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LETTRE OUVERTE AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE : LA RATIFICATION DES APE AVEC L’UNION EUROPÉENNE SERAIT SUICIDAIRE POUR LE CAMEROUN par Eugene Nyambal

Mr. Le Président de La République,
Au moment où le destin de notre pays se décide dans les coulisses autour des négociations pour la ratification des Accords de Partenariat Economique (APE) avec l’Union Européenne (UE), je m’adresse à vous comme un patriote et avec l’humilité d’un fils du Cameroun pour vous suggérer de renoncer à ce « Traité Inégal ». L’APE risque en effet d’hypothéquer l’avenir de plusieurs générations de Camerounais et d’anéantir tout effort visant à faire du Cameroun une société de stabilité et de prospérité.
Les enjeux autour de l’APE sont de taille. Sur le plan géostratégique, le monde est en pleine mutation et l’Afrique est considérée comme le prochain continent émergent compte tenu de l’abondance de ses ressources naturelles et de sa croissance démographique. Ce potentiel est perçu par les partenaires de l’Afrique comme une opportunité à saisir pour alimenter leur croissance et rester dans la course pour l’hégémonie mondiale.

Incapable de remettre en cause son modèle de développement pour mieux affronter la compétition mondiale, l’Europe a décidé de « chasser en meute » pour capter les marchés africains et lier de manière irréversible la destinée des deux continents avec les APE.
La ratification des APE représente une course solitaire et suicidaire pour le Cameroun
Les APE visent, rappelons-le, à instaurer une zone de libre-échange entre l’UE et les économies faiblement structurées des pays ACP à travers la suppression immédiate des droits de douane sur les produits importés par l’UE auprès des pays ACP signataires (sauf pour le riz et le sucre) et une suppression progressive des droits de douane sur les produits importés par les pays ACP auprès de l’UE. En contrepartie, l’UE s’engage à supprimer progressivement les subventions agricoles et à augmenter l’aide au développement pour soutenir la mise à niveau des infrastructures, du secteur agro-alimentaire, de l’industrie ainsi que les réformes institutionnelles.
Permettez-moi, Mr. Le Président de relever un fait troublant : malgré les pressions de l’UE sur les ensembles sous régionaux (CEDEAO, CEMAC, SADC, ESA, Caraïbes et Pacifique), seule la région des Caraïbes a signé un APE en 2007.
Dans la région Afrique centrale, seul le Cameroun a choisi d’ignorer les réticences de la société civile, de ses partenaires sous-régionaux et de l’Association des Industriels Africains et a conclu un accord intérimaire de partenariat avec l’UE en 2007. Celui-ci expire le 1er Octobre 2014 et notre pays s’achemine visiblement vers la ratification d’un APE définitif qui impliquerait de facto son application sur toute l’Afrique Centrale.

Pour justifier cette ratification, on met en avant la volonté de promouvoir « l’économie la plus diversifiée de la sous-région », de favoriser l’Emergence en 2035 et de garantir l’accès de nos produits dans l’espace européen sans quotas ni droits de douane. Il s’agit notamment de la banane, de l’aluminium, des produits transformés du bois et des fruits et légumes d’une valeur totale d’environ 200 milliards de francs CFA par an. En contrepartie, le Cameroun s’est engagé en 2008 à libéraliser 80% des importations en provenance de l’UE à partir de 2021. Mais selon plusieurs experts nationaux, cette libéralisation pourrait coûter à l’Etat des pertes de l’ordre de 70% des recettes douanières, soit un total de 1300 milliards de francs CFA en 2023 et 2470 milliards en 2030 en sus du coût d’adaptation et de modernisation de l’économie camerounaise qui se situerait autour de 2500 milliards de francs CFA.
Pour inciter le Cameroun à ratifier cet accord, l’UE a mis en place un programme de mise à niveau des entreprises camerounaises à hauteur de 6,5 milliards de francs CFA en vue de les aider à conquérir le marché européen dans la sidérurgie, la métallurgie, le textile, l’agro-alimentaire, le tourisme, le BTP, l’électronique, la mécanique, le cuir et la chaussure. Cependant, il s’agit de secteurs dans lesquels notre pays ne dispose d’aucun atout pour s’imposer sur le marché domestique ou prendre des parts de marché en Europe compte tenu des contraintes de capacité et des barrières non-tarifaires.
La ratification des APE obligera le Cameroun à renouer avec les Programmes d’Ajustement
Dans ces conditions, notre pays ne saurait s’engager dans l’aventurisme économique. Il devrait rejeter la ratification des APE pour les raisons suivantes :
L’expérience montre que les précédents accords préférentiels avec l’UE (Convention de Lomé en 1975, Accord de Cotonou en 2000 et « Tout Sauf les Armes ») n’ont pas permis d’enrayer le déclin de la part des pays africains dans les importations de l’UE en raison de la faiblesse des capacités productives des pays ACP, de la persistance des subventions agricoles et des barrières non-douanières telles que les normes phytosanitaires. Les APE interviennent en plus dans un contexte où la balance commerciale du Cameroun est structurellement déficitaire, où la croissance est tirée par le secteur pétrolier et les dépenses publiques. Une ouverture réciproque des marchés pourrait détruire durablement notre tissu agricole et industriel au moment où il a besoin de la plus grande attention pour réaliser son potentiel. 
Une concurrence frontale entre les producteurs camerounais et européens risque également de faire de notre pays un vaste comptoir commercial pour les produits européens, contribuant à la création d’emplois en Europe... et à la destruction d’emplois au Cameroun. Ce qui réduirait à néant les objectifs des « Grandes Ambitions ».
En raison de la baisse des recettes fiscales et du rétrécissement de la base productive, les APE réduiront aussi la capacité de l'Etat à générer des ressources propres pour financer son fonctionnement et les investissements publics. Par conséquent, le Gouvernement n’aura d’autre choix que de taxer davantage les contribuables et solliciter les financements du FMI et de l'UE. Ceci entrainera une montée vertigineuse de l'endettement et le recours aux Programmes d'Ajustement Structurel (PAS). Un tel scenario réduirait nos marges de manœuvre pour diversifier l’économie et faire face au défi de société que représente l’emploi des jeunes. Sommes-nous prêts, quelques années après l’atteinte du Point d’Achèvement de l’Initiative PPTE, à renouer avec les PAS après l’expérience douloureuse des deux dernières décennies ayant entraîné la destruction du tissu économique et social du Cameroun?
Enfin, les APE pourraient porter un coup fatal à la dynamique d'intégration régionale. Face à l’invasion des produits de l’UE et aux pertes de recettes fiscales occasionnées par le Cameroun, la réaction des autres pays membres de la CEMAC et de la CEEAC reste imprévisible.
Le libre-échangisme des APE est incompatible avec l’Emergence du Cameroun en 2035
Aucun pays n’est arrivé à l’Emergence industrielle grâce au libre échangisme. Comme le montrent la crise des pays du Sud de l’Europe face à la locomotive allemande ainsi que l’incapacité de l’Afrique à tirer profit de la mondialisation, le libre-échange a pour conséquence la soumission des Etats les plus faibles au diktat des nations les plus avancées. En ce qui concerne le Cameroun, compte tenu de l’accrochage du franc CFA à l’Euro, la mise en place d’un accord de libre-échange avec l’Union Européenne équivaudrait à une entrée de facto de notre pays dans cet espace économique au même titre que les DOM-TOM. Or, contrairement aux DOM-TOM et aux Etats les moins avancés de l’UE,  le Cameroun ne bénéficiera ni des fonds structurels destinés à corriger les déséquilibres de développement interétatiques, ni de la libre circulation de ses citoyens et de sa main d’œuvre dans l’espace européen. Un tel revirement de notre part serait impardonnable face au verdict de l’Histoire. Car il anéantirait les acquis des cinq dernières décennies ainsi que les sacrifices de nos martyrs.
L’expérience historique montre également que pour passer de la pauvreté de masse à l’émergence économique, les pays avancés ont mis en œuvre des politiques volontaristes destinées à promouvoir les industries naissantes, qu’il s’agisse de l’Europe, des Etats Unis, du Japon, des Dragons asiatiques ou de l’Ile-Maurice voire de la Tunisie. Ces politiques ont un double volet: d’une part, un minimum de protection du marché domestique tout en organisant un environnement favorable à l’investissement et une compétition vigoureuse entre les entreprises et d’autre part la promotion des industries exportatrices à travers une stratégie conquérante appuyée par indicateurs de performance clairs ainsi que des incitations idoines et la maîtrise du coûts des facteurs de production. Afin d’obtenir les résultats escomptés, ces pays ont souvent mis en place des dispositifs visant à assurer la cohérence des politiques économiques, sociales  et structurelles avec les objectifs à atteindre qu’il s’agisse des instruments budgétaire, des marchés publics, du financement de l’économie, de la formation, des infrastructures,  des accords de coopération et de la « Feuille de Route » servant à évaluer le Gouvernement.
Avant la révolution industrielle américaine, les Etats-Unis ont rejeté avec force les propositions Britanniques visant à instaurer le libre-échange entre les deux pays. Le Cameroun serait-il aujourd’hui mieux armé que les autres pays pour tirer profit du libre échange avec le plus grand bloc économique du monde? Pouvons-nous sacrifier l’avenir et l’ensemble de l’économie camerounaise pour protéger la banane de Njombe, l’aluminium d’Edéa et notre bois aujourd’hui encore exporté sans valeur ajoutée significative – et exporté de surcroît par des entreprises étrangères installées au Cameroun? 
Mr. Le Président, au moment où vous souhaitez accélérer la mise en œuvre des « Grandes Ambitions » en vue de renforcer la croissance et la création d’emplois, le Cameroun ne saurait, dans une course aussi solitaire que suicidaire, servir de « cheval de Troie » à l’UE en Afrique Centrale. Votre action ne saurait être associée, ni au sacrifice du bien être et de l’avenir des populations des sept pays membres de la CEEAC, ni encore moins au chômage de millions de jeunes. Malgré les relations historiques avec nos partenaires européens, l’Afrique centrale demeure notre principal point d’ancrage pour la prospérité. Nous ne saurions par conséquent, en temps de paix et en l’absence d’un traité de reddition, condamner nos producteurs, nos familles et notre jeunesse à la pauvreté de masse.
Nous n’avons pas le droit de transformer unilatéralement et durablement le Cameroun et l’Afrique Centrale en une armée de consommateurs au bénéfice des entreprises installées en Europe et au détriment de celles opérant dans le triangle national et la sous région. Et compte tenu de la part insignifiante de l’aide de l’UE dans le budget national, nous n’avons pas l’obligation de signer un accord en contradiction avec nos intérêts à long-terme. Nous tous, simples citoyens camerounais, gouvernement, partis politiques et organisations de la société civile, avons par contre un devoir: engager de toute urgence un débat vigoureux avant toute décision finale sur la ratification de l’APE.
Mr. le Président, permettez-moi de vous suggérer, avec la plus grande humilité et au nom de la jeunesse camerounaise, de résister aux arguments visant à amener le Cameroun à ratifier les APE avec l’Union Européenne. Au besoin, toute la nation vous saurait gré d’organiser une consultation populaire par voie référendaire sur l’opportunité ou non d’une ratification de ce « Traité Inégal ». Le cas échéant, les représentants du peuple devront prendre leurs responsabilités face à l’Histoire, à leurs familles et aux citoyens camerounais. A mon humble avis, Monsieur le président, c’est la seule manière de préserver des marges de manœuvre pour l’avenir de notre pays.
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