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Yaoundé comme Sodome et Gomorrhe - Briqueterie-Mokolo: le Texas dans la capitale camerounaise par Jean‐René Meva’a Amougou

Dans ces deux quartiers de Yaoundé considérés comme des zones de non droit, il règne des bandes qui entretiennent la délinquance, des faits de violences urbaines, des règlements de comptes et des trafics en tout genre. Immersion dans les deux places fortes de la criminalité (toujours grandissante) de Yaoundé.
A 21 heures ce 13 janvier 2016, un chien dément est affalé dans une vallée encaissée de Mokolo-Elobi. Le pelage de l’animal est gluant de sang. Falsou, jeune sans-emploi, renseigne que le canin a subi la rage des populations pour avoir mordu un enfant. La triste scène, apprend-on, s’est déroulée pendant que le marché nocturne déroulait ses tables, ses étals et ses propres braseros. «On nous a dit que le chien-là appartient à un policier. Et c’est pour çà que nous l’avons tabassé. Et quand le préfet était ici aujourd’hui, il a vu çà lui même », confesse Falsou. Dans ce secteur semé de maisons désaffectées, les murs sont devenus des panneaux pour exprimer le désamour des habitants pour la police. On y voit des façades lépreuses couvertes de graffitis comme «Fuck la police» ou, plus menaçant, «Mokolo Texas, pas police ici» -ndlr: la partie de Mokolo où l’autorité des forces de sécurité n’est pas admise.
Changement de décor: amalgame de ruelles pavées de pierres et vie nocturne trépidante, une musique folklorique distillée à partir d’une maison en planches. Voici la Briqueterie. Première impression le quartier n’est pas construit au cordeau. Seconde impression: Vers 22 heures, les lueurs tombent en cendres et retournent à la nuit sous les pieds des marchands. Seules quelques lumières goûteuses qui mêlent flammèches graillon et brochettes luisantes sont perdues dans le silence des gens vivant au quotidien leur religion. «Notre quartier est un Cameroun en miniature qui accueille plusieurs personnes sur un mouchoir de poche; c’est un ghetto et en même temps un non ghetto; c’est bizarre», évalue Ismaila Djida, master en géographie. Mais cette bizarrerie sémantique n’est que l’avant goût d’un monde étrange, destination mythique pour les amateurs de faits divers. Ce soir, les éléments du «2e arrondissement » sont aux trousses d’une bande de malfrats présumés. Dans une bicoque non loin du «ministère de soya», les flics patrouillent.

Le local, entouré d’un bazar d’objets, fait de bric et de broc, porte les stigmates de son occupation habituelle: mégots jonchant le sol, plaquettes de tramol, recoins transformés en urinoir pour ceux qui tiennent le point de vente de chanvre indien. A l’intérieur aussi, beaucoup de branchements sauvages et de fils à nus. Un collier en or massif volé à une dame à Tsinga, c’est ce que nous cherchons. Mais chercher un objet volé ici, «c’est comme si on cherchait une aiguille dans une botte de foin», souffle un officier, arme en sautoir. A moins de cinq mètres de son canon, il y a un espace de jeux où crapahutent une poignée d’enfants qui n’ont pas 10 ans. Des mères de familles discutent sur un banc. Impassibles, elles aussi. Lors de la patrouille, une forme d’ignorance réciproque dessine une impression de mondes parallèles entre les habitants et les policiers.

Ghetto
Ici tout comme à Mokolo, une culture de ghetto a pris forme. La «guerre contre les flics» y figure en bonne place. Ce soir, à la vue d’un véhicule de police, les réverbères s’éteignent parfois; quelqu’un a coupé un câble. La police fait état de réels guets-apens. Un flic du commissariat du 2e arrondissement le confirme: «Ils grandissent avec la haine de la police. Les habitants des deux quartiers, bien qu’ils soient eux-mêmes affectés par la violence, prennent part à cette défense du territoire contre l’Etat selon une logique perverse: ils se sentent chez eux dans leur quartier, là où personne ne vient les discriminer à cause de leurs origines camerounaises ou africaines». Et cela vise tous ceux qui incarnent une institution, journalistes inclus. Expérience du commissaire Ondoa Ndi: «lorsque les pompiers reçoivent un appel signalant une baraque en feu, ils n’osent pas y aller tout seuls, ils nous appellent». Ainsi très souvent à Mokolo et à la Briqueterie, l’Etat débarque sous la forme d’un camion de pompiers et de deux cars de police – et il n’est pas rare qu’il se fasse accueillir par une pluie de caillasses. «Il y a parfois 50, 100 ou même 200 gars qui les attendent dans la rue et sur les toits. Des tuyaux en métal, des explosifs volent dans tous les sens. De temps en temps, on entend un coup de feu.» Pour tout couronner, on ne se dit pas bonjour. On ne se dit rien d’ailleurs. Le contact police-population se limite à de vagues regards symétriquement défiants avec les rares jeunes qui n’ont pas déserté à l’arrivée des policiers. «Une surveillance mutuelle à distance avec le groupe des «anciens», dealers «historiques» de cannabis s’opère très souvent. Mais les policiers connaissent par coeur le fonctionnement des points de deals, ils peuvent dérouler le CV des guetteurs, vendeurs, lieutenants… «Au bout d’un certain temps, on finit par avoir une connaissance très fine de ces quartiers. On en connaît les trois quarts», estime un officier. Il fait référence à ceux qui ont eu affaire à la police. Dans la bouche du policier, les délinquants semblent résumer à eux seuls Mokolo et la Briqueterie.  

Omerta
Avec ces autres habitants, la majorité silencieuse, «c’est plus compliqué», concède-t-il.«Ces quartiers, c’est une grosse famille, ceux qui n’ont rien à se reprocher n’ont pas forcément envie d’entrer en contact.» Ici, les policiers interviennent dans la crainte du «guet-apens» et le souvenir de toutes les fois où ça s’est mal passé. «Un contrôle, une interpellation et c’est l’attroupement. Même ceux qui n’ont rien vu vont s’en mêler. Et ça peut partir en quelques secondes. Parce que les gens ne veulent pas se faire démasquer dans cette maffia», analyse le commissaire du 2e arrondissement de Yaoundé. Des habitants se font terroriser parce qu’ils refusent de cacher de la drogue dans leur appartement. Ou parce qu’ils ont dénoncé un acte de violence à la police. Ou alors ils se terrent chez eux parce qu’ils sont alcooliques et qu’ils sont tout au bas de l’échelle sociale. Ils se font menacer, chasser, agresser.
A en croire Alhaji Bohramo, le chef du bloc 5, «l’escalade de la violence tient à de multiples facteurs –en particulier aux contrôles d’identité, mais aussi au tutoiement, aux courses-poursuites avec des jeunes en deux roues qui volent à la roulotte. Tout cela attise le feu.» En mars 2010, des policiers du 2e arrondissement découvrent, lors dʹune enquête, des éléments prouvant que des «actes de barbarie» sont commis à lʹencontre de dealers mauvais payeurs - ou de bavards intempestifs à qui on reproche le moindre aveux ( même rétracté), un mensonge ou une vérité. «Une photo, dit le flic, montre un jeune homme de 23 ans environ, nu, le corps ensanglanté, présentant des traces de brûlures, attaché à une potence de fortune.» Les policiers apprennent ensuite que les caïds ont torturé leur victime en présence dʹune dizaine dʹadolescents de la Briqueterie et de Mokolo et que, pour édifier ceux qui négligeraient cette véritable loi du silence, des photos furent diffusées dans les quartiers voisins, et même devant un établissement scolaire. A la Briqueterie, à la fin de novembre 2012, un toxico indélicat est arrosé dʹessence par des dealers et transformé en torche vivante - devant sa femme. Au commissariat ou à la brigade de Tsinga, il se succède des plaintes pour vols de portables, vols à la portière et violences conjugales. Et aussi pas de mal de demandes qui ne relèvent pas franchement de la police: litiges employeurs‐employés, problèmes administratifs divers... «Parfois, on a du mal à garder son calme», confie l’adjoint de sécurité derrière le comptoir. Une touriste d’une soixantaine d’années pleure en traînant sa valise, elle vient de se faire voler son sac en allant acheter des objets d’art vers Tsinga. Un homme vient signaler que son enfant de 8 ans a disparu depuis une heure. Plusieurs femmes, parfois bébés sous le bras, mal à l’aise, viennent signaler des faits de violence conjugale. Souvent, elles ne veulent pas porter plainte, juste déposer une main courante.

Economie souterraine
Les réseaux du crime organisé utilisent ces jeunes pour vendre de la drogue, des parfums et des montres de contrefaçon. «Ils en arrivent souvent à des actes violents parce qu’ils se disputent à propos d’argent sale. Plus juteux que la drogue, il y a le commerce des voitures de luxe volées et des cigarettes de contrebande. Les acteurs défendent leur espace les uns contre les autres –et tous contre l’Etat», précise‐t‐il. Une économie parallèle, organisée en territoires que définissent le chanvre indien et d’autres drogues dures. Synthèse: quelques 500 toxicomanes viennent chaque jour (un flux le matin, lʹautre le soir) se fournir en cannabis et en tramol dans un espace au croisement de quelques rues, doté d’une échoppe bonne à démolir. «Cette noria, augmente les week‐ends et les jours fériés. Et représente, pour une seule cité, pour un seul lieu de deal, un marché de détail annuel de plusieurs millions de francs de profit pour les dealers et leurs clans», rapporte un fonctionnaire de police. Régulièrement, les stups font «péter» des réseaux. Et d’autres repoussent aussitôt, entretenant chez les policiers le sentiment d’un éternel recommencement. De la colère aussi, quand les jeunes interpellés ressortent trop vite à leurs yeux.

Jean‐René Meva’a Amougou
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