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De la recherche de l'émergence à la non maîtrise de l'urgence: les failles et faillites d'une gouvernance déficiente et surannée par Aymar Patrice Nzukou Wakam

Notre vrai niveau. Tel fût le titre d'un billet caustique de Haman Mana, Directeur de publication du quotidien camerounais ‘’Le Jour’’, paru dans son canard, voici quelques mois. Ce brillant journaliste y évoquait particulièrement, la gestion approximative, surannée et archaïque du gouvernement camerounais devant les projets des Coupes d'Afrique des Nations (CAN) féminine de 2016 et masculine de 2019. Mettant ainsi, en exergue l’amateurisme consacré en vertu par les dirigeants camerounais.

De la disparition en pleine maternité du bébé de la courageuse et vaillante Vanessa Tchatchou (comme plusieurs autres), à la césarienne impromptue de Monique Koumatekel (réalisée en désespoir par une parente désemparée devant l'apathie du corps médical, de l'un des principaux hôpitaux du Cameroun ...ou ce qu'il en reste), aux multiples évacuations sanitaires des pontes et de "ceux qui ont un peu" ( le dernier cas en date est celui de Rigobert Song), la journée du Vendredi 21 Octobre 2016 ( à chaque peuple son Vendredi noir !) sera venue mettre en exergue, les évidences d'un pays à gouvernance, stratégie, vision et gestion de risques plus qu'approximatives ou absentes.

Dans toute organisation structurée fournissant des services (Etat, Entreprise, etc.), la mise en place de processus devant assurer la continuité des services délivrés (Gestion de la continuité des services ou Business Continuity Management en Anglais) reste une préoccupation majeure et critique.
Ainsi, on diversifie les sources d'énergie ainsi que les différents fournisseurs, on multiplie les voies de communication et de télécommunications pour éviter les dépendances et surtout les blocages (Point unique de défaillance ou Single Point Of Failure (SPOF) en Anglais) ; on met en place des mécanismes de redondance des infrastructures critiques, etc. ; on développe des plans de prévention et d’urgence, et surtout, et c’est primordial, on s'assure de la mise en pratique de ces différents plans en faisant plusieurs simulations et tests grandeur nature (Rehearsal Tests en Anglais), pour mettre en évidence des manquements. Les leçons observées, permettant d’adapter les différents plans en conséquence, pour s’approcher des évènements réels qui pourraient survenir. Cela s'appelle, la Gestion (Management) des Risques (Risk Management en Anglais).
De plus, une des préoccupations majeures, dès que le risque se matérialise (accidents), est le déclenchement des plans d'urgence (Gestion des incidents ou Incident Management en Anglais), pour "contenir" et circonscrire l'accident (on parle de ‘’containment’’ dans le jargon de la gestion des incidents), et surtout et cela est fondamental, éviter les effets dominos.
Dans le domaine de l’étude des risques, un effet domino peut être défini comme l'action d'un premier phénomène dangereux capable de générer un second accident sur un environnement/installation voisin, dont les effets seraient plus « graves » que ceux de l’accident premier.
Ainsi, sans aucun lien au préalable, la rupture de la route Nationale (N3) Douala-Yaoundé, a "engendré" le déraillement du train de la CAMRAIL effectuant la liaison Yaoundé-Douala. Suite probablement à une très mauvaise coordination des évènements, ainsi que des responsabilités non définies ou pas définies du tout !
Quand la vie, la survie et l'économie d'un pays tient à une buse sur une route nationale! Dans tous les ‘’Plan de Continuité de Services’’ ou "Business Continuity Plan" (BCP) en Anglais, au-delà de l'identification des services, des processus et des infrastructures critiques, ainsi que l’impact de leur indisponibilité, un des points majeurs est la mise en place d'un processus de gestion de crise (Crisis Management en Anglais).

Ce processus de gestion de crise définissant les différents niveaux d'activation (Bronze, Argent, Or, etc.), le moment et les conditions d'activation, ainsi que la communication y afférant, les équipes à notifier et à activer, ainsi que tous les processus dépendants.

Dès lors, les chaines de responsabilité sont clairement définies, et pour tous les différents scenarii d’accidents ou d’incidents, on sait qui doit déclarer l’incident, quand, comment, où, avec qui, etc.
La catastrophe ou les catastrophes du Vendredi 21 Octobre 2016 survenues au Cameroun, sont une leçon d’école et des évidences criardes d'un management "navigation à vue" ou absence de vision, en termes de continuité de services:

1. Une seule route pour relier les deux villes principales d'un pays immense, sans voie de contournement (risque social, financier et économique). Route à une voie dans chaque sens sans ilot ou axe physique de séparation, d'où risque majeur d'accidents frontaux (risque humain, social et économique). Surtout dans un pays où le "lever de coude" est sport national (risque) et le permis de conduire, un ‘’papier’’ que l'on achète pour quelques sous (risque). Cet axe étant aussi un noeud d'échange pour plusieurs pays d'Afrique centrale, vu l'importance régionale du port de Douala (risque social, financier, et économique).

2. Une absence criarde des plans d'urgence et des scenarii d'activation. Si un plan de rupture de circulation sur la N3, avait existé (s’il en existe un, alors les évènements ont prouvé son implacable inefficacité !), on n’aurait probablement pas assisté à l'accident de train. Vu que le scenario aurait intégré les autres moyens de communication comme alternative, le chemin de fin par exemple, avec un protocole chez CAMRAIL, incluant les étapes à suivre (nombre de trains y compris nombre de wagons à adjoindre aux locomotives, horaires à adapter pour fluidifier la circulation des biens et personnes entre les deux villes, etc.). L'aérien aurait été aussi mis en branle, avec des moyens et des processus réadaptés.

3. Une communication surannée. Depuis quelques années, l'information circule à la vitesse de la lumière (c’est d'ailleurs la seule limitation actuelle de la fibre optique, sinon l'info aurait une célérité plus grande). Le temps où l'on attendait le journal parlé de la CRTV, pour s'informer est largement dépassé. Internet et la révolution digitale ont « démocratisé » l’information.
Toute personne et même un enfant, munie de Smartphone, est aujourd’hui reporter (journaliste) et reporter d’images (vidéaste). L’application ‘’WhatsApp’’ dans le cas du 21 Octobre, c’est révélé (aux yeux de quelques gouvernants) être un tam-tam planétaire. Nos dirigeants l’ont vu, les jeunes et moins jeunes Camerounais le savait.

4. Une gouvernance centralisée et désuète. On attend toujours les « hautes instructions de .. ». Une administration ‘’figée’’, où la peur de l’initiative règne, ce qui engendre la situation ubuesque où tout le monde attend les instructions du président, du ministre qui lui attend celles du président, du gouverneur ou du délégué qui attend celles du ministre, des différents sous-fifres qui attendent elles, les instructions du probable supérieur hiérarchique, disposant s’il en en reste, de quelque parcelle de pouvoir.

5. Une non maîtrise de moyens de communication modernes, couplée à une déconnection des responsables politiques et gouvernementaux de la réalité sociale. Toutes les études l’ont démontré et le démontrent, la frange de population jeune est de plus en plus majoritaire dans les pays africains. Cette population, ouverte sur le monde et vivant sur l’instant et avec peu de tabou, dans un monde de partage, avec l’aide de réseaux sociaux, transfèrent et re-transfèrent l’information qu’elle reçoit, se ‘’whatsappe’’ à la seconde, utilise Facebook comme tribune.
Pour elle, les applications telles que ‘’Whatsapp’’, ‘’Viber’’, ‘’Twitter’’, ‘’Facebook’’, ont remplacé le ‘’tam-tam’’ du village et ‘’Instagram’’, les historiques albums photos. Elle n’est plus consommatrice passive de l’information, mais se pose en acteur de la diffusion d’informations, sans la censure et les précautions des medias traditionnels. De plus, rebelle et n’ayant pas connue les répressions et restrictions féroces, du temps du parti unique, cette population n’a pas la retenue de leurs parents.
Dans un Etat, qui a consacré pendant des années beaucoup de sacrifice pour l’éducation de sa population, et où les dirigeants ont l’art de se gargariser de leurs nombreux doctorats, il n’est pas normal que la gestion de risques (quel que soit le domaine) soit confiée à …Dieu. En gestion de risques, un mort, est un mort de trop. La survenance d’un accident, surtout s’il y a mort d’un humain est déjà une défaillance, la mauvaise gestion de la suite est tout bonnement…un crime.

Aux compatriotes décédés, puisse votre sacrifice, éveiller enfin les consciences de ceux qui ont la charge de conduire vos pères, mères, frères et soeurs vers un avenir dont nous espérons être… moins sombre.
Aymar Patrice Nzukou Wakam est Ingénieur Polytechnicien, formé en Belgique. Auditeur, ‘’Risk Manager’’, Expert en ‘’Information Security’’ et en ‘’Business Continuity’’. Après avoir travaillé pour plusieurs multinationales et le cabinet Deloitte, il est aujourd’hui Coordinateur pour ces domaines auprès de l’Organisation des Nations Unies (ONU).

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