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Le problème de la révisibilité des constitutions en Afrique par Ntche, Tissah Georges

La Constitution d’un Etat constitue un ensemble de règles qui régissent l’organisation et le fonctionnement de l’Etat. Ce sont des règles d’exercice du pouvoir, des règles d’attribution des compétences aux organes de l’Etat, des règles sur la structure de l’Etat, les éléments concrets de l’Etat et les droits fondamentaux qui déterminent les rapports des citoyens avec les organes de l’Etat. La Constitution apparait ainsi comme une règle fondamentale par son mode d’édiction solennelle. Elle forme une catégorie suprême spéciale et unique, supralégale. Cette supralégalité se déduit de son mode d’adoption par le peuple, de sa protection contre les mutations et de la plus grande légitimité populaire des organes chargés de l’établir.

Le problème de la révisibilité des Constitutions est assez délicat. La Constitution étant la loi suprême, il faut mettre des gants pour porter atteinte à son intangibilité, surtout qu’elle est le plus souvent La Charte des Droits et Libertés fondamentales. En ce qui concerne la révisibilité, le dilemme est attachant. D’une part la négation du droit de révision, l’immutabilité absolue des Constitutions entraîne un blocage de la vie politique, expose à un déphasage de la Constitution par rapport aux réalités politiques, économiques et sociales mouvantes. Ce déphasage peut être préjudiciable à la vie même de l’Etat et entraîner un chambardement des institutions ainsi bloquées. Une Constitution qui n’évolue pas est une Constitution morte et facile à enterrer. D’autre part, la reconnaissance du droit de révision à tout vent de la Constitution peut de même donner lieu à une instabilité constitutionnelle néfaste à la bonne marche de l’Etat. Alors, comment résoudre le problème ?


La doctrine dominante accepte le droit de révision des Constitutions pour plusieurs raisons:
-  raisons de “Real Politics” sanctionnant de nouveaux rapports de force
-  nécessité sociologique de se conformer à l’idée de droit dominante dans les masses
-  idée d’une légitime souveraineté constituante illimitée des générations futures à déterminer leurs propres institutions.

La suprématie de la loi constitutionnelle interdit tout de même les “révisions à tout vent”, d’où une réglementation stricte du droit de révision. 

La limitation du droit de révision dans le temps 

Les exemples sont nombreux pour limiter le droit de révision dans le temps. L’idée de base ici est qu’une Constitution est œuvre du temps. Il faut l’expérimenter, la roder avant de penser à la modifier.
Ainsi la Constitution Française de 1791 subordonnait la révision au vote de trois Assemblées Législatives successives dont la durée du mandat était de deux ans. Ce qui veut dire que la révision ne pouvait avoir lieu qu’après six ans. Elle ajoutait qu’aucune révision n’était possible pendant les deux premières législatures. Ce qui portrait le délai à dix ans. 

La limitation du droit de révision quant aux circonstances 

Une autre technique de limitation du droit de révision consiste à la subordonner à la possibilité ou plausibilité de certaines circonstances.
Le Droit constitutionnel Français donne des exemples:
-  interdiction de réviser la Constitution en cas d’occupation du territoire par des troupes étrangères (Constitution de 1946)
-  interdiction de réviser la Constitution en cas de menaces contre l’intégrité du territoire (article 89 de la Constitution du 4 Octobre 1958).

La limitation du droit de révision quant à l’objet
L’Etat s’attribue certaines formes irréversibles et la limitation du droit de révision a pour objet de préserver l’Etat ou la forme d’un régime politique choisi par l’Etat:

-  interdiction de réviser la forme républicaine ou monarchique de l’Etat (article 89, alinea 5 de la Constitution Française de 1958 ou article 2 de la loi constitutionnelle du 14 Août 1884, Défense de la République)
-  interdiction pour la proposition ou le projet de révision de mettre en jeu l’unité ou l’intégrité de l’Etat (défense de la perpétuité des unions fédérales ou défense de la nature multinationale ou polyethnique des Etats).
-  interdiction pour la proposition ou le projet de révision de supprimer ou de modifier la limitation des mandats présidentiels (cette disposition a pour but d’empêcher que certains gens essayent de s‘éterniser au pouvoir pour des raisons d’intérêts personnels, et à travers des élections entachées d’irrégularités; c’est le cas de certains pays africains depuis quelques années).
-  interdiction au Président de la République en exercice au moment où la limitation des mandats présidentiels est supprimée ou modifiée de se présenter aux élections présidentielles intervenant après ladite suppression ou modification de la limitation du mandat présidentiel (cette disposition a pour but d’éviter une personnalisation de la suppression ou de la modification des mandats présidentiels).
La doctrine traditionnelle distingue généralement entre les procédures de révision démocratiques impliquant la participation du peuple et les procédures de révision non démocratiques généralement œuvre d’un individu confiscateur ou détenteur de la souveraineté. 

L’Association du Peuple à l’adoption définitive

Deux hypothèses peuvent se présenter:
a)  Le peuple est directement associé par la technique du référendum qui lui permet d’adopter ou de rejeter le texte constitutionnel.
Le référendum peut être facultatif et laissé au choix du Chef de l’Etat dans certaines Constitutions. Mais le référendum peut être aussi obligatoire pour toute modification constitutionnelle.
b)  La technique du référendum n’est pas partout en vigueur. Il arrive que le peuple ne soit pas du tout associé à l’adoption du texte constitutionnel.
soit que la Convention ou constituante adopte le texte élaboré sans intervention du peuple
soit que l’Assemblée ordinaire  l’adopte à une correcte majorité qualifiée : majorité absolue des membres composant la chambre et le Sénat (IIIe République Française), deux tiers des voix pour d’autres parlements etc…) 

"Notre véritable Constitution est le Code Civil", a écrit un auteur français de renom. Cela pour dire que beaucoup de règles essentielles de la vie sociale ne sont pas posées par la Constitution. Pour d’autres, l’ultra formalisme des Constitutions ouvre la porte aux dictatures: il suffit de sauver la forme.

En réalité toute Constitution Ne vaut que par la maturité politique du peuple qui l’a adoptée ou refusé de l’adopter. Bref, les peuples n’ont que les Constitutions qu’ils méritent. 
Ntche, Tissah Georges
Enseignant et Chargé de Recherches
Washington, DC / USA
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