Monsieur le Président,
Comme beaucoup de Camerounais, j'ai été choqué par le ton
outrageusement condescendant, paternaliste et prétentieux que vous avez
employé à l'Assemblée Nationale le 03 décembre pour vous adresser au
peuple. Comment pouvez-vous vous permettre de dire à 11 millions de
Camerounais : "Je vous ai amenés à la démocratie..." Dans ce pays où
tous les jours les droits les plus élémentaires de l'homme sont bafoués,
où la majorité des gens n'ont pas de quoi vivre alors qu'une petite
poignée d'arrivistes se partage impunément les richesses du pays ?
De quelle démocratie parlez-vous avec tant d'emphase ? Avez-vous
déjà mis les pieds à New-Bell, cher Président ? A quelle "liberté"
avez-vous conduit ce pays où 98% de la population urbaine vit dans les
bidonvilles sans moyens de se soigner, de se nourrir, correctement ni
même de revendiquer leurs droits ? Que signifient vos discours et vos
slogans pour les dizaines de milliers de personnes (essentiellement des
enfants en bas âge) qui dorment dans les rigoles à Douala chaque soir ?
Quel est cet "Etat de droit" où n'importe quel obscur policier [PAGE
293] peut se permettre d'enlever qui il veut, sans avoir de comptes à
rendre à personne ? Etes-vous réellement fier de ce Cameroun où le
pouvoir judiciaire est à la botte du pouvoir exécutif ? Etes-vous fier
en tant que Premier magistrat du pays, de la justice camerounaise
actuelle qui condamne en priorité ceux qui n'ont pas su corrompre le
tribunal ?... A votre place je serais beaucoup moins triomphaliste.
Et la récente session de l'Assemblée Nationale, pompeusement baptisée
"Session des libertés" par vos propagandistes les plus zélés,
n'apportera ni la justice sociale ni le bien-être pour les pauvres. Ceci
pour de nombreuses raisons que vous connaissez mieux que moi:
1) Les députés d'un parti unique ne sont pas qualifiés pour
organiser le multipartisme et la concurrence. Comment comptez-vous
organiser des élections pluralistes en utilisant une loi électorale
rédigée sur mesure par un parti unique ?
2) Le RDPC a durablement noyauté tous les rouages de l'Etat, de
l'armée, des chefferies traditionnelles, ainsi que toutes les structures
locales de pouvoir. De plus, il dispose de moyens matériels et
financiers colossaux (dont chacun connaît l'origine), ce qui faussera le
jeu politique de demain.
3) Le cadre institutionnel dans lequel fonctionne ce pays est truqué
: il n'est pas normal que des députés illettrés votent clandestinement,
sans publicité, des lois qui engagent l'avenir de tout un peuple. Dans
n'importe quel pays démocratique les textes soumis au Parlement sont
publiés longtemps à l'avance, ce qui permet aux élus du peuple d'y
réfléchir sérieusement et à l'opinion publique de savoir ce qu'on lui
réserve.
4) La vérification de la constitutionnalité des lois est actuellement
bloquée par les lourdeurs de la procédure de saisine de la Cour Suprême :
seuls le Président de la République et à certaines conditions le
Président de l'Assemblée Nationale, peuvent saisir cette honorable Cour.
Or, dans la pratique, les lois n'étant jamais votées sans leur
consentement, on voit mal pourquoi ils se préoccuperaient de vérifier a
posteriori leur constitutionnalité.
5) Toutes les couches sociales majoritaires sont actuellement
exclues de la réflexion : qu'il s'agisse des jeunes, des enfants, [PAGE
294] des femmes, des chômeurs des étudiants ou des paysans à aucun
moment on ne leur offre la parole, chacun des apprentis politiciens
s'arroge le droit de parier en leur nom sans même connaître leurs
problèmes, et sans les avoir consultés.
Il est donc urgent, M. le Président que la politique cesse d'être un
cirque permanent pour devenir réellement le champ d'expression des
ambitions populaires. Pour cela, il faudrait arrêter les slogans creux
et simplistes qui encombrent quotidiennement la une de Cameroon Tribune
et laisser la parole aux gens qui ont des choses intéressantes à dire,
et je peux vous assurer qu'il y en a beaucoup dans ce pays.
Le temps des « pères de la nation » est largement révolu. Les
Camerounais ne sont pas des enfants que vous avez jugés « mûrs pour la
démocratie ». Ils sont un peuple dont la créativité a été bridée par
trente années d'obscurantisme, et qui aspire enfin à gérer soi-même son
destin. Plus que jamais une grande rencontre nationale réunissant toutes
les sensibilités politiques s'impose. Votre parti, le RDPC, n'a pas le
monopole des idées. Ne vous méprenez pas sur la patience manifestée par
les Camerounais jusqu'à présent, ils sont capables du meilleur comme du
pire.
Post-scriptum : je vous signale enfin que nous sommes peut-être le
seul pays au monde où les lois votées ne sont même pas publiées dans le
Journal Officiel comme le prévoit la Constitution. Parce que
l'imprimerie nationale, dont c'est la principale attribution, est en
état de cessation d'activité. Est-ce vraiment sérieux ?
Célestin MONGA[1]
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lettre à Paul Biya
/ LA DEMOCRATIE TRUQUEE LETTRE OUVERTE A PAUL BIYA par Célestin MONGA
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