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Télécommunications: Comment l’Etat s’est offert le WACS par Marlyse SIBATCHEU

C’est l’épilogue de l’affaire du câble sous-marin à fibre optique Wacs, objet de divergences entre l’Etat du Cameroun et l’opérateur de téléphonie mobile Mtn depuis l’année 2009. Finalement, Mtn a accepté de céder à l’Etat la gestion du point d’atterrissement du Wacs (West africa cable system) qu’il avait aménagé à Limbé afin de connecter le Cameroun à l’Internet haut débit. L’accord de cession conclu au terme de 25 mois de négociations a été paraphé jeudi 24 juillet 2014 à Yaoundé par Karl Toriola, le directeur général de Mtn-Cameroon et Jean-Pierre Biyiti Bi Essam, le ministre des Postes et télécommunications. L’Etat va payer 2,11 milliards Fcfa en guise de remboursement des investissements réalisés par Mtn pour construire et équiper la station Wacs de Limbé. Il va aussi débourser 25 millions de dollars, soit environ 12 milliards Fcfa, pour payer son entrée au Consortium Wacs réunissant les propriétaires de ce câble sous-marin. 


Un investissement sud-africain 

Long de 14.530 km, le câble sous-marin à fibre optique Wacs relie Yzerfontein en Afrique du Sud, à Londres au Royaume-Uni. Il représente un investissement de 650 millions de dollars, soit près de 312 milliards Fcfa supporté par les membres du consortium Wacs qui sont pour l’essentiel l’Etat sud-africain et de grandes entreprises d’Afrique du Sud. Ce câble sous-marin avait été construit initialement pour fournir la connexion Internet haut débit aux Universités sud-africaines. Désormais aussi, il connecte à la fibre optique, 10 pays le long de la côte atlantique de l’Afrique. Le Cameroun est un de ces pays connectés, à la demande du Groupe MTN. 

Le point d’atterrissement du Wacs à Limbé sera ainsi le deuxième point de connexion du Cameroun à la fibre optique, après le câble sous-marin Sat3 (South atlantic3) auquel le pays est arrimé depuis 2002. Seulement, le Sat3 exploité par Camtel, comporte des limites certaines qui n’ont pas permis un véritable développement de l’Internet au Cameroun, jusqu’ici. Camtel avait sollicité une capacité de 10 Gigabits par seconde(Gbps). La capacité a été portée à 20Gbps en 2009 pour prévenir des risques de saturation. Ces 20Gbps ne suffisent pas vraiment à fournir une connexion fluide à tous ceux, particuliers et entreprises, qui en ont besoin. Surtout que la demande est sans cesse croissante. 

Ensuite, Camtel vend cette fibre optique aux opérateurs à des prix exorbitants, qui sont répercutés aux usagers. Les prix de la bande passante pratiqués par Camtel sont même 10 fois plus élevés qu’au Sénégal par exemple (voir encadré) ! Egalement, le Sat-3, avec un unique point d’atterrissement, est dépourvu de solution alternative. Il n’offre pas toutes les garanties de sécurité en cas de sécurité. Le Cameroun avait ainsi été coupé d’Internet pendant 7 jours en novembre 2007 suite à une panne survenue sur ce câble sous-marin. 


Une infrastructure stratégique 

Plus grave encore, selon les experts, le Sat-3 arrive bientôt au terme de sa durée de vie et ne pourra par conséquent plus répondre aux besoins de connectivité du Cameroun. Le Sat-3 devrait en effet être mis hors service en 2022. C’est dire si l’arrimage au câble Wacs arrive à point nommé. Une véritable aubaine pour le pays. C’est « un jalon essentiel, primordial, du Cameroun des grandes réalisations car, le Cameroun émergent à l’horizon 2035 sera numérique ou ne sera pas », se félicite le ministre Jean-Pierre Biyiti Bi Essam. Sans doute à raison, le gouvernement présente le point d’atterrissement de Limbé comme une infrastructure stratégique. Avec 5,12 térabits par seconde, le Wacs offrira des capacités au moins 15 fois supérieures à celles du Sat3. Il ouvrira ainsi les autoroutes mondiales de l’information qui faciliteront l’accès des Camerounais à des offres modernes de télé-enseignement, télémédecine, e-commerce, etc. Avec ses prix abordables, le Wacs devrait également entraîner la baisse des coûts de communication et favoriser considérablement la démocratisation de l’Internet. Et, pour ne pas déplaire au gouvernement, ce câble sous-marin va renforcer la position du Cameroun comme leader et hub sous-régional en matière des Tic, avec le Tchad et la Rca comme principaux clients. 

L’arrimage au Wacs « est la réponse palpable de notre secteur à la demande sans cesse croissante des entreprises, des Camerounais de tout bord, pour l’utilisation dans leur vie privée et dans leur vie professionnelle, des connexions à haut débit et très haut débit à des prix abordables (…) S’ouvrent encore plus grandes pour notre jeunesse estudiantine, pour nos entreprises, pour l’arrière-pays, pour nos échanges, pour notre recherche, les portes de la croissance et du développement tous azimuts de notre cher et beau pays», se satisfait encore le ministre des Postes et Télécommunications. 


‘’Aéroport numérique’’ 

A Mtn, on n’est pas moins enthousiaste. « Le Groupe Mtn est fier d’être partenaire de la vision du gouvernement camerounais pour le développement des télécommunications. Le Wacs est une preuve tangible de l’engagement constant de Mtn pour le développement du Cameroun », renchérit le directeur général de Mtn-Cameroon. Depuis 2009, les responsables de l’opérateur leader des télécommunications au Cameroun ont appris à faire contre mauvaise fortune bon cœur; tant il est vrai que la cession du point d’atterrissement Wacs de Limbé s’apparente quelque peu à un coup de force. Le Wacs était disponible et prêt à améliorer la connectivité du Cameroun depuis au moins deux ans. Mais, Mtn ne pouvait pas l’exploiter, l’Etat ne lui en ayant pas donné l’autorisation. C’est en 2009 que l’opérateur de téléphonie mobile avait fait aboutir le câble Wacs à Limbé. Rien ne le lui interdisait à l’époque. Seulement, en 2010, le gouvernement a fait voter à l’Assemblée nationale une loi en vertu de laquelle, seul l’Etat peut exploiter les points d’atterrissement de câbles sous-marins au Cameroun. Au ministère des Postes et télécommunications, on parle d’un domaine de souveraineté. 

Pour le ministre Jean-Pierre Biyiti Bi Essam, en effet, le point d’atterrissement est «un aéroport numérique » et un aéroport ne saurait être géré par des privés. Une curiosité bien camerounaise, quand on sait que dans des pays d’Afrique de l’Ouest et de l’Est qui ont pris une avance considérable sur le Cameroun dans le développement des télécommunications, des opérateurs privés ont parfaitement le droit de poser et d’exploiter la fibre optique. Ce qui fait dire à un économiste que l’on assiste à une sorte de « protectionnisme mal placé de l’Etat qui veut contrôler la fibre optique ouverte au libre marché ailleurs, alors que le même Etat privatise l’eau et l’électricité dont il devrait garder le contrôle». 


Un défi pour Camtel 

De fait, l’Etat va confier à Camtel la gestion du point d’atterrissement de Limbé, construit et équipé par Mtn. Les nombreux bénéfices que les Camerounais sont en droit d’attendre du Wacs dépendront donc de l’exploitation que Camtel en fera. Pour le ministre Jean-Pierre Biyiti Bi Essam, le défi qui attend Camtel est «celui du respect du principe de l’accès ouvert qui garantit un accès équitable à tous les opérateurs», mais aussi le défi «du prix large bande qui doit être abordable à l’échelle du Cameroun, et de la sous-région». Un véritable défi, quand on sait que Camtel est pour beaucoup dans le retard en matière de télécommunications, que le Cameroun accuse aujourd’hui sur les pays africains de même taille. Le taux de pénétration de l’Internet stagne désespérément chez nous à moins de 5%, alors qu’il s’élève déjà à 53% au Kenya par exemple. Le monopole accordé à Camtel dans la gestion de la fibre optique a manifestement été contre-productif jusqu’ici. 

Il reste à espérer que le Wacs apportera les améliorations que les usagers attendent dans leur utilisation quotidienne de l’Internet. 
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