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FAMILLE ET MARIAGE : POUR TOUS À LA LUMIÈRE DU SYNODE SUR LA FAMILLE ? PAR DR VINCENT-SOSTHÈNE FOUDA

253 experts convoqués par le Pape François sont réunis à Rome depuis le dimanche 5 octobre 2014 pour débattre de la famille dans un Synode qui lui est consacré. Pour ceux et celles qui suivent avec vigilance l’évolution de l’Eglise Catholique, on se croirait revenu aux premières années de l’après-Concile tellement les échanges ont été vifs et vigoureux sans être rugueux avant l’ouverture de ce Synode. 
C’est Walter Cardinal Kasper qui a ouvert les débats le 20 février 2014 en ouverture du Consistoire des cardinaux sur la famille. Le Cardinal allemand avait alors appelé l’Eglise à se garder d’une « image romantique irréaliste » du mariage. Le Pape avait lui-même enfoncé le clou en affirmant que « l’Eglise n’est pas seule à être un hôpital de campagne ; la famille elle aussi est un hôpital de campagne avec beaucoup de blessures à soigner et de larmes à essuyer ». Le Cardinal Kasper n’a pas attendu longtemps pour recevoir une réponse puisqu’il s’est constitué une opposition à ses idées avec les cardinaux « frondeurs » qui ne voient pas d’un bon œil l’ouverture envisagée par les propositions de Kasper et appellent dans un ouvrage collectif paru le 25 septembre dans son édition française à « Demeurer dans la vérité du Christ » et considère que les ouvertures préconisées par le Cardinal Kasper, inspirées du rapprochement théologique avec l’Eglise orthodoxe pourraient déboucher sur « des erreurs d’interprétation sur la miséricorde » notamment en ce qui concerne les divorcés remariés civilement.

Ce qui se joue à Rome pour les 20 prochains jours est cependant loin d’être une affaire de divorcés remariés et de leur accès aux sacrements. Non, il s’agit de savoir comment l’Eglise se représente aujourd’hui la famille. L’encyclique Humanae Vitae avait été juste après le concile Vatican II un terrain d’échange afin de porter la parole du sommet de l’Eglise à la base qui est l’Eglise vivante ; aujourd’hui il est peut-être nécessaire de sortir des textes conciliaires pour écouter les familles qui sont « l’Eglise domestique ».
Rappel historique
Il y a trente ans, du 26 septembre au 25 octobre 1980, se déroula à Rome la cinquième assemblée générale du Synode des évêques, sur le thème « les tâches de la famille chrétienne dans le monde d’aujourd’hui ». Je n’étais qu’un enfant d’une douzaine d’années. Les conclusions de ce Synode ont aujourd’hui une incidence sur ce que je suis et sur comment je vis la famille. Il est important de rappeler qu’il y eut un véritable affrontement entre le Nord et le Sud, notamment sur des sujets tels que la génération des campagnes massives de contraception, l’invasion des modèles occidentaux de nouvelles familles (ce qui aujourd’hui s’appelle le caractère universel de la famille). Le Nord lui avait des questions sur le mariage des baptisés non-croyants, la régulation des naissances, l’approche pastorale graduelle. A la fin de ce
premier synode, le Pape Jean-Paul II avait réaffirmé l’indissolubilité du mariage et la non-admission à l’eucharistie des divorcés remariés, tout en les appelant à participer pleinement à la vie de l’Eglise. Je ne voudrais pas frustrer les spécialistes du Vatican, c'est pourquoi je mentionne aussi qu’un an après, fut publiée l’exhortation apostolique conclusive, Familiaris Consortio, Ode à la famille catholique. Elle devint la charte du pontificat de Jean-Paul II. Il consacrera plus de 170 catéchèses à l’amour et à la famille, créant aussi le Conseil Pontifical pour la Famille et un Institut Pontifical pour le Mariage et la Famille.
Que sont donc devenues les questions soulevées par les pays du Sud lors de cette rencontre ?
L’indissolubilité du mariage
Derrière cette problématique, c’est la difficulté de l’articulation de la théologie pastorale avec la théologie dogmatique qui est posée. Peut-on modifier la théologie pastorale sans toucher à la dogmatique ? Autrement dit, dans le cas qui va occuper (en partie) le Synode, peut-on autoriser la communion eucharistique aux divorcés remariés sans remettre indirectement en cause le dogme de l’indissolubilité du mariage ? Commençons par rappeler l’essence du sacrement de mariage.
On connaît la définition du Magistère : le mariage est le sacrement de l’unité du Christ et de l’Eglise. La condition de possibilité de cette unité repose sur une autre union, antérieure et qui la fonde : celle de l’unité du Logos et de la nature humaine en Jésus-Christ. La qualification de l’union sacramentelle dans le mariage est indissociable de la qualification de l’union de la divinité et de l’humanité dans le Christ. « Union sans confusion » (des deux natures), confesse le concile de Chalcédoine ; union réelle confesse l’Eglise contre le docétisme (pour lequel le Christ a assumé une apparence d’humanité) ; union indissoluble confesse la fête de l’Ascension, puisque le Christ fait un retour au Père avec la nature humaine (par l’incarnation, la chair devient coextensive à la divinité).
Remettre en cause l’indissolubilité du mariage, c’est donc tantôt remettre en cause la réalité de l’incarnation, tantôt fragiliser l’union de l’Eglise et du Christ.
Ce n’est pas un hasard si les communautés chrétiennes séparées de la communion romaine connaissent une discipline différente relativement au mariage (pensons aux Anglicans : Henry VIII a modifié l’ecclésiologie pour justifier son divorce avec Catherine d’Aragon). L’ecclésiologie a partie liée avec la théologie du mariage : toucher à l’une, c’est toucher à l’autre. D’où cette conséquence relative à la question de la communion eucharistique des divorces remariés : pour être possible, cette communion passe par une modification de l’enseignement de l’Eglise latine relatif à l’indissolubilité du mariage. Ou plus exactement, elle passe par une redéfinition du concept d’unité sur lequel repose cette indissolubilité. Or on voit mal comment, sans contradiction, tenir ensemble le mode d’unité défini par Chalcédoine (union sans confusion) et une forme de distance entre les deux natures dans l’incarnation (et donc entre l’Eglise et le Christ). Ce serait, comme l’écrit Saint Jean, « dissoudre » le Christ. Etant donné le caractère systémique de l’unité induite par le sacrement du mariage, revenir pour des motifs pastoraux sur l’indissolubilité reviendrait à exposer l’ecclésiologie, et avant elle la christologie, à une refonte complète. Il est difficilement pensable que le Synode puisse s’engager sérieusement dans un tel chantier.
Devant cette impasse, peut-on recourir à l’argument qui voudrait qu’ici comme en d’autres domaines la théologie latine du mariage souffre d’une « excroissance » dogmatique (romaine) due à l’éloignement des deux Eglises apostoliques, d’Occident et d’Orient ? C’est peut-être ce que veut laisser entendre le cardinal Kasper, et il n’est pas étonnant que la chose vienne de celui qui a longtemps été à la tête de la commission pontificale pour l’unité des chrétiens, c’est-à-dire d’un théologien habitué à prendre en compte des perspectives théologiques dépassant les limites (visibles) de la dogmatique latine. Sur ce point, plutôt que la levée de boucliers des cardinaux pour lesquels la perspective (œcuménique) du cardinal Kasper induit une remise en cause implicite de l’indissolubilité du mariage telle que la conçoit l’Eglise latine, on aimerait connaître la position du cardinal Koch, qui a succédé à Walter Kasper à la tête du conseil pontifical pour l’unité des chrétiens. A plusieurs reprises, notamment lors des négociations avec la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X (les Lefebvristes de Mgr Marcel Lefebvre), c’est Kurt Koch qui a replacé question de la « tradition » dans l’horizon plus large de l’enseignement de Vatican II sur l’Eglise (on peut d’ailleurs voir dans ces interventions l’écho de la position authentique de Benoît XVI). Or comme la réouverture du dossier des divorcés remariés provient, on s’en souvient, d’une impulsion donnée par Benoît XVI, l’avis du cardinal Koch apporterait une lumière double. D’abord, elle permettrait, ici aussi, de ne pas enfermer le débat qui s’ouvre dans une perspective « latino-romaine » ; ensuite, elle donnerait peut-être indirectement voix au théologien Benoît XVI. La marge de manœuvre reste de toute façon mince et s’il y a un éclaircissement ou une « avancée » auxquels on puisse s’attendre, c’est que la question (pastorale) de l’accès des divorcés remariés à l’eucharistie sera désolidarisée de la question (dogmatique) de l’indissolubilité du mariage.
Autrement dit, tout le bruit qui entoure cette question depuis février 2014 repose sur un malentendu. Ou plutôt sur une question mal posée.
Car ce n’est pas le dogme de l’indissolubilité qu’il convient de revoir, mais la pastorale du mariage mise en œuvre depuis une quarantaine d’années. En rouvrant cette question, Benoît XVI avait été très clair : combien de couples divorcés remariés étaient-ils initialement validement mariés ? Combien de couples ont-ils accédé au sacrement de mariage sans remplir les conditions (pastorales) requises pour cela ? Les fidèles engagés sans discernement dans le sacrement du mariage ont connu des difficultés analogues à celles qu’ont rencontrées les fidèles engagés dans le sacrement de l’ordre ou les vœux de religion dans les « Nouvelles communautés ». L’absence de discernement et le manque de prudence ont produit dans les deux cas des catastrophes humaines dont la responsabilité incombe pour une part non négligeable à la légèreté pastorale avec laquelle on a traité le sacrement du mariage – le discours équivoque sur les « époux-agents, ministres du sacrement », et avant lui la conception du mariage comme « remèdes à la concupiscence » ne sont pas étrangers à la chose. Ce que souligne indirectement le cardinal Kasper, avec réalisme, c’est d’abord cette catastrophe pastorale dont ont été victimes (en même temps qu’agents) beaucoup de fidèles. Il conviendrait d’abord d’en prendre la mesure et de procéder aux réformes nécessaires avant d’agiter le spectre du relativisme dogmatique.
Un débat Européocentriste ?
Pas forcément ! Les pays du Sud même s’ils n’ont pas envoyé d’experts à Rome sont représentés au niveau des conférences épiscopales (par leurs présidents respectifs, mais aussi par un couple venu du Congo RDC). Ils auront leur mot à dire et ce mot sera dans tous ses états comme l’est la famille aujourd’hui sur le continent. Mgr Kléda, archevêque du Cameroun portera les espoirs et les interrogations non pas seulement des fidèles catholiques, mais de toutes les populations et de toutes les croyances qui attendent depuis longtemps un Code de la Famille au Cameroun, lui qui continue à se servir du Code Napoléon pour légiférer.
Qu’est-ce que la famille aujourd’hui ? Que signifie la reconnaissance du caractère universel de la famille comme le gouvernement camerounais s’apprête à le faire sur le plan anthropologique pour les peuples du Cameroun dont la construction de la famille est intimement liée à la parenté plus qu’à la parentalité ? La notion du terroir n’est pas très éloignée quand on parle de la famille au Cameroun. Voilà autant d’attentes qui seront portées par l’archevêque de Douala. Tout n’est donc pas et ne sera pas que prière, ce sera surtout réflexion afin de ne pas détruire le socle sur lequel se construit la société elle-même.
*Vincent-Sosthène FOUDA est auteur chez Seuil de L’Adoption expliquée à mes enfants, Paris, 2014
Dr Vincent-Sosthène FOUDA
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