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Lettre ouverte à Bernard Ndjonga par Jolibeau Koube

Cher monsieur,
C’est avec beaucoup de tristesse que j’ai appris que vous avez démissionné  de la présidence de l’ACDIC (Association Citoyenne pour la Défense des Intérêts collectifs), pour créer un parti politique le CRAC (Croire au Cameroun).

J’ai pris le temps de digérer cette nouvelle au goût amer, en caressant secrètement le souhait que vous pourriez changé d’avis, ou que l’info serait plutôt une intox, comme il y en a beaucoup chez nous. Hélas !
Je suis loin d’être le seul camerounais  ébloui par la pertinence de vos idées et l’importance de votre projet pour le monde rural, donc pour le Cameroun notre beau pays. Qui mieux que vous sait que le Cameroun est un pays essentiellement agricole ?

Depuis un temps, je vous suis avec beaucoup d’attention quand vous parlez de fabriquer du pain à base de farine de patate produite au Cameroun, quand vous plaidez pour le financement des projets agricoles,  quand vous faites avec zèle  la promotion du monde rural ou quand vous défendez la filière avicole nationale, contre les poulets congelés venus d’ailleurs.


Avec l’ACDIC, lentement, patiemment mais résolument, vous vous êtes bâti auprès des villageois du Nord, du  Sud, de l’Est et de l’Ouest, des francophones et des anglophones, des musulmans et des chrétiens, vous vous êtes bâti une solide réputation de porte-parole,  mieux, d’avocat de la cause paysanne au Cameroun et même dans la sous-région.

Vous faisiez l’unanimité parmi les hommes politiques de l’opposition comme du RDPC au pouvoir. Vos thèses sur les entraves à l’autosuffisance alimentaire, ainsi que sur les causes du mal-être du monde rural sont vraies  et vos solutions très judicieuses.  Tout le monde vous le concédait volontiers, même les décideurs. Vous le savez mieux que moi, le consensus autour d’un projet ou encore moins, autour d’une personne,  n’est pas la chose la mieux partagée au Cameroun.

Votre décision d’entrer en politique me rend triste, non pas que vous n’en ayez pas le droit en temps que citoyen camerounais, ou qu’un président proche du petit peuple comme vous le souhaitez devenir ne puisse pas positivement transformer le pays. Non. J’ai gardé un vibrant souvenir de Luiz Inàcio Lula da Silva, un président-ouvrier qui a gouverné le Brésil de 2003 à 2011. Sous sa gouvernance, 28 millions de brésiliens étaient sortis de  misère, 16 600 000 emplois avaient été crées, le Brésil était passé de la 13èmeà la 8ème économie mondiale, entre autres prouesses.

L’exemple du bolivien Evo Morales, indigène et paysan, est aussi éloquent à plus d’un titre.

Ce qui m’inquiète et me désespère profondément monsieur Ndjonga, c’est que le Cameroun n’est ni le Brésil ni la Bolivie. « Le Cameroun c’est le Cameroun », c’est-à-dire un pays particulier où les mauvaises habitudes ont la peau dure et où des citoyens pourtant intègres au départ sont fatalement frappés d’amnésie ou d’arrogance ou des deux, avant même de commencer à arpenter les couloirs lambrissés du pouvoir. Chez nous, on oublie facilement les promesses faites, on perd sa verve critique et pire  parfois, on avale ses vomissures. Ce qui était tout noir et  inacceptable auparavant, redevient tout blanc et normal. Ceux qu’on taxait autrefois  de corrompus et d’incompétents redeviennent des modèles. Le pouvoir et la politique au Cameroun ont de tels effets corrosifs  et édulcorants sur les idées et les hommes, qu’on peine souvent à les reconnaitre. Pour exemple, des slogans comme « rigueur et moralisation » ou « power to the people », sont devenus autant de gadgets ou d’épouvantails politiques qu’on a désormais honte d’agiter, même pendant les circonstances les plus solennelles.
C’est cet univers que vous venez d’embrasser, en toute connaissance de cause, j’espère.

Je comprends parfaitement que vous veuillez solliciter le suffrage des paysans, pour vous mettre en position d’implémenter vous-mêmes le projet que vous portez depuis trente ans  et que les pouvoirs publics n’ont pas cru bon de valoriser. Il me semble cependant que vous n’avez pas tenu compte de la sociologie politique camerounaise. Dès lors qu’on convoite le pouvoir,  on déclenche de manière systématique et quasi inconsciente chez le potentiel électeur une série de raisonnements et de comportements. Ils sont sans aucun rapport avec la logique qui veut que les votes soient basés sur une évaluation rigoureuse des différents projets de société proposés.

Au Cameroun, la tribu et l’intérêt personnel priment sur la qualité du projet de société. Traduction en « camerouniaiserie » à compter de cet instant, vous ne serez plus perçus comme un ingénieur agronome porteur d’un projet salvateur pour le monde rural, mais plutôt comme un « homme politique Bamiléké » qui convoite le pouvoir de Paul Biya et ça change tout. Du coup, votre projet perdra de sa pertinence, parce que pollué par les interférences malsaines d’un tribalisme primaire ou des considérations bassement matérialistes.

En outre, vous risquez de vous engluer durablement  dans des combats obscurs et stériles contre des adversaires politiques, qui seront très souvent  vos frères du village.

Vous étiez  à mon humble avis plus libre et plus efficace dans la société civile. Vous croyiez déjà au Cameroun. On n’a peut-être  pas suivi vos orientations, mais tout le monde vous écoutait avec intérêt.  Est-ce que  ce sera toujours le cas maintenant ? Permettez-moi d’en douter.

J’aurais tant aimé que mon pays soit différent, que les gens occupent les postes qu’ils méritent, que les élus soient porteurs des meilleurs projets de société pour le bien de tous, que tous les citoyens soient d’abord Camerounais avant d’être Douala ou Banen, Bamiléké ou Maka, francophone ou anglophone, hélas ! Je suis comme vous, de ceux qui pensent qu’être camerounais est un privilège, et que le servir est un privilège plus grand.   

 Ce qui me ferait mal, c’est  qu’on  dise un jour  de vous au mieux, « cet homme de valeur qui avait prostitué son combat sur l’autel de la politique » et au pire, « cet opportuniste qui instrumentalisait la misère des paysans pour arriver au pouvoir ».

J’ai bien peur Monsieur Ndjonga, bonne chance quand même.

Jolibeau Koube

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