Le 13 septembre 1958 est le jour de la mort de Ruben Um Nyobè, homme affublé de tous les noms, mais père indiscutable de notre indépendance. Ce jour-là, Um a été froidement assassiné par la France, « mère patrie » coloniale et ses alliés camerounais. Le 13 septembre de l’an 32 du Renouveau, devant mon téléviseur, j’ai assisté à la parade des cons, oui la danse des sorciers que les descendants de son parti ont effectuée sur sa tombe. Habillés de la tenue rouge-noir souillée de leur incompréhension de ce que furent les idéaux qui ont sous-tendu la création de cette entité, ils ont réussi à se battre pour une histoire de tendance. Enfants maudits se réclamant d’un héritage dont ils ne perçoivent même pas la richesse. Et c’est comme ça qu’entre deux tweets et sous l’effet de trois Castel, j’ai lancé l’idée d’organiser un pèlerinage à Eséka là-bas sur la tombe du Mpodol, le porte-parole de tout un peuple : «Remember Um Nyobè». Parler des blocages? Parler des moments de doute? Pourquoi? Le Cameroun est un pays de projets, un pays en projet où les gens aiment les projets quand on les présente, mais disparaissent quand on passe à la phase d’exécution. Au delà des soucis liés à la logistique et à l’organisation, c’est l’incompréhension et cette forme larvaire d’autocensure qui caractérise mon peuple qui m’a blessé: Euye Mbom! Tu pars sur la tombe d’Um Nyobè? Tu es dans l’UPC? Tu es opposant? C’est parce que tu es bassa’a ? Puis un départ le 12 octobre. Un dimanche pluvieux. La peur au ventre. Peur de l’échec. Peur de se retrouver seul sous cette véranda devant Camtel. La morsure horrible des coups de fil d’annulation à la dernière minute... Je stresse. Mais pour rien. Car à mon arrivée au lieu d’embarquement je les trouve debout devant moi. Ils ont bravé pluie, froid, insécurité pour se retrouver à 6h30 à la Poste! Je suis tout ému devant ces silhouettes qui redonnent un peu de couleur à la grisaille matinale. Ils sont aussi là-bas à Douala un peu moins d’une dizaine mais bien présents, sous la pluie. Nous sommes une vingtaine au total à avoir confirmé les inscriptions et à répondre présents! Yaoundé c’est l’histoire d’un départ manqué à cause d’un véhicule bloqué. De multiples arrêts pour récupérer les retardataires. D’un arrêt de dernière minute pour avoir oublié d’acheter les cadeaux à offrir à Mme Um, veuve du héros qui a accepté de nous recevoir. Tout se fait, vite. Ma seule crainte étant qu’une liane tombe face à moi en train de porter un sac de riz au carrefour Afanoyoa : euye! Ngimbis donc ton travail là c’est le bambè? Nous partons. Qui sont-ils? De jeunes gens. Pour beaucoup on ne s’est jamais rencontré, mais nous avons un point commun: les réseaux sociaux, lieux exclusifs de recrutements. Des profils divers: informaticiens, juristes, étudiants, chômeurs, cinéastes, enseignants... Chacun avec une pointe d’originalité, comme Jason « le plus jeune » qui dort car sorti de boîte de nuit quelques minutes auparavant seulement. Boumnyébel, jonction avec le groupe de Douala. Après quarante kilomètres d’une route riche en nids de poule nous arrivons en cortège à Eséka. Villevillage, vide. C’est dimanche tout le monde est allé prier. Direction le cimetière de la Mission. La tension monte, mêlée d’excitation, On veut y être rapidement. Puis le choc: le cimetière est un champ non entretenu, des herbes hautes, des tombes défoncées. La brousse ! Tout serait recouvert si les upécistes n’avaient pas débroussaillé un espace autour de la tombe lors de leur passage. Nous découvrons les lieux avec stupeur. La tombe est là sous un arbre. Muette, solitaire, grise dans le vert environnant. Nous sommes muets de surprise. Nous n’avons rien prévu de spécial, mais un à un chacun se sent obligé de parler. De remercier le mort, de demander pardon, d’avouer son ignorance, de s’indigner. Ce sont les coeurs qui parlent. Mais je ne perds pas le Nord hein? Mes radars kongossiques ont tôt fait de détecter des présences: nous ne sommes pas seuls. Depuis quelques minutes, des rôdeurs nous observent et certains pianotent sur leur téléphone. Cinq minutes plus tard, un officiel débarque. Chemise rentrée dans le pantalon façon sapeur congolais. Il est flanqué d’un type qui d’après sa carrure doit être son tchinda plutôt que son garde du corps: nous sommes face à Monsieur l’adjoint au maire. Les pèlerins eux continuent de s’exprimer, immortalisés par la caméra de l’équipe du cinéaste Rostand Wandja. Je chuchote à l’oreille de Bergeline notre guide: va lui parler stp! Elle : Pourquoi tu m’envoies? Moi : Pour deux raisons: tu es une femme, avantage psychologique. tu as dit dans le car que ton petit nom c’est Kabila non? Va alors faire la rébellion là-bas. ça discute. Il est question d’autorisations, de « se signaler « blablabla. Foutaises! (je l’ai juste pensé hein?) Nous sommes dans un cimetière et Um Nyobè n’est la propriété de personne, sinon de son pays. On nous rappelle l’altercation du 13 septembre symbolisée par une seconde gerbe qui gît dans l’herbe, écrasée. La gerbe des perdants. Mais bon Bergeline calme le jeu et sort la phrase magique: « ce sont des étudiants, ils ne font pas la politique «. Sourires de part et d’autre. Ah! Mais c’est bien! Tout le monde se détend. Plus d’une heure plus tard, On clôt la visite par la photo de famille. Un dernier regard à la tombe et on dit au revoir au Mpodol, immobile dans son linceul de béton gris. Escale au carrefour suivant. Devant le monument à la gloire du Mpodol. Monument représentant sa descente à la gare d’Eséka en 1952 de retour du sommet de l’ONU où il défendit avec force la cause de son Kamerun. Monument de la discorde aussi et symbole de la récupération de l’image de Um Nyobè. Ce qui m’intéresse ce n’est pas le monument, mais les gens. Ils nous regardent étrangement, semblant se demander ce que nous faisons là. Des passant ralentissent, des vendeurs sortent sur le pas des boutiques, un type à moto lance « Um Nyobè va griller vos appareils là! « Sa phrase se perd dans le vent de l’accélération... Retour à Boumnyébel chez Mme Um où nous avons prévu d’organiser le déjeuner. Là encore le choc. Au lieu d’une vieille décatie et impotente, c’est une mbombo debout sur ses deux jambes qui s’avance vers nous. Une mbombo qui nous souhaite un « malo malam » chaleureux. On expédie la remise des cadeaux, il ne s’agit pas d’un don, donc, pas de clic clac misérabilistes. Son salon, austère. On veut qu’elle nous parle de l’homme qui fut son mari. Elle, veut savoir pourquoi nous sommes là. On lui explique que nous sommes en quête de réponses, en quête de compréhension et que nous avons initié un tour des lieux symboles de l’histoire de notre pays. Qu’on a commencé par son époux, car il le vaut bien. Causerie. Trois pèlerins s’improvisent traducteurs-interprètes. Les questions fusent. Elle nous parle de l’Homme à travers elle. Je suis obligé d’intervenir. ça va trop loin et certaines réponses tordent son visage de souffrance comme au jour où elle a vécu les faits. « Le maquis ne se raconte pas mes enfants, il se vit ». Nous ne sommes pas venus faire du voyeurisme. On temporise. Repas. Au milieu de la table du festin, un okok légendaire. L’okok bassa’a, l’okok des origines. Photo de famille. Elle serre les deux mains de chacun à tour de rôle: « ma porte vous est toujours ouverte mes enfants ». Nous repartons, sous le magnifique soleil qui ne parvient pas à rendre belle cette bourgade dont le développement semble s’être arrêté des décennies auparavant. Accolades. C’est le départ. Nous sommes venus épars, nous formons désormais une famille, unie par la soif de compréhension et de changement. Nous prenons des rendez-vous. Des initiatives voient le jour. On échange des titres de livres, des lieux de discussion, de débat. On est parti. Au carrefour d’avant le péage les deux cars prennent des directions opposées. La page « Remember Um Nyobe » est tournée, mais ce n’est que le début du livre... Pourquoi? Nous ne sommes pas allés à Eséka donner des leçons. Nous n’y sommes pas allés en tant que comité scientifique chargé de réécrire l’histoire. Nous y étions même sans programme définitivement arrêté. Nous y sommes allés pour trouver dans le passé les clés de compréhension de notre présent. Nous avons en regardant le père de l’indépendance gisant dans un coin de broussaille compris pourquoi ladite indépendance vaut ce qu’elle vaut. Nous sommes allés à Eséka chercher dans un coin de brousse des denrées rarissimes dans le Cameroun actuel: courage, probité, engagement, force. Un cocktail indispensable pour redresser notre pays. On rêve peutêtre mais qu’il est doux ce rêve... Ce n’est pas ça qu’on nous a légué, ce n’est pas ça qu’on veut laisser... Merci à tous ceux qui ont contribué à la réussite de cet événement. Merci à l’association Yes Africa et au Collectif des Blogueurs camerounais. A bientôt pour la suite.
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