Nos fantômes resurgissent de plus en plus. Ils se muent en des monstres qui vont nous engloutir dans le chaos. La menace Boko Haram est en train de réveiller nos fantômes car l’Etat néocolonial, pour une première, est testé à rude épreuve.
La grandeur des peuples se mesure face aux crises auxquelles elles font face. C’est justement à ces moments que toute l’élite se distingue. Elle, en évitant de sombrer dans des calculs ethnocentristes, doit penser la société à travers ses valeurs profondes et son histoire. Ce qui contraste avec la triste image que nous observons ces derniers temps. De fil en aiguille, nous sommes en train de façonner la bêtise, la bêtise absolue.
Une poignée de personnes se revendiquant comme « élite » de la Lekié viennent de franchir la ligne jaune. Ces usurpateurs veulent faire croire que les populations du Nord conspirent contre une partie de la Nation. En bref, que le peuple conspire contre lui-même. Une bêtise qui a été largement relayée par les médias et, plus grave, par les médias publics.
Cela n’est que la manifestation de la myopie d’une certaine élite. Depuis que nous subissons les attaques à l’extrême-nord, une bonne partie d’entre-elle préfère laisser prospérer la thèse d’une rébellion ourdie par un complot interne en lieu et place de Boko Haram. Parmi eux, des caciques du régime Biya, des journalistes et, plus grave, des patrons des services de sécurité pensent sincèrement que Boko Haram est une fiction. Pour eux, cette rébellion est montée par une conspiration de certaines élites du Nord Kamerun. L’article de Fanny Pigeaud, qui est venue renforcer cette théorie, a le mérite de montrer, en faisant parler ses sources, que même le haut commandement de l’armée comme du renseignement y pense avec ferme conviction (le fait d‘avoir pris la version de ces sources comme vérité d’évangile a concouru à empoisonner l’opinion).
Quels sont les arguments qui fondent cette théorie ?
Le premier est le fait que les assaillants, au Kamerun, ont un mode opératoire différent de celui utilisé au Nigeria. Ils n’attaquent que les symboles de l’Etat et de la république et épargnent les civils, les écoles et églises. Le second argument est le fait que Boko Haram ne revendique pas les attaques perpétrées au Kamerun. Le troisième argument est le fait que le Président de l’Assemblée Nationale, pilier du régime Biya, ait dénoncé des complicités internes (autre vérité d’évangile qui se serait retournée contre l’envoyeur comme un boomerang). Tout ceci permet de déduire que les élites du grand Nord (dont fait partie le président de l’Assemblée Nationale qui en sait des choses et Marafa, ami des puissances occidentales) sont en train de comploter avec l’aide des puissances occidentales contre le régime de Biya. Tout paraît clair et limpide.
Cependant, parmi ces trois arguments, les deux premières sont incorrectes et l’autre relève d’un procès en sorcellerie. Le premier argument incorrect est sur le mode opératoire. Boko Haram a toujours, depuis 2009, attaqué les institutions et les symboles de la république. Il y a pleins d’exemples dont l’attaque du 1er avril 2011 du poste de police de Bauchi, attaque le 15 avril 2011 du Bureau à la commission électorale à Maïduguri, l’attaque du 17 juin 2011 contre le quartier général de la police à Abuja et l’assassinat du frère du vice- gouverneur Garba el-Kanemi ou la tentative d’assassinat contre ce dernier, etc;
Le second argument incorrect est le fait que Boko haram ne revendique pas ses attaques. L’enlèvement de la famille Moulin-Fournier a bel et bien été revendiqué ainsi que l’enlèvement du
père Georges Vandenbeusch. En dehors des enlèvements et des attentats, Boko Haram ne revendique pas très souvent ses attaques armées parce qu’elles parlent d’elles-mêmes par le biais de la propagande qui se fait concomitamment à l’attaque et par la signature de l’attaque (la terreur).
Le dernier argument n’engage que ceux qui veulent croire (cela peut être vrai, une simple frustration aussi ou un partage de rançon qui a mal tourné). Ce type de dénonciations fut récurrent au Nigeria depuis 2006. Jamais, on n’a tranché le débat qui permettait de savoir si elles étaient avérées. Ce qui a contribué à agrémenter les divisions et à affaiblir l’Etat par là même. En principe après la dénonciation du Président de l’Assemblée Nationale, le gouvernement devait communiquer sur la véracité ou non de cette information et la justice devait se saisir afin d’éviter toute psychose.
Quel est le plus grand péril qui nous guette ?
Les menaces, comme Boko Haram, réussissent en général à parvenir à deux phénomènes : la psychose dans l’appareil étatique et l’essoufflement de l’Etat.
En ce qui concerne l’essoufflement de l’Etat, cela tient du fait que la guerre a un coût et un coût qui pèse davantage sur nos faibles économies. Après déjà quelques mois de guerre, le gouvernement a baissé la subvention sur le carburant afin de dégager des fonds pour la guerre. D’ailleurs, le gouvernement a laissé entrevoir qu’il pourrait annuler totalement la subvention (afin de tenir sur la durée). Mais comme à son habitude, le régime, au lieu d’en appeler à l’effort national, préfère la ruse et le mensonge (Faire croire à l’opinion que la SONARA ne raffine pas le pétrole kamerunais fut une grosse arnaque) pour nous faire gober cette augmentation du carburant. Ainsi, l’inflation va aller grandissante et, de plus en plus, le peuple n’acceptera plus de payer le prix pour une politique économique dont ils ne comprennent pas le bien fondé. La rue va gronder, c’est inéluctable. Et sans un consensus social, les conflits vont se transformer en des crises violentes (Connaissant la nature du régime, on sait d’où la violence viendra).
En ce qui concerne la psychose de l’Etat, la terreur perpétrée par les attaques de Boko Haram ne vise pas seulement à créer la psychose dans l’opinion mais aussi au sein de l’élite gouvernante et des institutions de l’Etat. Ce qui a comme conséquence de désorganiser les différentes structures de l’Etat jusqu’à ce que l’Etat soit complètement grippé (C’est le cas du Mali, de la Centrafrique et de l’Irak). Des conspirations peuvent germer dans ce contexte mais ne seront pas la menace principale et la plus déterminante. D’ailleurs, les conspirations sont plus des manifestations de la défaillance de nos Etats néocoloniaux, de nos satrapies. En supposant le scenario d’une conspiration interne, comment cette conspiration pourrait domestiquer une organisation structurée, qui effectue une propagande depuis au moins 2009, qui recrute par milliers, qui dispose d’armements, de logistiques et de tactiques très sophistiqués. Sachant qu’une conspiration ne peut avoir autant de cadre (sinon elle ne serait plus une) mais aussi autant d’atouts organisationnel, logistique et spatio-temporel. Pour mieux illustrer cela, il y a au moins 2 précédents historiques : le cas du Mali où le MNLA a composé avec des groupes djihadistes mais n’a jamais pu ni les domestiquer ni contrôler entièrement le Nord ; Le cas de la Syrie où le Conseil National Syrien n’est devenu qu’un figurant face à l’EIIL. La thèse d’une conspiration est une éventualité qui relève plus de la faiblesse de nos Etats et ne pourrait substituer la menace Boko Haram.
Ainsi, on voit les gouvernants et les politiques s’accuser mutuellement d’incapacité et de conspiration. Nous avons déjà commencé à le voir au Kamerun. Le président de l’Assemblée fut le premier à céder et la bande à Eyebé a suivi. Les solutions, qu’apporte le régime, aggravent la situation. Au lieu de faire appel au sentiment national rassemblant les forces vives de la Nation, le régime use de mensonges et de ruses. C’est un mensonge de nous faire croire que, pour sauver la Nation, il faut sauver la présidence et, surtout, le président. C’est une ruse de laisser prospérer dans l’opinion et, plus grave, dans les structures d’Etat la thèse d’une conspiration d’une certaine élite avec l’aide des puissances occidentales. Surtout quand le régime, qui sait avec exactitude la réalité de Boko Haram, sollicite et collabore avec ces mêmes puissances pour essayer de cerner la menace.
Ce qui nous faut craindre, c’est la faillite de notre Etat car cela nous entrainera dans un chaos. L’Etat néocolonial est en crise. La Lybie, le Mali, la RCA, l’Irak et, plus tôt, la Somalie illustrent cela à merveille. (Cheikh Anta Diop nous mettait déjà en garde que notre avenir ne pouvait plus se faire dans ces Etats.). Cependant, les faiblesses inhérentes à ce régime ne lui permettront pas de résoudre, du moins sur la durée, cette crise profonde. Car ce régime se sert et s’est toujours servi du mensonge, de l’exclusion, de la corruption et de la violence pour imposer un Etat inopérant. C’est ce que nous appelons, le CONTENTIEUX HISTORIQUE. C’est bien un mensonge que faire dire que Boko Haram n’existe pas au Kamerun ou qu’en se rangeant derrière le président, on va sauver la Nation. C’est diviser les Kamerunais lorsque les caciques du régime, qui disent parler pour la Lekié, accusent une partie de la population. La corruption a déjà tout gangréné tout le système au point que même la gestion des rançons a fait jaser la presse. Il ne restera que la violence, qui a toujours été latente, pour boucler la boucle.
Quelles sont leurs solutions ?
Comme il est reconnu par tous les analystes, la solution à une guerre asymétrique est 20% militaire et 80% politique. Et comme, nous venons de le démontrer le régime actuel a des faiblesses inhérentes à sa nature qui ne lui permet pas d’appeler à la mobilisation nationale mais aussi de transformer efficacement notre Etat. La réponse est à 2 niveaux : du côté des forces progressistes et du côté des forces populaires. Elles doivent prendre leurs responsabilités pour résoudre cette menace dont le régime ne pourrait efficacement résoudre.
J’en appelle aux progressistes afin qu’elle se structure dans une plateforme commune afin d’être des forces de propositions (qui permettront d’élever la qualité des débats publiques) et des facteurs de transformation de nos Etats néocoloniaux en crise.
J’en appelle aux forces populaires de s’unir pour susciter la solidarité nationale. Aux personnalités religieuses, chefs traditionnels, artistes, leaders d’opinion, sportifs jouissant d’une renommée, intellectuels, à rejoindre le collectif « Perdons pas le Nord ». Le Collectif « Perdons Pas le Nord » prévoit organiser :
* des manifestations en solidarité avec les populations du Nord ;
* des meetings et concerts dans l’Extrême-Nord et Yaoundé ;
* une opération « coup de cœur » qui permettra de collecter des dons en nature (boîtes de sardine, sac de riz, céréales, etc) auprès de chaque citoyen afin de matérialiser la solidarité nationale. On ne doit pas seulement faire appel au peuple pour le football
C’est justement face à ce type de crise que le peuple Kamerunais se doit de montrer sa grandeur. Le peuple ne doit pas PERDRE LE NORD.
NZOUABET Hervé,Pour la Dynamique Sankofa,Co-Coordonnateur du collectif « Perdons pas le Nord »
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