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Opinion de Marie-Claire Nnana sur l'article de jeune Afrique intitulé «Biya intime»: un pamphlet perfide

Pour son édition Afrique subsaharienne de cette semaine, l’hebdomadaire Jeune Afrique propose en cinq colonnes à la Une, un Biya intime de huit pages à la fois intéressant et curieux. Intéressant parce que s’inscrivant dans l’actualité politique de la commémoration de 34 ans d’accession au pouvoir du chef de l’État camerounais. Jeune Afrique ne fait d’ailleurs pas œuvre originale dans cette initiative, car d’autres médias, allumés par cet anniversaire ont entrepris quelques jours auparavant d’interroger cette longévité exceptionnelle, à travers des portraits de l’homme, des analyses, ou des tables rondes.
Au-delà de l’intérêt, cette logorrhée verbale inédite autour de l’intimité du président camerounais apparaît à tout le moins curieuse, par l’intention même. S’agit-il d’une enquête journalistique, dans les standards professionnels usuels, sur un homme d’État qui a marqué, et continue de marquer son pays et son époque ? Selon toute vraisemblance, c’est ce que notre confrère parisien croit proposer, car il affirme « vouloir percer le secret de ce président ».  Soit. Mais dans ce cas-là, le lecteur s’attendrait à juste titre à plus d’équilibre dans le traitement des informations, plus de circonspection dans la validation des sources, plus de distance avec les poncifs éculés et la rumeur. Peut-être aussi plus d’humilité et moins de certitudes de la part de l’auteur. Ce qui n’est pas vraiment le cas.

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A la base, il y a donc de toute évidence une terrible méprise. Ce dossier n’est ni une enquête, ni un portrait, mais un pamphlet perfide et torride d’autant plus mordant qu’il se présente comme une enquête. Sous couvert d’informations recueillies auprès de « proches », il ne nous fait grâce d’aucun préjugé : la fainéantise : ce président est « désespérant d’inactivité » ; le pays en pilotage automatique ; une épouse omnipotente, qui codirige, pour ainsi dire, le Cameroun. L’auteur de cette publication ne craint pas d’inscrire sa production dans le registre du ramassis de ragots : président radin, palais hanté, dédain des réunions de l’Union africaine.
Tout cela relève, évidemment, de l’affabulation. Une véritable enquête aurait sans aucun doute permis à notre confrère de nuancer certaines affirmations et d’en disqualifier de nombreuses autres. À titre d’exemple, en consultant le livre récemment paru d’un ancien secrétaire général de la présidence de la République, il aurait appris que le président Biya ne laisse aucun dossier dormir sur sa table… Par ailleurs, en échangeant avec certains Camerounais, y compris des responsables de l’opposition, il aurait entendu que Paul Biya prend régulièrement à sa charge, sur ses deniers personnels, un bon nombre de factures d’hôpital et d’obsèques de personnalités politiques, de la société civile, ou d’anciens dignitaires démunis. 
En réalité, la question n’est même pas là. Si le parti pris du rédacteur est de jeter le discrédit, il le fera, quels que soient les faits à sa connaissance. Ainsi, s’il avait appris que le chef de l’État se faisait distinguer par une distribution frénétique d’enveloppes aux visiteurs, il lui aurait certainement reproché une prodigalité outrancière sur le dos du contribuable…
Mais à la vérité, la plus grande preuve de malveillance de ces écrits sur Biya intime réside dans le manque d’élégance qui consiste à aborder des sujets que les journalistes éprouvent habituellement des scrupules à évoquer sur les hommes politiques : le physique, la santé, les enfants.  De quel intérêt journalistique sont les détails foisonnants livrés ici sur les ravages des années sur le physique, sur la vie des enfants du couple présidentiel abordée sous le seul prisme des polémiques et des réseaux sociaux, sans compter les insinuations sur la santé du prince, et celles sur son parcours de lycéen ? L’art de la malveillance consiste ici à égrener quelques informations neutres, pour les noyer ensuite dans un océan de  rumeurs dégradantes. Si jamais l’auteur concède quelque qualité à l’objet de son étude, c’est pour mieux le broyer ensuite à travers des pseudos informations qui ont toutes, étrangement, un caractère sulfureux.
A cette allure, seuls les naïfs pourraient désormais croire que l’objet de ce dossier était de montrer aux lecteurs un président qu’ils ne connaissaient pas. En l’occurrence, nous n’avons rien appris que nous ne sachions déjà sur l’homme qui gouverne le pays depuis 34 ans, régulièrement réélu par  les Camerounais sur la base d’un contrat de confiance. Nous avons en revanche compris que le véritable objectif du dossier était non pas de cerner l’intime, mais de jeter à la face du Cameroun et du monde des « affaires » et des «scandales» dans un but que nous n’essaierons même pas d’élucider. 
Sans donner de leçon de journalisme à qui que ce soit, on peut penser que pour se mettre à l’abri des soupçons de partialité, notre confrère aurait pu, puisque ce portrait intime englobait aussi, manifestement, des affaires d’État, nous parler d’un sujet, le sujet-clé : les véritables ressorts de la longévité de Paul Biya au pouvoir. Qui croira sérieusement qu’il s’y maintient depuis 34 ans en étant paresseux, superstitieux, et coupé du reste de l’Afrique ? Autre suggestion : la botte secrète du président pour maintenir en équilibre et en paix un pays dont tous, ici et ailleurs, reconnaissent la complexité.
Ou, mieux encore, comment se comporte Paul Biya en commander-in-chief, lui qui a déclaré une guerre sans merci à Boko Haram. A-t-il une « situation room », comme Obama, et qui y a accès ? Prend-il les décisions stratégiques en solo, ou entouré de son état-major ?

Enfin, il nous semble que même si un journaliste basé à Paris croit, avec raison, connaître le Cameroun, il y a toujours un risque de voir fausser toute analyse et toute critique sur notre pays, si en observateur de bonne foi, il ne se pose pas cette vaste question : qu’y a-t-il entre Paul Biya et ce peuple camerounais, dont Jeune Afrique rappelle fort à propos qu’il est le seul en Afrique subsaharienne à avoir fait la guerre à l’ancienne puissance coloniale, la France ? Les seuls réseaux sociaux ne peuvent donner la mesure de la popularité d’un président…

En somme, ce « Biya intime » campe bien le prototype de « République bananière » sous les traits duquel les médias occidentaux peignent volontiers l’Afrique noire. Le Cameroun a certes ses tares, mais il n’en est pas une.
Marie-Claire Nnana
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