Cette fois encore, après les grands moyens déployés pour les inscriptions des
populations sur les listes électorales et le retour significatif des masses aux
urnes, le Rdpc a gagné, malgré d’énormes déchirements en son sein à la suite des
investitures de leurs candidats au double scrutin. Avec la percée électorale du
nouveau venu, le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (Mrc) et les
victoires, malgré tout, de l’Union des populations du Cameroun (Upc), la scène
politique nationale a été marquée par des frémissements, mais sans changement
notable du rapport de force dans l’échiquier politique. Tout porte à croire que
malgré la permanence des irrégularités, un nouveau temps de la politique s’ouvre
au Kamerun. Il reste aux entrepreneurs politiques de lire objectivement les
signes de ce temps et de savoir et pouvoir convertir celui-ci en de nouvelles
visions et productions politiques pour le Kamerun.
Après la grande effervescence des masses populaires pour la
participation à la vie politique lors du retour au multipartisme au Kamerun, on
observera très vite de ces mêmes masses, un certain abandon du terrain
politique. Quelles peuvent en être les causes ? Les positions inexplicables
d’une partie de l’opposition qui n’a pas su saisir l’opportunité d’une
participation aux élections législatives de 1992, et encore moins, pour celle
qui avait accepté d’y participer, l’incapacité d’utiliser de façon judicieuse
des victoires engrangées. Cette dernière, au lieu d’user de sa majorité
politique parlementaire pour s’imposer et offrir aux kamerunais des perspectives
d’ouverture d’une ère politique nouvelle, accepta s’allier au Rdpc. Viennent
ensuite la présidentielle d’octobre 1992 avec la victoire volée à l’opposition,
et la grande secousse politique qui faillit emporter le pouvoir Rdpc et son
Président Paul Biya. Toutefois, ce dernier saura se ressaisir et tout mettre en
œuvre pour bâillonner complètement l’opposition politique. Toutes les échéances
électorales qui suivront, seront entachées des plus graves irrégularités. Il en
résultera une participation minable de l’électorat national, malgré les
multiples manipulations du fichier électoral.
S’agissant d’une meilleure gestion d’un processus électoral
très critiqué, après l’échec du Minadt, et à la demande de l’opposition
politique et la Société civile, bientôt rejointes par les chancelleries
occidentales et les organismes internationaux, d’une Commission nationale
électorale indépendante (Ceni), en lieu et place, Paul Biya, sous pression,
concèdera Onel 1, Onel 2 et enfin Elecam. Dès sa mise en place, la
configuration anti constitutionnelle d’Elecam donnera assez de doutes quant à
sa neutralité politique et même à sa capacité organisationnelle, vu sa
constitution ainsi que les moyens à sa disposition.
Enfin, notre code
électoral, non consensuel, demeure décrié. Sans oublier les difficultés de
l’expression politique publique ainsi que la répression brutale dont les partis
politiques d’opposition et les associations sont systématiquement victimes lors
de leurs manifestations, à cause de loi de la déclaration de toute manifestation
publique à l’autorité publique. De son côté, l’autorité publique, afin de
museler l’opposition politique, surfe sur toute déclaration des manifestations
publiques, sujette, aujourd’hui, à un refus habituel, au motif de trouble à
l’ordre public. Ce qui par ricochet, réduit très sensiblement la présence active
et habituelle des partis politiques sur le terrain.
Ainsi, le double scrutin des législatives et des municipales
du 30 septembre 2013 va s’annoncer et se préfigurer sous de lourds nuages de
soupçons des irrégularités habituelles et de tiédeur participative de
l’électorat national, tel que décrit plus haut…
A ce moment, on s’interrogera, comme on ne nourrit pas sa
poule le jour du marché, comment attendre des partis politiques d’opposition qui
ont été à peine visibles sur le terrain pendant la période pré électorale, pour
les raisons précitées, qu’ils puissent accepter aller aux échéances et compétir
avec un maximum d’espoir de réussite dans de telles conditions ?
DE NOUVELLES DONNES ET DES
VICTOIRES…
Néanmoins, la majeure partie de la classe politique
kamerunaise s’est présentée à ces deux échéances, à l’exception d’une minorité
de partis politiques. Cette frange politique qui se compose de ceux qui ont été
recalés par Elecam, pour voir ensuite le rejet de leurs candidatures confirmé
par les juridictions compétentes, et de ceux qui consciemment et politiquement
continuent à combattre la légitimité d’Elecam et militent pour son remplacement
pur et simple par la Ceni consensuelle (Commission électorale nationale
indépendante).
Malheureusement, au lendemain du double scrutin, les mêmes
griefs faits, lors des échéances politiques antérieures au Minatd, à Onel 1 et
Onel 2, refont surfacent avec Elecam. A telle enseigne, Le Messager a titré :
Municipales et législatives : La victoire des irrégularités (1), le journal
Mutations a renchéri : Législatives et municipales 2013. Elections sur fond de
tensions et d’irrégularités (2). Et Xavier Messe de conclure : « Elecam fort
décrié au départ par la manière dont ses membres furent désignés, rassure
progressivement au fil des consultations électorales. Si la numérisation du
système électoral camerounais apporte de plus en plus de la sécurité et la
sérénité, l’élément humain demeure un gros handicap. La tricherie, l’achat des
consciences, les intimidations de toute nature sont autant de maux relevés plus
haut, qui font partie des comportements humains qu’aucune machine numérique,
fut-elle la plus sophistiquée ne saurait éliminer. » (3)
Cependant, la journée du double scrutin fut globalement
calme et sereine sur toute l’étendue du territoire. Contrairement à la situation
qui avait prévalu lorsque Alain Didier Olinga, pour les législatives et les
municipales de 2002, s’inquiétait à raison : « Quant à l’abstention, elle a été
unanimement considéré comme vainqueur des dernières élections. Plus d’un million
et demi d’électeurs inscrits se seront abstenus de voter. Cette donnée est une
interpellation sérieuse pour tous ceux qui aspirent à un enracinement de la
démocratie au Cameroun. La démocratie ne peut fonctionner qu’avec des citoyens
intéressés à la chose publique. » (4). Le journal Mutations quant à lui,
déclarait au lendemain de l’élection présidentielle de 2011 : « Présidentielle
2011. Le triomphe de l’abstention. » (5).
Cette fois-ci plusieurs
compatriotes s’accordent sur le fait que, malgré un taux de participation encore
en deçà du potentiel électorat réel du Kamerun, il y a un retour effectif des
électeurs aux les urnes. Pour Ekanè Anicet : « Ce que je note concernant ce
vote, c’est que la participation est importante. Les gens sont vraiment sortis
pour aller voter. Le taux de participation sera élevé. » (6).
Effectivement, on note un retour sensible des Kamerunais aux urnes avec un
taux de participation avoisinant les 75,4% selon Elecam, tandis que d’autres
observateurs modèrent celui-ci à 65% des inscrits (7). Objectivement, ce taux
est déjà mieux en termes de participation électorale des masses populaires par
rapport aux années précédentes.
Sûrement, cela serait le résultat de l’avènement de la
refonte des fichiers électoraux informatisés et du lourd investissement
financier réalisé à cet effet. A noter également, la mobilisation de plusieurs
partis d’opposition qui se sont investis à la tâche. A l’occasion, Cameroon
Tribune titrait : « Partis politiques. La chasse aux électeurs est ouverte »
(8). Et dans cette campagne pour de larges inscriptions sur les listes
électorales, relevons que les militants et sympathisants du Rdpc auront été les
plus nombreux à se présenter aux divers bureaux d’Elections cameroon et
également les plus nombreux à se rendre aux urnes en rapport de ce faible taux
d’inscription, relevé plus haut. Il faut mentionner avec insistance, qu’en
dehors des irrégularités décrites plus haut, cette particularité indiquait déjà
le sillage du verdict probable des urnes.
Comme il fallait s’y attendre, c’est un verdict sans appel.
En effet, malgré plusieurs déchirures en son sein suite aux investitures de ses
candidats et à la faveur d’une misère galopante dans la société, le Rdpc a
encore largement gagné aux municipales comme aux législatives. Au Nord-Kamerun,
la rude bataille de Garoua, bruyamment annoncée avec renfort de soldats de
dernière heure, a-t-elle été un flop ? Les positions politiques du Rdpc dans
l’ensemble du « Grand Nord » n’ont point été considérablement ébranlées.
Partout, ailleurs le Rdpc a encore hélas consolidé son obésité électorale
politique. Et son éclatement annoncé n’a pas eu lieu. A certains endroits, où le
parti des flammes a perdu, la bataille a opposé le Rdpc au Rdpc, tel Yabassi,
Bafia etc … Il est vrai qu’un analyste a titré : « Elections. Et les vainqueurs
sont le Rdpc… et les irrégularités » (9).
Mais plus sérieusement, ce ne sont pas seulement les
irrégularités qui ont fait gagner le parti administratif. La contexture de la
démocratie au Kamerun (qui en est somme toute une irrégularité aussi) est à
questionner autant que celle des partis politiques d’opposition. C’est pour cela
que l’expérience de la plate-forme (Udc, Afp, Cpp et Upc) bien qu’elle n’ait pas
produit les résultats escomptés, mérite une réflexion approfondie : à savoir si
ce sont les limites de temps, de moyens organisationnels ou la qualité du
déroulé du discours qui ont fait problème ? Car face à l’ogre Rdpc, sans
plate-forme politique de l’opposition réelle, un changement patriotique demeure
hypothétique.
Pour ce qui est des victoires, le Social democratic front
(Sdf), parmi tant d’autres partis, en a obtenues d’assez symboliques, à l’instar
de la Mairie de Douala III. Mais en même temps, il a enregistré des défaites
significatives dont Bamenda I et Santa (ville natale du Chairman).
Le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (Mrc), pour une
première participation aux échéances électorales, a fait une entrée
remarquable, malgré toutes ces irrégularités. L’Union nationale pour le progrès
et le développement (Undp), malgré sa déculottée aux Sénatoriales, a pu se
ressaisir en cette occasion, sans perdre particulièrement du terrain politique.
Quant au Front pour le salut national du Cameroun (Fsnc), malgré d’énormes
moyens financiers engagés pour ce double scrutin, à grand renfort de
déclarations fracassantes, a affiché une piètre prestation.
Par ailleurs, l’autre nouvelle donne de cette journée
électorale, hormis le taux de participation des électeurs en augmentation, est
constituée par les victoires de l’Union des populations du Cameroun (Upc) dans
les mairies de la Sanaga-Maritime et celles du Nyong et Kellé, et également les
députations du même département.
Les victoires de l’Upc, que certains assimilent à des
« bonus » accordés aux copains et coquins de la dictature parasitaire d’Etoudi,
nous interpellent, au-delà des clichés. Car, même si la réunion d’Edéa du 29
juin 2013, qui avait scellé la volonté de présenter des listes upécistes uniques
au double scrutin du 30 septembre 2013, a été finalement ombragée par la
rencontre du ….à Yaoundé avec le Minatd, notre lecture ne doit nullement
ignorer les dynamiques locales assez fortes, qui sous-tendent le débat politique
pour le Mouvement national upéciste dans le Kamerun et surtout dans le « pays
bassa ». Effectivement, toutes les listes de l’Upc n’ont pas gagné partout où
elles ont été présentées. Des raisons d’ordre stratégico-organisationnel, socio
culturel, de même que la qualité du discours déroulé pendant la campagne
électorale expliquent sans doute les résultats obtenus. Dans la Région de
l’Ouest où la culture est fortement établie sur le leadership d’un Chef, l’Upc
n’a, aujourd’hui, personne de ce terroir qui illustre sa vision. Le département
du Nyong et Kellé est plus homogène ethno culturellement que partout où l’Upc a
gagné. Il s’agit plus d’un cri de cœur des masses upécistes…
Malheureusement, les ténors upécistes qui ont participé au
double scrutin ne jurent que sur l’alliance Upc-Rdpc.
QUELLES PERSPECTIVES ?
Néanmoins, pour ces victoires de l’Upc, toute analyse qui ne
tiendrait pas compte des dynamiques internes et externes de tout fait réel, tout
regard superficiel porté sur elles, risque devenir un stéréotype. Car il ne
suffit pas d’affirmer des positions de résistance. Il est mieux de démontrer
des voies politiques de sortie. Car au-delà, de la nature politique réelle de
certains militants qui ont porté ces victoires et de la volonté du Rdpc et ses
maîtres sorciers de vassalisation de l’Union des populations du Cameroun, toute
réflexion sérieuse ne disqualifierait pas le cri de cœur des masses upécistes
face aux listes « unifiées » de l’Upc. Pour preuve, après le décompte des
bureaux des votes, qui donnait l’Upc vainqueur à la Mairie d’ Eséka : « un jour
avant la fin des travaux de la commission départementale de recensement, une
rumeur persistante a circulé selon laquelle le Rdpc aurait mobilisé plusieurs
dizaines de milliers de FCfa pour tenter de corrompre les membres de cette
commission. Et curieusement, le lendemain, 3 octobre, les premières tendances de
décomptes donnaient le Rdpc vainqueur avec une différence de 200 voix. (…). La
commission a dû reconnaître ce qui a alors été qualifié d’erreur imputée à la
saisie des données. Car les résultats avaient tout simplement été inversés.
Informés, des militants (de l’Upc) avaient déjà pris d’assaut le palais de
justice d’Eséka déterminés à sécuriser leurs votes » (10).
Concrètement, toute victoire de l’Upc doit s’éloigner de
toute recherche des strapontins d’un pouvoir moribond, mais être axée sur la
réorganisation efficace des structures du Mouvement, pour la conquête du pouvoir
politique d’Etat. La possibilité de la réussite de cette conquête passe par
l’unification de l’Upc. Nous sommes d’accord avec Woungly Massaga : « Pour un
rassemblement sans exclusive » (11), et fermes aussi avec Ndema Samé pour « Une
orientation politique claire » (12). Car ne l’oublions pas : « La question n’est
pas tant celle de savoir qui ressemble le plus à Um Nyobè ou Ouandié, mais
plutôt, de savoir qui, le mieux, en portant « l’âme immortelle du peuple
camerounais », permettra aux citoyens de prendre en leur destin, d’améliorer
leurs conditions de vie, bref de répondre aux questions de l’heure. »
(13).
Le Rassemblement démocratique du peuple camerounais a obtenu
des victoires pour cinq années encore, malgré toutes les turbulences en son
sein, la misère galopante du peuple, des multiples irrégularités mais aussi de
la turpitude de l’opposition kamerunaise. Pour une rare fois, nous nous
accordons avec Issa Tchiroma qui dit : «Nous avions pensé que nous avions
affaire à des forteresses inébranlables ; nous les avions secouées et elles ont
résisté. Nous leur avions trouvé des failles, des talons d’Achille. Je peux vous
l’assurer : la prochaine sortie sera la bonne. » (14).
Assurément, pour ceux des entrepreneurs politiques qui ont
enfin compris que l’amateurisme doit céder le pas au professionnalisme, et que
les toutes les pesanteurs rencontrées ne sont pas des obstacles infranchissables
mais plutôt des occasions de faire chaque fois montre d’une maturité politique
grandissante, il faut en être convaincu : le temps de la politique est de retour
au Kamerun.
1- Le Messager n° 3932 du mardi 1er octobre 2013. P,
1
2- Mutations n° 3496 mardi 1er octobre 2013. P, 1
3- Xavier Messe,
Encore du chemin à faire. Mutations n° 3500. Lundi 07 octobre 2013. P, 3
4-
Alain Didier Olinga, « Bilan politique et sociologique de législatives et des
municipales de 2002. La Nouvelle Expression n° 2031 du vendredi 27 juillet
2007. P, 8
5- Mutations n° 3008 Lundi 10 octobre 2011. P, 1
6- Anicet
Ekanè, Une participation importante. Cameroon Tribune mardi 01 octobre 2013. P,
11
7- Nicolas Vounsia, Elections. Controverse autour du taux de
participation. Mutations n° 3503. Jeudi 10 octobre 2013. P.4
8- Armand
Essogo, Partis politiques. La chasse des électeurs est ouverte. Cameroon Tribune
vendredi 18 janvier 2012. P.5
9- Serge D. Bontsebe, Elections. Et les
vainqueurs sont, le Rdpc… et les irrégularités. Mutations n° 3507. Vendredi 18
octobre 2013. P, 7
10- Claude Tadjon, La pression monte dans le Nyong et
Kellé. Le Jour n° 1538 du jeudi 10 octobre 2013. P, 4
11-Steve Libam et J.B.
Ketchateng, Woungly Massaga : « Pour un rassemblement sans exclusive ». Cameroon
Tribune jeudi 29 décembre 2011. P, 11
12- Steve Libam et J.B. Ketchateng, A.
Ndema Samé : « Pour une orientation politique claire ». Cameroon Tribune jeudi
29 décembre 2011. P, 11
13- Brice T. Sigankwé, Raoul Simo : « L’Upc est
morte avec Um Nyobè ». L’Actu Quotidien n°138 du jeudi 3 novembre 2011. P,
10
14- Victorine Byi-Nfor et J.B. Ketchateng, Issa Tchiroma « Bravo à toute
la classe politique ». Cameroon Tribune. Vendredi 18 octobre 2013. P,
5
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/ David EKAMBI DIBONGUE : APRES LE DOUBLE SCRUTIN DE 2013 : EST-CE LE RETOUR DU TEMPS DE LA POLITIQUE AU KAMERUN ?
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