Je m’étais retrouvé au pays parce qu’il était écrit que je devais le voir mourir. Il était malade. Il souffrait d’hypertension depuis plusieurs années et avait aussi des maux d’estomac. Rien d’incurable donc ou d’immédiatement mortel. Mais il est mort le 19 mars 2006, quelques jours après être sorti de l’Hôpital Général de Yaoundé. Les médecins l’ont laissé mourir sans soins, à la maison, à la Cité Verte, Montée Lycée. Comme s’il avait été atteint de cancer en phase finale. Le nom de son médecin m’est resté là en travers de la gorge. Comme m’est resté dans l’esprit le nom du directeur général de la Sosucam, Louis Yinda, autoproclamé « duc de Ngompem », ami de Dieu et des puissants, décoré par le Saint-Siège, grand cadre du RDPC, qui esclavage de pauvres Camerounais dans les champs de cannes de Vilgrain et Castel.
Mon père me dictait des lettres, quand il était devenu trop fatigué pour écrire. Je me rappelle de celles, dans ses derniers moments, où il refusait avec toute la diplomatie qui le caractérisait que le les douanes et le fisc camerounais continuent d’être spoliés par la Sosucam et donc la France. Il ne disait jamais de mal de monsieur Yinda, mais tout ce qu’il me faisait écrire à ce type m’inspirait tellement de dégoût. Je me rappelle aussi d’une conversation avec le docteur Essomba qui s’était lâché sur cet inamovible DG : personne mieux qu’un médecin ne peut vous dire quelles sont les pratiques que dénonçait presque naïvement CAE. A la limite, c’est leur intimité… ! Mais quand de telles gens survivent à la vertu incarnée, mon père, je dis que je voudrais me retrouver en enfer avec eux, juste pour les voir cramer, ils ont tous plus de gras que moi, ce sera autrement cuisant pour eux.
Huit ans après, je n’ai toujours pas organisé avec mes jeunes frères ses funérailles. Je ne suis allé dans mon village qu’une fois, c’était pour l’enterrer. Jamais il ne nous y avait emmenés de son vivant, jamais après son enterrement on est même simplement partis désherber sa tombe. L’être humain est capable de beaucoup de lâchetés, en même temps beaucoup d’autres motifs expliquent mes manquements à mes devoirs filiaux… C’est qu’il est parti trop tôt, ce n’est pas normal ce pays où des gens meurent à 0, 10, 20, 30, 40 et 50 ans. Il faut comprendre pourquoi les gens meurent si vite, si nombreux, si facilement. En chercher systématiquement les causes. En ce qui concerne mon père, j’ai toujours eu le sentiment qu’on l’a laissé mourir. Ceux qui y avaient intérêt à la Sosucam.
C’est pourquoi, après une réaction de bon sens à la mort du jeune loup, Ateba Eyéné, après une première réaction « responsable », j’ai de plus en plus penché à croire que quelqu’un quelque part a forcément donné un ordre du genre : « un écrivain pour l’exemple ! ».
Il y a des morts qui arrivent pour stimuler notre colère, autrement on boit nos Guinness, on fume notre mbanga, et on se félicite de notre petite existence bien « équilibrée » qui en réalité est une existence bien misérable à la merci de la première brise soufflant, qui peut l’emporter.
Chaque fois que je suis parti du Cameroun, c’est avec une sorte de stress, chaque fois que je suis retourné au pays, c’est avec impatience et excitation, j’aime mon pays. Mais je m’interroge de plus en plus, sur ce pays où en cas de maladie compliquée l’on ne peut être sauvé qu’en étant évacué hors des frontières… Fabrique-t-on de la mort là-bas, quand l’Europe serait une manufacture de la vie ? Ce pays où quelqu’un qui dit avoir gagné FCFA 300 millions avec la vente de ses livres peut mourir faute de deux petits millions…aux Urgences ! Les urgences, c’est l’accidentel, c’est l’imprévisible, c’est l’urgence… Comment quelqu’un qu’on disait si malade a-t-il pu aller mourir aux urgences après « 3 semaines de maladie(s) » ? Comment mon père qui s’est mis en congé de sa Sosucam pour aller se soigner, il y est allé en marchant à l’hôpital général, tout gros parce qu’il avait « de l’eau dans le corps », en est sorti en fauteuil roulant, pour mourir quelques jours après, la peau sur les os, la peau sans ses eaux, comme un sidéen?
Un enfant qui pourrit dans le ventre de sa mère : je pense qu’il y a des médecins qui doivent être mis en prison ou un ministre de la santé qui doit démissionner… Suis-je vraiment le seul à trouver que l’on ne s’indigne pas assez de mourir si tôt au Cameroun parce qu’on ne peut se faire soigner en Suisse ou à Monaco ? On parle du 8 mars, d’égalité et de parité et de postes de souveraineté, alors que chaque mois des milliers de jeunes filles meurent d’être tombées enceintes, des milliers d’enfants meurent à la naissance, avant ou tout de suite après: est-ce que tout ça a un sens ?
Je n’ai jamais été hospitalisé ni souffert d’une affection autre que le mal d’yeux, des maux de tête ou de mélancolie, celle que je cultive des fois pour produire des choses saines. Mais en restant au Cameroun, il ne me reste en réalité que 15 ans environ à vivre (nos années se comptent comme celles des chiens) et, circonstance aggravante, je suis un personnage public qui s’attaque à des individus sans morale : finalement il ne me reste au Cameroun que 5 à 7 ans de sursis. Jacques Chirac en France et moi au Cameroun, on a exactement la même espérance de la différence possible des années qui nous restent à solder. Et encore ! C’est statistique ! Le Cameroun fait naitre des écrivains et les enterre, il ne sait pas les faire vivre, il les aide à mourir. Combien d’années, déjà, Mongo Beti a-t-il tenu vivant au Cameroun ? Et Engelbert Mveng ? Bon, là je mélange assassinats et non-assassinats présumés.
En tout cas je vais désormais au Cameroun comme on va à un mouroir. Par rapport à mon pays, je suis presque en position de fuite : il n’y a rien (voyages, thèses, littérature, réseaux, activités diverses, etc.) que je ne puisse en réalité faire en étant basé à Yaoundé. Qu’est-ce que je fais à Paris ? Même au fin fond de mon village natal à Monatélé, j’ai de quoi mener mes activités principales de réflexion, d’écriture et de production d’idées. Je serai là en juin pour les dédicaces de mon prochain roman, c’est sûr. Je n’ai pas de peur spécifique, mais je suis angoissé, si attristé d’être d’un tel pays. Où des fils de paysans ont oublié leurs origines frustes et ont amassé des centaines de milliards pour les leurs, pendant que leurs chers compatriotes crèvent faute de soins, d’hôpitaux et de médecins. Quanquam miseria ! Quelle misère des fois, c’est, de se dire camerounais. Surtout quand on part d’un Etat, la France, où l’on bénéficie d’une couverture médicale et l’on se soigne gratos parce qu’on y a passé plus de trois mois. Que manque-t-il à monsieur notre président pour faire enfin quelque chose de grand pour son pays? Du pétrole? Des milliards? Ou bien un cœur? Nos chers Suisses peuvent-ils lui implanter un pacemaker ou lui transplanter le ventricule manquant, pour lui faire ressentir des émotions comme la compassion et la pitié pour son peuple ?
Le roi doit mourir
Landry est un ami très proche, on a été au Canada ensemble, il était au Cameroun quand mon père est mort, on s’est retrouvés à Paris où il vit depuis quelques années, marié à une Française. Landry sait que j’écris, il aime cela, mais je ne crois pas qu’il me lise souvent. Il m’a écrit il y a deux jours pour me dire que certaines personnes n’étaient pas contentes de mon dernier papier dans le Huffpost (http://www.huffingtonpost.fr/eric-essono-tsimi/yaounde-climat-dexecution_b_4948046.html ). Dans ma chronique, je concluais sur l’état de déliquescence du Cameroun en disant que notre « roi devait mourir pour que vive la république ».
J’explique ce que cela veut dire. Dans les monarchies, jadis, quand le roi mourait on disait : « le roi est mort, vive le roi ». Je ne souhaite pas qu’à la mort de notre roi, un autre roi lui succède mais qu’enfin une république émerge. Oui je souhaite la mort de notre roi, pas celle du père de famille, ni de l’individu, mais la mort de ce qu’il représente, de l’institution, des dérives… Si Paul Biya doit mourir pour qu’on se porte mieux, eh bien qu’il meure ! En tant que notre chef, il doit être le premier capable de sacrifices. J’ai su à quel point on était tombés bas quand dans un plateau de télévision, je me suis retrouvé avec des politiciens chevronnés qui reprochaient au Gouvernement de n’avoir pas évacué CAE. Pourquoi doit-on encore évacuer des fonctionnaires aux frais de la princesse ? C’est un dérèglement, un dysfonctionnement désormais présenté comme une norme. Pourquoi l’Etat ne peut-il pas créer des conditions minimales pour des soins et une sécurité sociale aussi basiques que ceux qui ont manqué au disparu ? La paix sans la santé, la paix sans le sentiment de sécurité, la paix en mendiant, la paix de s’enivrer à mort, quelle paix ! Il faut voir comment notre président se surprotège de ses pacifiques concitoyens : sommes-nous si dangereux qu’il ne puisse circuler comme tout le monde ? Nous punit-il de tout le tourment sécuritaire qu’on lui impose, nous qui nous permettons de penser qu’il a trop duré et que c’est aujourd’hui indécent sa présence à la tête de l’Etat ?
Je t’aime toi mon père qui est au Ciel mais je ne mourrai pas, comme toi, en respectant des dégénérés qui ne méritent que mépris et crachats à la figure. Au Cameroun, nous sommes passés de la barbarie proclamée dans la version originale de notre hymne national à la décadence, sans connaître la civilisation, autrement que par la colonisation. En démocratie nous sommes en retard de plusieurs leçons. De même vivons-nous, sur les choses essentielles, en retard de plusieurs siècles par rapport aux nations modernes. Que ceux qui depuis l’Europe vous disent le contraire rentrent et qu’on confirme. On est tous ici d’abord parce qu’ « on bénéficie de la protection d’une organisation que l’on appelle ETAT », pour le moment absent au Cameroun.
J’ai entendu des Camerounais parler de CAE comme d’un aigri. Hé ben, il nous faut plus d’aigris ! Si on en est encore là, arriérés et misérables, c’est parce que ceux qui souffraient ou ont été injustement déclassés et maltraités comme mon père ont gardé les valeurs traditionnelles de respect illimité de l’autorité … Il faut que plus d’aigris, plus de souffreteux donnent de la voix. On a le droit de ne pas se satisfaire de sa condition. Ce n’est pas en se taisant et en applaudissant qu’on fait avancer les choses.
35 milliards pour des manifestations folkloriques, pour alimenter un débat anglophone/francophone (est-ce la plus pertinente de nos hiérarchies d’appartenance ? ces attributs coloniaux et les querelles sur le statut de ces langues sont vaines. Si elles persistent, on en jette une et on garde l’autre point barre), pour fabriquer des monuments aussitôt oubliés alors que Camerounais sont évacués en Europe pour des angines, des accidents de circulation, des rhumatismes.
Comme je l’ai dit, ce roi-là doit mourir et s’il y a des gens qui n’ont pas aimé ce que j’ai écrit dans ma chronique au Huffpost, Landry, je leur dis merde, c’est bien fait pour leur gueule, ils aimeront de moins en moins, tant que ne me sera pas refilée une maladie cardiaque, rénale ou handicapante. Cinq ouvrages à la postérité, à l’échelle du Cameroun, cinq romans, essai, théâtre, nouvelles, dont certains sont disponibles dans les bibliothèques des plus prestigieuses universités américaines comme Yale, Berkeley, Harvard, à l’Université Laval, en France, en Allemagne, et au Cameroun, c’est assez pour s’en aller heureux.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire
Laissez nous un commentaire sur cet opinion.