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Les fonctionnaires africains sont-ils culturellement paresseux ? Zakri Blé Eddie


Les fonctionnaires africains sont-ils culturellement paresseux ? Qui ne s'est pas posé la question un jour en fréquentant les services publics en Afrique. Est-ce vraiment spécifique à l'Afrique ou est-ce du à un environnement incitant à la paresse ?

Il faut dire que si cette idée a l'avantage d'offrir une explication toute prête quant aux causes de l'absentéisme sous nos tropiques, elle ne rend pas compte de la réalité. Non seulement, la paresse n'est pas inhérente aux africains, mais l'absentéisme n'est pas l'apanage d'une société ou d'une civilisation donnée. Ces préjugés ne relèvent au final que d'une sorte de déterminisme social et d'essentialisme ethnique et racial. La preuve est que lorsque des africains travaillent avec des organisations internationales, des multinationales ou à l'étranger ils font preuve d'assiduité et de productivité. D'où la nécessité d'aller chercher les causes réelles de l'absentéisme dans le système d'institutions qui incitent à la paresse et démotivent nos agents.

 A ce titre, il n'y a qu'à observer les mauvaises conditions de travail dans lesquelles travaillent certains fonctionnaires. Des locaux souvent rudimentaires, voire insalubres ; des moyens bureautiques faisant cruellement défaut, ce qui entraîne un blocage de l'élan professionnel chez certains fonctionnaires et une sorte de haine du poste de travail. On note également la mauvaise gestion du personnel, notamment la définition imprécise des tâches et des responsabilités, et la faible incitation financière qui poussent certains fonctionnaires à l'exercice d'activités lucratives parallèles conduisant inéluctablement à leur absentéisme. A ce niveau, il ne faut pas aussi oublier que certains Etats paient irrégulièrement leurs fonctionnaires. C'est le cas du Bénin où les fonctionnaires ont perçu leur dû de 1992 en 1998, ou encore du Tchad et du Mali où des problèmes sérieux de retard de paie sont enregistrés au cours de l'année 2015. Ces Etats ne sont pas les seuls, bien d'autres connaissent ou ont connu ce problème. En outre, pouvons-nous citer encore l'absence de mécanismes de contrôle et de reddition des comptes et même le système d'emploi à vie dans les administrations africaines. En effet, dans ce système, le fonctionnaire y entre pour y rester jusqu'à l'âge de la retraite. De ce fait, l'agent public jouit de la sécurité de l'emploi qui implique la promotion, les avancements et le classement, la sécurité du salaire et l'admission à la retraite. Ce sont là autant de prérogatives dont bénéficie le fonctionnaire contrairement à son homologue du secteur privé. La prise de conscience de cette stabilité crée chez le fonctionnaire des attitudes négatives et l'installe dans une certaine facilité et un certain manque de dynamisme et de rendement.

 Aussi, un point essentiel à ne pas omettre est que si les fonctionnaires font ce qu'ils veulent, c'est parce qu'ils n'assument pas les conséquences de leurs comportements. S'il est vrai que des remèdes ont été tentés ici et là, ceux-ci ont été sans effets durables. Aujourd'hui, tout porte à croire que l'Etat a fui ses responsabilités en feignant de ne rien voir quant à l'absentéisme. Les textes juridiques existants sont inappliqués et bafoués face aux entorses portées à l'éthique professionnelle. L'Etat semble s'être enfermé dans un certain laxisme. Voilà donc la racine du mal. Car ce laisser-aller de la part de l'Etat ne fait qu'empirer la situation.

Or ce fléau, notons-le, a des conséquences socio-économiques non négligeables. Non seulement, un surcroît de tâches est observé chez les fonctionnaires assidus et ponctuels, mais également l'efficacité et la qualité des prestations souffrent cruellement car les dossiers sont soit laissés à l'abandon, soit bâclés à la dernière minute. A côté, les prestations sollicitées, rarement satisfaites dans le temps, entraînent le mécontentement des usagers qui finissent par discréditer l'administration publique. Mais chose encore plus importante, la faible productivité des fonctionnaires qui en découle, comparativement à la charge qu'ils représentent pour le budget de l'Etat, suffit pour dire que l'absentéisme est un phénomène nuisible à l'économie, un véritable frein à tout développement durable. Au Bénin, un rapport du Conseil Economique et Social en 2006 a, par exemple, révélé que ce pays perd chaque année soixante-dix milliards de Francs CFA à cause des retards accumulés par les agents économiques à différents niveaux.

 Dans l'optique de booster l'élan au travail et de réduire le taux d'absentéisme dans l'administration, dans certains Etats, les autorités ont décidé de prendre le taureau par les cornes ces derniers temps en adoptant de nouvelles mesures. En Côte d'ivoire, un décret est pris en janvier 2012 pour établir de nouveaux horaires de la fonction publique. A Casablanca (Maroc), le Conseil de la ville a décidé cette année de mettre en place des pointeuses horaires à l'entrée de toutes les administrations. Bien que ces dispositions soient à encourager, celles-ci ne sauraient suffire. Une réforme plus globale de l'administration publique doit être envisagée, laquelle doit reposer sur un certain nombre de principes. D'abord, le principe de transparence qui inclut la redéfinition claire des tâches et la délimitation des responsabilités des uns et des autres. Car le chevauchement des responsabilités est l'ennemi de la reddition des comptes. Ensuite, le principe de responsabilité, qui doit mener à la contractualisation pour que le fonctionnaire assume les conséquences de son choix en cas de non-respect de ses engagements. Enfin, les principes de résultat et celui de subsidiarité devront être également pris en compte. Le premier aura pour conséquence la redéfinition des mécanismes d'évaluation et de la rémunération du résultat pour mieux inciter les fonctionnaires à la performance. Quant au second, il est fait pour améliorer la qualité des prestations administratives et surtout faciliter le contrôle par les citoyens des services.

 Aujourd'hui, face à la longue litanie des maux qui gangrènent nos administrations, il semble que leur modernisation n'est plus un choix, mais une nécessité qui s'impose en raison de la crise des finances publiques, des demandes croissantes de la population et de la mondialisation de l'économie.

Article Publié En Collaboration Avec Libre Afrique : Zakri Blé Eddie, Abidjan-Cocody
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