Le folklore actuel des motions de soutiens invitant le président de la République à s'accrocher au pouvoir rappelle les jours qui ont précédé le 6 novembre 1982 : hypocrisie et cynisme. La flamme et la fumée ".
Sadou Daoudou et Ahmadou Hayatou se retrouveront en fin d'après-midi, ce même jour, parmi les membres du bureau politique national et du comité central que doit recevoir Ahmadou Ahidjo pour leur annoncer sa décision de démissionner. Les deux hommes, déjà informés de cette décision, vont pourtant feindre tout ignorer de l'objet de la convocation du Bureau politique et du Comité central. Joseph-Charles Doumba, ministre chargé de mission à la présidence de la République, lui, est reçu deux fois dans la journée par Ahmadou Ahidjo, et le dernier, avant que celui-ci n'annonce sa démission. Ahmadou Hayatou, est investi d'une mission toute aussi secrète : réveiller les membres du bureau politique éberlués et pétrifiés. C'est en effet Ahmadou Hayatou qui demande : " Alors, que faisons-nous ? Allons-nous rester ainsi les bras croisés à ne rien faire ? Ne faut-il pas faire quelque chose pour empêcher le président Ahmadou Ahidjo de partir comme ça ? ".
C'est alors que s'est formée la délégation conduite par Charles Assalé et dont fera partie Paul Biya, révèle Henri Bandolo. Une rapide concertation va permettre de mettre au point les éléments de langage à tenir à l'ancien chef de l'Etat : s'il ne peut revenir sur sa décision de démissionner de la présidence de la République, qu'il consente au moins à demeurer président national du parti. Ahidjo lui-même fait une communication le 23 août 1983, selon laquelle, " le 4 novembre [1982], j'ai librement démissionné de mes fonctions de président de la République sans esprit de retour, ceci malgré l'insistance d'une délégation du comité central de l'UNC, en présence de M. Paul Biya, mon remplaçant constitutionnel, qui devait normalement terminer le mandat que m'a confié le peuple camerounais, sur un programme adopté par l'UNC. J'ai maintenu ma position ".
Henri Bandolo pose alors la question de savoir si l'interrogation d'Ahmadou Hayatou ne comportait-elle pas en réalité un piège qui devait conduire les uns et les autres à dévoiler leurs véritables sentiments à l'égard de l'ancien chef de l'Etat ? Il poursuit : " En supposant qu'une majorité se soit alors prononcée pour refuser d'aller " prier l'ancien chef de l'Etat de rester ", et que Paul Biya, successeur désigné se soit rangé à cette majorité, Ahmadou Ahidjo aurait-il quand même démissionné ? ". Paul Biya lui aurait-il succédé ? " Rien n'est moins sûr ", répond l'auteur de " La flamme et la fumée ".
Qui indique aussi que le comportement de Paul Biya était assurément très surveillé. S'il avait trahi quelque convoitise hardie à cette heure où tout se jouait sur le fil du rasoir, il se serait coupé. Henri Bandolo révèle que le scénario préféré de l'ancien chef de l'Etat, pour demeurer au pouvoir, a toujours consisté en ce genre de coup monté d'avance. Celui-ci a toujours voulu qu'une délégation du comité central aille le " prier " de solliciter un nouveau mandat, pour qu'il dise : " j'accepte "... comme contraint et forcé. Une technique que Paul Biya a bien mémorisé et exécution presqu'à la perfection.
A preuve, en 2008, alors qu'il est légalement disqualifié pour se présenter à la présidentielle de 2011, il modifie la Constitution pour qu'il puisse rempiler à vie, sous le prétexte des " appels du peuple ", qui l'aurait pressé à ne pas quitter la présidence. Comme Ahidjo, qui utilisait l'expression " j'accepte ", Paul Biya lui use de " je vous ai compris ".
Repères : Sylvain Andzongo
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