Je suis donc libre. Oui, ils ne m’ont pas condamné à mort, alors qu’ils m’avaient à leur merci. Ils n’ont pas pu tenir ferme leurs
accusations, celles-ci s’étant évaporées entre leurs propres doigts. Du
Tribunal militaire au Tribunal de Grande instance au Tribunal de
Première instance, ils se sont retrouvés à prendre des décisions
administratives dans le bureau du Régisseur de prison, devant Secrétaire
d’Etat, par instruction téléphonique sur cellulaire de Messieurs les
ministres, afin de vite contrecarrer la décision publique du Juge qui
m’a libéré et restitué dans tous mes droits devant tout le monde,
quelques heures auparavant. La meilleure ? Ils m’ont mis dans un avion
en direction de Washington DC, alors que mon domicile américain est à
New York. Ils m’ont mis dans un avion qui m’a emmené à Washington DC,
alors qu’ils m’ont enlevé vingt et un jours plus tôt, d’un avion qui
m’amenait plutôt à Harare, au Zimbabwe, terre libérée du tyran local, et
où se trouve encore ma famille. Ils m’ont mis dans un avion, et m’ont
jeté sur le Passage du milieu, m’ont jeté dans l’Océan Atlantique donc,
que des millions de nos ancêtres ont fait en bateau, vendus qu’ils
étaient pendant trois cent ans par des gens de leur espèce.
Extrader un Bangangte – un qui refuse l’esclavage ! – en Amérique,
après lui avoir fait traverser Yaoundé, la ville de sa naissance, dans
un convoi présidentiel, avec quatre garde-du-corps en cagoule et fusil
supersonique pointé sur les populations, motard et sirène au devant pour
clarifier son chemin ! Extrader un enfant de Nkomkana, qu’ils ont mis
en menottes en route, car dans leur précipitation ils les avaient tous
oubliées ! M’extrader de Yaoundé, moi, qui suis né dans les Elobi, dont
le placenta est enterré à Yaoundé même, qui suis allé à l’école à
l’Ecole publique de Tsinga, vendant les savons au Marché central,
faisant le pèse-personne dans les bureaux de l’AT où travaillait mon
Papa, qui suis allé au CES de Ngoa Ekelle, puis au lycée Leclerc, avant
de devenir Parlementaire à Ngoa, moi, enfant de ce pays, fils de cette
ville dont tous et chacun de mes douze livres parle de long en large,
garçon de toutes ces bayam sallam, fils de tous ces Papas, moi, Nganang
Alain Patrice, me remettre aux Blancs – et c’est le directeur de la
Police Judiciaire lui-même qui l’a fait, accompagné de son staff de
sous-directeurs, qui m’a mis dans l’avion, en maintenant dans sa poche
mon passeport camerounais ! Un Américain, un Allemand, un Français
peut-il arrêter, incarcérer et extrader son frère vers le Cameroun ?
Vers Yaoundé ? Qui peut faire une chose pareille, sinon un que dans ma
langue maternelle on appele si justement un Fam ?
Un Fam c’est quoi ? C’est un être qui manque tellement de squelette,
c’est-à-dire de conscience historique, qu’il en oublie que le lit dans
lequel il est couché a été bâti par le Peuple, à la demande de son Père,
que le palais d’Etoudi dans lequel il habite a été bâti par le Peuple à
la demande de son Père, que de son premier boulot à celui qu’il occupe
aujourd’hui, c’est son Père qui lui a trouvé du travail, que de tous les
prétendants qui auraient mieux que lui fait le boulot qu’il fait depuis
trente-quatre ans, son Père l’a choisi, lui, parce que justement il
n’avait pas de squelette, et qui, pour montrer qu’il a tout de même une
couille, condamne ce Père-là à mort pour Haute trahison, condamne ce
Père à l’exil, abandonne le cadavre de ce Père au Sénégal, et veut être
respecté par les Camerounais. Le Fam, c’est ça ! Le Cameroun, la terre
de nos ancêtres, le pays de nos aïeuls, est captif d’un Fam, le dernier
esclavagiste, et c’est son mauvais cœur qui dicte les directives des
Gens aux téléphones, décide des actes de ces gens qui m’ont arrêté, et
impose les gestes de ceux qui m’ont fait répéter en avion le 27 décembre
2017, le chemin qu’ils ont fait faire à nos ancêtres en bateau, vers
les Amériques !
Mais un noble Bangangte refuse l’esclavage, comme un noble Bulu
refuse l’esclavage, comme un noble Moundang refuse l’esclavage, comme un
noble Douala refuse l’esclavage, comme un noble Bakweri refuse
l’esclavage ! Je vous ai vu et entendu, chères sœurs et frères, à ma
sortie de Kondengui, des centaines vous étiez venus me dire – ‘tiens toi
debout, Tanou !’, comme vous, mes frères Anglophones qui m’avez donné
une standing ovation à mon entrée en prison, une centaine vous étiez
aussi, tout comme les Eperviables, qui, du SG de la présidence aux
autres, de même, êtes un à un venus dans mon mandat me dire ‘nous sommes
avec toi, Patrice !’ Du cœur de Kondengui où, comme dans toutes les
cellules où j’ai été trimballé, en quelques temps presque tous les
détenus m’appelaient par mon prénom – ‘Patrice !’ –, savaient mon
histoire mieux que moi, et me serraient la main et me promettaient la
liberté la plus rapide, j’ai compris que ce que vous me montriez, c’est
ce côté droit du cœur où bat l’Amour !
Seul l’Amour va défaire le mauvais cœur qui nous tient encore otages,
et c’est en son nom que je vous remercie toutes et tous cent fois,
mille fois, plusieurs milliers, des millions de fois, car c’est là votre
nombre. Je dis, me lapte à ces milliers qui ont tout fait pour ma
libération, de ma fille dont la lettre m’a fait battre le cœur en
prison, à ces amies et amis qui ont fait mon lit de la liberté, d’où je
vous écris ces mots de ma gratitude totale. Vous êtes nos milliards
d’etoiles dans le ciel de cette nuit centenaire qui s’est abattue sur le
Cameroun, et dans vos scintillements, vous annoncez l’arrivée proche de
notre collectif matin !
Le temps de mon exil sera bref!
Concierge de la république
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