Les Etats sont en état de guerre permanent pour le contrôle des richesses et la
conquête d’espaces vitaux. Cette guerre qui est à la fois économique,
financière, politique et culturelle peut prendre des formes larvées lorsqu’elle
consiste en des écoutes téléphoniques, la propagande médiatique ou des cybers
attaques. Sa forme subtile et perverse est exprimée à travers les accords
économiques et commerciaux, les échanges bilatéraux et l’aide au développement.
C’est cependant à sa forme visible et brutale qui va des conquêtes médiévales,
aux différentes guerres contemporaines en passant par la colonisation que la
plupart des gens sont habitués.
L’un de ses champs de bataille du moment est l’agriculture
et le contrôle de l’alimentation où il se mène en ce moment une guerre perverse
: Faire semblant de soutenir l’agriculture des pays africains par des
financements pour la détruire en réalité à travers la submersion de nos marchés
par des denrées alimentaires subventionnées moins chères. C’est probablement le
champ de bataille le plus important car, pour citer Paul Daniel Bekima, un
analyste politique du journal Le Sphinx Hebdo et de Radio Afriqinter, il existe
un niveau de famine au-delà duquel aucun comportement rationnel n’est plus
possible ; brader ses ressources naturelles telles que l’or ou le pétrole ne
devient dès lors qu’une affaire de survie.
Celui qui contrôle l’alimentation, contrôle de façon ultime
le monde.
La guerre agricole consiste à séparer l’homme de la terre
mais aussi à lui fermer l’accès aux semences par la propagation des Organismes
Génétiquement Modifiés ou OGM. Les Etats africains doivent y répondre en se
remettant intensément dans le génie rural.
Ces éléments de géostratégie ne sont cependant pas
suffisants pour remettre à l’œuvre les populations qui avaient démissionné du
travail de la terre et étaient allées se réfugier en ville à la recherche d’un
emploi dans le secteur secondaire et tertiaire. Nous devons leur offrir quelque
chose d’autre qu’une stratégie de survie. Nous devons leur offrir le
développement.
Le développement ne consiste pas en soi en des routes
bitumées, des hôpitaux modernes ou la maitrise de la technologie. Le
développement, le véritable est celui qui fait du bien-être de l’être humain son
objectif et qui contribue à le bâtir sur le plan matériel, émotionnel et
spirituel. Comme plus de la moitié de la population active africaine est engagée
dans les activités agricoles (60% au Cameroun) et vit dans les zones rurales,
c’est dans celles-ci qu’une bonne partie du développement économique des nations
africaines doit prendre place. Et la terre dont on y dispose est suffisante pour
ce développement. C’est d’ailleurs la seule richesse dont disposaient les
premiers européens qui ont immigré en Amérique. Le but de cet article est de
montrer comment cela peut être fait.
LE CŒUR EST LE PREMIER OBSTACLE
L’idée principale de cette initiative est de créer et faire
financer par l’Etat, divers projets dans l’agriculture, la pisciculture,
l’élevage, le bois ou le bâtiment pour ne citer que ceux-là, permettant aux
populations de générer à partir du travail de la terre des revenus suffisants
pour se prendre en charge, développer leur environnement et transformer les
zones rurales en espaces où il fait bon vivre. Le but final est de sortir des
millions de personnes de la pauvreté. La réussite d’un projet aussi ambitieux
que je vais limiter ici à l’agriculture pour des raisons pratiques, dépend de la
façon dont on en gère les différents obstacles dont le premier est l’adhésion
enthousiaste des populations sans lequel aucun projet impliquant les hommes ne
peut réussir. Il faut d’abord conquérir les esprits et les cœurs.
La première des choses à faire est de détruire dans l’esprit
des populations ces idées qui associent le travail de la terre à la pauvreté et
créer en elles un esprit de vainqueur. Dans le processus, Il faudra effacer de
leurs mémoires ces moments d’abus, d’exploitation et de mensonges et leur
reparler dans la sincérité le langage de l’amour, du respect et de la
considération. Ce n’est que comme cela qu’on va rebâtir leur amour-propre,
recréer l’optimisme et instiller dans leur esprit la passion et l’enthousiasme
pour leur travail. Il faudra aussi leur expliquer que leur développement dépend
d’eux et qu’il est un objectif à portée de main.
Cet important travail psychologique peut être fait à travers
des discussions de groupes, des campagnes d’éducation, la projection de
documentaires, la propagation des slogans, les débats à la télévision tous
consacrés à rebâtir la fierté du travailleur de la terre. Ces femmes et hommes
qui pourvoient à notre alimentation sont non seulement des créateurs de
richesses, mais aussi de très importants acteurs du développement d’une nation
comme l’a prouvé le Vietnam.
Il faudrait aussi revaloriser l’agriculture, lui redonner
ses lettres de noblesse et créer à l’ouvrier de la terre un véritable statut
social car c’est le manque d’estime qui pousse les jeunes à rechercher du
travail dans des bureaux. Cet objectif peut être atteint entre autres, par la
création de symboles sociaux et professionnels tels qu’une carte d’identité de
planteur, un conseil de coordination réunissant les agriculteurs aux autorités
administratives, un accès privilégié et facilité aux soins de santé et des
récompenses collectives et individuelles comme nous le verrons plus
tard.
Une fois cet obstacle psychologique conquis, il faudra
partager la vision c'est-à-dire projeter leur imagination sur ce que deviendrait
leur vie au village à l’issue de ce projet : un environnement d’abondance et de
prospérité.
UN REVENU POUR TOUS
Le travail de la terre n’est ainsi que le premier maillon du
processus de revitalisation des zones rurales. Chaque village à l’issue de ce
programme devra être doté d’une adduction d’eau, d’électricité, de téléphone,
d’une école, d’un camp de sport, d’une route d’accès,
d’un hôpital, bref de tous les éléments du développement
économique et social. Et ces projets devront être réalisés pour la plus grande
part par les populations elles-mêmes. C’est la clé de cette
initiative.
Ce programme qu’on imagine national et qui consiste à mettre
en valeur toutes les surfaces cultivables du pays et à procurer du travail à des
millions de personnes ne concerne pas uniquement les populations rurales et les
émigrés économiques des villes, mais aussi ces jeunes citadins diplômés ou non
qui remplissent les cités à la recherche d’un revenu et d’un statut
social.
Ce genre d’initiative n’est pas nouveau. Le gouvernement
camerounais travaille déjà dans ce sens. Par conséquent, l’importance de cet
article se trouve dans ses innovations dont la fondamentale est de mettre le
bien-être des populations au centre de la dynamique, aux dépends d’objectifs
économiques nationaux. Le gain personnel étant la plus grande motivation des
individus, ces objectifs seront forcément atteints en tant que résultante de
cette approche.
La première innovation consiste à impliquer à nouveau l’Etat
dans l’agriculture comme avant le Programme d’Ajustement Structurel du Secteur
Agricole (PASA) mais cette fois-ci pas de façon permanente, ni omnipotente. Il
doit agir comme un coordinateur, une sorte de coach pour une population qui doit
se prendre en charge après un certain temps d’assistance. Les paysans africains
sont trop vulnérables pour faire face tous seuls à l’impitoyable guerre de la
nourriture car, pour citer Nel Ewane, un agronome camerounais vivant au Canada,
ils sont obligés de rivaliser non pas avec les agriculteurs du Nord, mais avec
les ministres de finances des pays industrialisés qui soutiennent leurs
agriculteurs à coups de milliards de dollars.
La deuxième innovation est d’établir une barre pour tous les
projets à un profit d’au minimum 1.200.000 FCFA l’année, ce qui équivaudrait à
un revenu moyen de 100.000 FCFA par mois et une production suffisante pour
couvrir les besoins de la consommation nationale et d’exportation. Cela suppose
évidemment voir les choses bien au-delà d’une activité de survie et doter les
agriculteurs et autres participants de moyens modernes pour une grande
productivité. Cette barre a un objectif psychologique : les amener à se voir en
hommes d’affaires, non pas en paysans travaillant pour survivre. Cela suppose
aussi, étant donné le caractère volatile des prix des denrées agricoles, la mise
en place d’une caisse de compensation ou de stabilisation comme ça se passe au
Canada pour un certain type de production.
Les candidats devront démontrer leur motivation en mettant
sur la table un gage de leur détermination et leur sérieux car s’ils ont quelque
chose à perdre ils mettront plus d’endurance à faire réussir l’entreprise. La
preuve de leur sérieux pourrait être démontrée par une contribution de 25% (ce
n’est qu’un exemple) du coût du projet, un terrain avec un début d’activité
agricole, un autre genre de projet déjà en début d’exécution etc.…
Ils devront remplir un formulaire qui décrit de façon
détaillée leur projet car leur implication dans son initiation leur permet de
s’en approprier augmentant ses chances de
succès. Il est tout aussi important que ces investissements
soient des crédits à rembourser et non des dons. Faire des dons inhibe le
véritable esprit débrouillard, travailleur, compétitif, endurant et indépendant
que l’on veut créer à travers ce programme. Ces microcrédits seront remboursés
en nature de façon graduelle et ne devraient pas être accordés en argent liquide
mais sous forme d’intrants et de matériel agricole.
Evidemment, un projet pareil devra être géré par une agence
nationale professionnalisée et compétente. D’autres agences gouvernementales
telles que le FONADER, La Banque Camerounaise de développement (BCD) ou le
Crédit Agricole du Cameroun ont échoué dans le micro-financement de
l’agriculture non seulement à cause d’une mauvaise gestion mais aussi de
l’incapacité à communiquer aux populations que l’agriculture et les projets du
génie rural ne sont pas une fin en soi, mais le moyen pour elles d’accéder à une
meilleure qualité de vie. Cette nouvelle agence ne devra pas se contenter à
soutenir les activités rurales, elle devra aussi aider les populations dans tout
le processus de conquête de leur adversité.
L’AGENCE NATIONALE DE DEVELOPPEMENT RURAL
(ANADER)
Ce projet devra être géré à l’échelle nationale par une
agence interdépartementale et autonome mais placée sous la tutelle du Ministère
de l’Agriculture et du Développement Rural. Elle devra être dirigée par un homme
ou une femme ayant capturé cette vision. En effet, son travail consistera moins
à gérer une structure d’Etat qu’à matérialiser une vision. Il faudra par
conséquent trouver une personne qui ne fait pas un travail pour un salaire, mais
qui mène une tâche par passion et amour. En effet, on ne peut gérer avec succès
une clientèle large et vulnérable que si on aime vraiment, le véritable amour
étant celui exprimé pour les démunis, les faibles et tous ceux qui n’ont rien à
donner en échange. Ce n’est que dans ces dispositions de cœur qu’elle
développera la passion nécessaire au succès du projet. Trouver ce genre de
personne sera probablement la tâche la plus difficile de cette
initiative.
Le directeur de cette agence devra être recruté à la suite
d’un processus compétitif de sélection, seul capable d’assurer que le meilleur
candidat soit choisi. Le brassage d’énormes quantités d’argent et la gestion
d’une grande clientèle exigent pour la réussite, une très grande intégrité. Ce
devra donc être un homme ou une femme honnête car ce n’est que comme cela que
nous éviterons de tomber dans les erreurs du passé de l’enrichissement
personnel, et qu’il s’entourera de collaborateurs intègres et compétents, autre
gage de succès de cette opération.
Cette agence sera chargée de la conception et de l’exécution
du programme. De façon spécifique, elle s’occupera de la mise en place du
programme de préparation psychologique, de l’octroi des microcrédits, de
l’organisation du travail sur le terrain, de l’appui technique et du plan de
développement des communes. Bien que ce cahier de charges semble énorme pour une
seule agence, il est important que la deuxième partie du programme qui consiste
en des projets de développement soit gérée par l’entité qui se sera déjà créée
un capital de confiance et affection auprès des populations.
L’ANADER sera par conséquent chargée de trouver des marchés
sous régionaux et internationaux et de la mise en condition des produits
alimentaires selon la norme internationale pour faciliter leur exportation.
Cette tache nécessite le recrutement de professionnels qualifiés de la
communication, du marketing et du négoce capables de conquérir les obstacles, o
combien nombreux du commerce international.
Les produits issus de ces projets devront être vendus à
l’ANADER qui garantira aux paysans l’écoulement automatique de leur production,
un peu comme le faisait auparavant la Mission de Développement des semences et
des cultures Vivrières ou MIDEVIV. L’agence devra débarrasser les paysans du
souci de l’enclavement des routes en aménageant des routes et en allant chercher
les produits dans les agglomérations rurales. Les candidats qui auront atteint
leurs objectifs et payé leurs dettes seront qualifiés pour des crédits plus
élevés afin de leur permettre d’agrandir leur activité.
L’ANADER à son tour les vendra sur le marché local, régional
et utilisera le bénéfice pour payer sa propre dette à l’Etat, étendre ses
capacités de crédit et ses activités. Le remboursement des crédits va forcer
cette agence à une gestion stricte qui débouchera naturellement sur son
autonomie financière.
DU CHAMP DE MANIOC AU TELEPHONE
PORTABLE
Après avoir maitrisé la phase purement agricole, les
agriculteurs devront s’impliquer dans la phase de transformation et de
conservation qui leur permettra de gagner en valeur ajoutée. Ainsi se
chargeront-elles-mêmes de la production d’huile de Palme, du séchage et
emballage du poisson fumé, de la production quasi –industrielle des dérivés du
manioc tels que le bâton de manioc destiné à l’exportation.
De puissants éléments de motivation sous forme de
récompenses personnelles et communautaires devraient être annoncés d’avance. Il
devra par exemple être connu que toute personne ayant atteint une certaine
quantité de production sera éligible pour le double des crédits et une
récompense de 5 cartes de consultation médicale gratuite. De façon similaire,
une communauté qui aura produit un certain tonnage de produits se verra octroyer
par l’Etat, une adduction d’eau potable, de l’électricité et une route décente
dans un premier temps. Un plus grand tonnage donnerait droit à un réseau de
distribution d’eau, une route bitumée et une tour de transmission de téléphone,
non seulement en tant que récompense à leurs efforts mais aussi parce que les
populations bénéficiaires sont capables de payer leur consommation.
On pourrait même faire mieux: encourager les communautés à
créer et gérer leur propre entreprise de distribution d’eau, d’électricité, et
d’autres projets de développement avec l’assistance de l’ANADER. C’est ce dur
labeur et le maitrise de la dynamique de développement et de leur futur qui crée
l’esprit de développement.
AUCUN PROBLEME N’EST
INSURMONTABLE
L’un des problèmes classiques de l’agriculture des pays en
voie de développement est la fluctuation des prix des denrées alimentaires
d’exportation, donc celui de débouchés fiables et stables. Ce problème pourrait
être conquis par une diversification stratégique associant cultures vivrières et
d’exportation, les premières toujours en demande ayant pour objectifs de
compenser le manque à gagner des exportations.
Le choix intelligent des cultures et l’augmentation de la
production alimentaire qui résulterait de la mise à l’œuvre de millions de
personnes pourrait exploiter le vaste marché interne souvent victime paradoxale
de carences alimentaires. Le Cameroun qui a importé pour 67 milliards de FCFA
des denrées alimentaires en 1994/1995 selon Hatcheu (2003) cité par Nel Ewane
dans sa brillante thèse de DEA, devrait investir dans la culture des céréales et
du riz, qui constituent l’essentiel de ses importations et au besoin transformer
certains champs des cultures d’exportations pour répondre d’abord à ses besoins
intérieurs à ceux des pays de la sous-région. C’est d’ailleurs comme cela qu’il
se mettra à l’abri du chantage alimentaire.
La transformation locale de nos denrées alimentaires
créerait une demande, donc un nouveau marché interne et régional pour nos
produits manufacturés. En effet, pourquoi le Tchadien, le Camerounais ou
l’Équato-guinéen irait-il acheter du yaourt ou des biscuits infestés de
pesticides, d’antibiotiques, d’hormones et de OGM s’il peut importer les mêmes
denrées, organiques cette fois, d’un pays dont la proximité géographique réduit
forcement le coût de transport ? Le problème de la qualité de nos produits
manufacturés peut simplement être réglé par le recrutement de professionnels
qualifiés, au besoin étrangers pour leur confection.
Pour clore sur les débouchés, citons enfin la diaspora
africaine, évaluée à des millions de personnes, riche en devises fortes comme
marché potentiel encore grandement sous-exploité. Une politique commerciale
intelligente et ciblée pourrait bénéficier de ce vaste marché. Le problème n’est
finalement pas tant celui de débouchés que de la faible production agricole de
pays qui ont pourtant un grand potentiel car malgré un taux de croissance
soutenu de 3%, un pays comme le Cameroun ne produit même pas assez pour ses
besoins.
L’autre problème à résoudre ici est le financement de cette
opération qui peut venir de nos matières extractives ou de la diaspora. En effet
les autres gouvernements africains pourraient comme le Ghana ou le Kenya
encourager leur diaspora à créer une banque locale pour financer des
microprojets. Cet investissement qui est beaucoup plus profitable pour la
diaspora que garder des fonds dans des banques en Europe ou en Amérique dépend
évidemment de la confiance que celle-ci a par rapport aux institutions
financières et aux régimes africains. Et elle ne parait pas débordante pour le
moment.
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