Le Pape François a reçu le vendredi 18 octobre passé le chef de l’Etat
camerounais et sa suite. Sur le site de l’Etat du Vatican, on peut lire ceci : «
Le Saint- Père a reçu ce matin le Président camerounais M.Paul Biya, qui s'est
ensuite entretenu avec le Secrétaire pour les relations avec les états Mgr.
Dominique Mamberti. Ces entretiens cordiaux ont permis aux parties de se
féliciter de la qualité de relations renforcées par l'aboutissement d'un
accord-cadre sur le statut juridique de l'Eglise catholique, qui sera très
prochainement signé. Dans ce contexte, le chef de l'Etat a exprimé
l'appréciation par son pays de l'action de l'Eglise au sein de la société
camerounaise, tout particulièrement en matière d'éducation et de santé, mais
aussi en faveur de la paix et de la réconciliation. Il a également été question
de certains aspects relatifs à l'Afrique subsaharienne et du rôle que le
Cameroun joue pour favoriser la sécurité et la paix régionale. »
Les formes et usages diplomatiques ont été bien respectés. Qu’un chef d’Etat
soit reçu par le Pape dans le cadre des relations diplomatiques de son pays avec
le Vatican, c’est presque banal. Ce rituel est presque quotidien au Vatican car
malgré le refrain de la laïcité l’autorité morale et spirituelle du Pape dans le
monde laisse très peu de chefs d’Etats indifférents. En son temps, saint Paul
écrivait: « J'insiste avant tout pour qu'on fasse des prières de demande,
d'intercession et d'action de grâce pour tous les hommes, pour les chefs d'État
et tous ceux qui ont des responsabilités, afin que nous puissions mener notre
vie dans le calme et la sécurité, en hommes religieux et sérieux. Voilà une
vraie prière, que Dieu, notre Sauveur, peut accepter, car il veut que tous les
hommes soient sauvés et arrivent à connaître pleinement la vérité. » (1Tim2,
1-2).
Le Vatican a toujours eu le souci de bonnes relations avec les différents
Etats justement pour qu’en toute liberté l’Eglise catholique puisse mener ses
activités dans le calme et la sécurité, dans le respect de l’autorité politique
mais sans toutefois perdre son rôle prophétique. Ces relations facilitent aussi
la collaboration entre autorités politiques et responsables religieux dans la
poursuite des causes sociales communes telles que la santé et l’éducation. Et
s’il y a justement un domaine dans lequel l’Eglise catholique s’est distinguée
positivement dans la société camerounaise, c’est bien celui de la santé et de
l’éducation où la dignité humaine est capitale.
Mais reconnaissons-le les usages diplomatiques et la fonction prophétique
cohabitent en général difficilement, pour la simple raison que la diplomatie au
sens mondain du terme s’accommode bien de l’hypocrisie, d’omissions, de
demi-vérités, voire de mensonges, qui ne sont pas des vertus évangéliques. C’est
pour cela que l’Eglise ne fait pas la politique. Ce qui m’intéresse ici ce n’est
pas ce que le Pape et le Chef de l’Etat camerounais se sont dit mais plutôt ce
qu’on n’a très probablement pas dit au Pape François sur le Cameroun. En effet,
dans le cadre des relations diplomatiques nous pêchons si souvent par omission.
Le tête-à-tête entre le Pape François et notre président a duré une quinzaine de
minutes suivi du traditionnel échange de cadeaux. Le pape a reçu du chef de
l’Etat camerounais une statue de la vierge avec l’enfant Jésus plus des
chasubles fabriquées par des religieuses camerounaises et portant les empreintes
artistiques d’un célèbre jésuite Camerounais, le P. Engelbert Mveng de regrettée
mémoire.
On ne pouvait pas trouver mieux puisque le pape lui-même est jésuite. Si je
ne peux que me réjouir de l’honneur ainsi fait à l’un de mes ainés et confrères,
comment oublier que c’est sous le présent régime qu’il a été brutalement
assassiné en 1995 et que les circonstances de ce meurtre crapuleux n’ont jamais
été élucidées. On doit à cet excellent artiste, historien et théologien entre
autres le logo de l’université de Yaoundé 1, les fresques de l’emblématique
monument de la réunification, une oeuvre d’art originale et bien sûr le recueil
de poèmes « Balafon » que les jeunes générations continuent à déguster dans le
cadre des programmes scolaires. On n’a sûrement pas dit au Pape François que le
régime en place n’a fait aucun effort pour élucider les circonstances de sa
mort. Le dossier a été purement et simplement classé et les démarches des
Jésuites pour en savoir plus ont été vaines. S’il en est ainsi des hommes et
femmes de cette envergure au Cameroun, qu’en est-il donc des pauvres dont se
soucie tant le Pape François ? Ils n’ont aucune chance dans un système
judiciaire très corrompu et peu indépendant comme le nôtre d’avoir accès à la
justice.
On n’a pas dit au Pape François que la souveraineté populaire est une fiction
au Cameroun, que la démocratie camerounaise est en panne parce que le régime
qu’il recevait a verrouillé le système électoral pour se donner les moyens de se
reproduire et de se maintenir. Non seulement en plein 21ème siècle le chef de
l’Etat est au pouvoir depuis 31 ans mais dans un pays comme le Cameroun, le
parti au pouvoir vient de « gagner » pour la énième fois les élections
législatives avec 148 sièges sur 180. C’est presque le retour au parti unique, à
la seule différence que quelques miettes sont laissées aux partis d’opposition
pour donner une coloration multipartiste au parlement camerounais.
Cette comédie dure depuis les indépendances et vit de l’avilissement des
hauts cadres de l’administration camerounaise qui ont vendu leur âme à un
système de corruption électorale. On n’a pas dit au Pape François qu’il recevait
un gouvernement qui s’en fout des pauvres et de la dignité humaine. Ils vivent
dans un luxe insolent et se remplissent les poches alors que l’immense majorité
des Camerounais est condamnée à des stratégies de survie dans le secteur
informel. Ils ne savent pas ce qu’est le respect du bien commun dont parle si
souvent la doctrine sociale de l’Eglise. Parce qu’ils ne pensent qu’à euxmêmes,
ils n’ont aucune vision pour la jeunesse camerounaise durement éprouvée par le
chômage et constamment tentée par l’aventure d’émigration clandestine dont la
récente tragédie de Lampedusa traduit bien les risques. On n’a pas dit au Pape
François que le Cameroun est un pays où la relative stabilité cache une grande
détresse humaine et une grande misère matérielle, spirituelle et morale.
On n’a pas dit au Pape François que le Cameroun est un pays riche mais dont
les habitants sont Très Pauvres et Très Endettés à cause du déficit d’éthique et
de gouvernance. Oui, nous n’avons pas osé enlever nos masques pour que la
lumière de l’évangile éclaire nos visages et les révèle tels qu’ils sont. Dans
la mouvance des reformes en cours, le Vatican aura à repenser son système
diplomatique pour que son souci des bonnes relations avec les Etats ne soit pas
préjudiciable au rôle prophétique de l’Eglise dans la cité, car comme le
recommande St Paul, « proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps,
dénonce le mal, fais des reproches, encourage, mais avec une grande patience et
avec le souci d’instruire» (2Tim4, 2). Jésus avait-il vraiment besoin de bonnes
relations ou de relations privilégiées avec Hérode ou Pilate pour faire son
travail ? Je ne crois pas ! Il annonçait l’évangile à temps et à contretemps et
ses instructions à ses disciples sont claires : « Si l'on refuse de vous
accueillir et d'écouter vos paroles, sortez de cette maison ou de cette ville,
en secouant la poussière de vos pieds.
Amen, je vous le dis : au jour du Jugement, le pays de Sodome et de Gomorrhe
sera traité moins sévèrement que cette ville. Voici que je vous envoie comme des
brebis au milieu des loups. Soyez donc adroits comme les serpents, et candides
comme les colombes » (Mt 10, 14-16). Dans un monde et dans un pays comme le
nôtre qui ressemble de plus en plus à Sodome et Gomorrhe, une Eglise qui n’est
pas persécutée doit se poser des questions sur la qualité de son témoignage.
Dans un pays comme le nôtre tous les chrétiens dignes de ce nom devraient être
sur la croix. La diplomatie fait difficilement bon ménage avec le service de la
vérité. Et la meilleure manière d’éviter que des tragédies comme celles de
Lampedusa ne se reproduisent est d’évangéliser à temps et à contretemps les
régimes comme celui de Yaoundé afin qu’ils passent des ténèbres de l’injustice
et de l’hypocrisie à la lumière de la justice et de la vérité. Que Dieu bénisse
le Cameroun !
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