une telle question paraîtra audacieuse et malvenue eu égard à la dictature de la majorité qui veut que la minorité dissidente ne soit qu’un épiphénomène, une futile préoccupation d’insoumis « dérangés ». Pourtant, loin de cette lecture qui refuse la contradiction, outil par excellence d’émergence de la Vérité, il faut avec froideur réinterroger la Journée Internationale dite de l’Enseignant. Le monde éducatif se résume-t-il à l’enseignant ? Tout professionnel exerçant en milieu éducatif est-il enseignant ? Le concept « enseignant » est-il assez fédérateur pour taire les différences de profil et de fonction dans le système éducatif ?
Pour celle/celui qui côtoie le monde de l’éducation et le voit fonctionner, l’enseignant n’est pas seul à faire le système éducatif. En effet, qui dit système dit un ensemble d’éléments cohérents qui, en dépit de leurs différences respectives, concourent par la coaction collaborative et coopérative à produire un tout qui reflète l’effort de tous. Dans cette perspective, l’enseignant n’est rien d’autre qu’un membre d’une équipe d’experts qui travaillent pour contribuer à former l’élève dans le sens souhaité par la société. En dehors de l’enseignant donc, le système éducatif compte des experts en service social et en médecine scolaire ; des conseillers de jeunesse et animation et des conseillers d’orientation scolaire (cf. Décret n° 2001/041 portant organisation des établissements scolaires publics et attributions des responsables de l’administration scolaire). Ailleurs, il y a aussi des psychologues scolaires. Au Cameroun, la pratique veut qu’on leur associe des économes/intendants, des comptables matières ; des documentalistes. Or, ils sont le plus souvent des enseignants reconvertis.
Faire le zoom sur le seul enseignant trahit de fait la méconnaissance de la division du travail et des contributions différentes au sein du système éducatif. Tout le monde en milieu éducatif n’est pas enseignant et le mot en lui seul n’a pas vocation à fédérer les différences. Croire le contraire c’est refuser d’accepter la révolution dans le processus enseignement apprentissage. Contrairement à l’antique vision où l’enseignant était l’unique interlocuteur de l’élève, le magister qui, comme Pangloss distillait une philosophie que Candide devait avaler sans éventualité de critique, l’enseignant d’aujourd’hui est dans une équipe. Plus encore, continuer à faire le Zoom sur le seul enseignant, au détriment des autres intervenants du monde éducatif, témoigne de l’incapacité à intégrer la systémique dans l’analyse de l’environnement scolaire. Les rédacteurs de la loi d’orientation de l’éducation au Cameroun, loi n°98/004 du 4 avril 1998, sont tombés dans ce travers. Disent-ils, « l'enseignant est le principal garant de la qualité de l'éducation. À ce titre, il a droit, dans la limite des moyens disponibles, à des conditions de vie convenables, ainsi qu'à une formation initiale et continue appropriée. L’État assure la protection de l'enseignant et garantit sa dignité dans l'exercice de ses fonctions. » (art. 37 alinéas 1 & 2).
Que fait-on des autres partenaires qui vivent et travaillent au quotidien dans le système éducatif ? Parce qu’on se retrouve en milieu éducatif, est-on forcément enseignant ? Que non ! Tous n’ont pas le même profil et encore moins les mêmes missions. Le décret n° 2000/359 du 05 décembre 2000 portant statut particulier des fonctionnaires des corps de l’éducation nationale est là pour le démontrer. Outre les enseignants, ce décret reconnait et institue par exemple un corps des conseillers d’orientation. Si les premiers enseignent, les seconds font de l’encadrement psychopédagogique. De fait, si d’aucuns espèrent voir dans le concept enseignant un mot fédérateur et globalisant pour nommer tous les professionnels du monde éducatif, tout ce qu’ils réussiront sera de conforter la discrimination en positionnant l’enseignant comme une majorité psychologique et ses collaborateurs non-enseignants comme une minorité psychologique.
Il est plausible que cette vision, bien regrettable ait fondé la manie à vouloir prioriser les problèmes des enseignants par rapport à ceux de leurs partenaires qui sont pourtant tous en milieux éducatifs. Un cas d'école est le décret 2002/040 portant montants et modalités de payement des primes allouées aux personnels des Corps de l’Education Nationale. Le Conseiller d’orientation est désavantagé. Il est dit qu’il percevra ses primes d’encadrement psychopédagogique et d’évaluation « en fonction des disponibilités budgétaires ». Incidemment, à indice égale, le conseiller d’orientation licence + 2 au même titre qu’un enseignant a un déficit salarial, preuve de la violation de son droit à la rémunération pourtant protégé (cf. Décret n° 94/199 du 07 octobre 1994 portant Statut Général de la Fonction Publique de l’Etat Modifié et complété par le décret n° 2000/287 du 12 octobre 2000).
Cet exemple est la preuve qu’en positionnant la journée du 5 octobre comme celle de l’enseignant, on ne fait pas grand cas des problèmes de tout le personnel du monde éducatif. Tous ne sont pas des enseignants. Or, en l’état, la Journée, telle qu’elle s’organise, du moins
au Cameroun, conforte des complexes et fortifie des préjugés. La tenue de la journée, devenue désormais un fonds de commerce, devrait en matière de pictogrammes tenir compte de la diversité des acteurs du système éducatif. L’appellation de cette journée mérite donc d’être revue et surtout, ses dividendes, 21 ans après, interrogées. Qu’on ne nous dise pas qu’il y a au Cameroun une Journée Nationale d’Orientation. Journée Nationale et Journée Internationale sont bien différentes pour qu’une telle diversion ait une quelconque valeur argumentative. Et puis même, que vaut cette journée avec la mutualisation instituée qui rompt avec la décentralisation promue par les pouvoirs publics et fait du conseiller de terrain un agent exécuteur des canevas venus des services centraux ?
L’UNESCO et les adeptes de la Journée Internationale de l’Enseignant gagneraient à parler désormais d’une Journée Internationale du Personnel Educatif ; journée au cours de laquelle, outre l’enseignant, les conditions de travail de ses différents collaborateurs, dans le système éducatif, préoccupera. La qualité du travail et des rapports professionnels pourrait se voir améliorer pour le grand bien de l’élève et de la communauté.
Joseph BOMDA, Ph D,Conseiller d’orientation-Psychologue
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