Ma mère m’a
toujours dit: mon fils il faut marcher pour voir les choses. Elle a raison. Je
marchais dernièrement dans la poussière de mon quartier quand je suis tombé sur
un revenant. Le Grand Djezeur. Donc, je croise ce grand par une après-midi
ensoleillée. Une de ces après-midi où le soleil manque de respect à tout le
monde, adultes comme enfants en tapant dur, à l’oblique. Je crie. Womooooo!
Grand d’où tu sors? Il me répond: Ngimbis laisse! Tu crois que Berlin là c’est à
côté? Je suis en vacances, je suis venu saluer le quartier. J’ai pensé ok le
grand est devenu mbenguiste. Stop! Il vous faut une définition.
Mbenguiste:
nom donné aux camerounais qui vivent à l’étranger. En Europe de préférence. On
ne sait pas très bien ce que le mbenguiste fait, il n’en parle jamais. On sait
seulement qu’il est tous les jours sur Facebook et qu’il passe son temps à dire
que Paul Biya a foutu le Cameroun en l’air. On s’en fout tant qu’il nous envoie
des mandats Western Union. Je ne sais pourquoi, mais le Grand semblait très
heureux de me voir. En bon camerounais il me l’a montré: il m’a emmené dans un
bar, notre bar de quartier, vous savez, celui où il m’arrive toujours des trucs
bizarres là.
Ce que je ne
vous ai pas dit, c’est que le mbenguiste avait une suite: un tchinda, son chef
de protocole, une petite frappe du quartier que je connais, Domino. Il traïnait
aussi derrière lui comme une chèvre, une ancienne belle nana, son fantasme
inassouvi de pauvre, qu’il avait décidé de se faire maintenant qu’il était
quelqu’un. Il semblait être le seul à ignorer qu’elle avait désormais deux
enfants, une poitrine tombante et était passée dans les lits de tous les mecs
du quartier. Ce n’est pas Domino qui allait le lui dire, vu que c’était sa
cousine.
Bref, moi je
me suis dit « ma part quoi sur ça? » Comprenez, chacun s’occupe de ses oignons, en
l’occurrence de ses Castel.
La Divine Comédie: L’Enfer
Arrivée au
bar. On dirait le 20 mai. Le chef de protocole ouvre la voie. écarte les
gratteurs, gronde. Le mbenguiste salue les gens comme à la parade, au milieu
des chuchotis admiratifs: c’est le petit qui habitait derrière là? Maaama! c’est
la fraïcheur que tu veux voir?
Il se lave
avec l’eau bénite? Le mbenguiste sourit d’aise : revanche sur la vie. Bon, il
faut dire que question attirail, mon vieil ami avait revêtu un pantalon et un
t-shirt moulant qui mettaient en valeur son ventre arrondi, signe extérieure de
richesse (ou preuve de son abonnement au KFC du coin). Autre signe de richesse,
le sac Louis Vuitton (je ne sais si c’était un faux, je sais pas à quoi
ressemble le vrai) dont la bandoulière coupait sa bedaine en deux: le sac des
euros; le sac des mbenguistes. Bon ce n’était que le générique de début hein?
Le vrai film ne faisait que commencer.
La Cène
Le
mbenguiste n’avait même pas ouvert la bouche que le tchinda avait ramené la
serveuse. Mama prends les goûts! Nous sommes quatre. Pas pour longtemps. Vient
l’ancien ami des terrains de jeu, accolade, exclamations, Domino une bière! Et
ainsi de suite. Quinze minutes après notre arrivée dans le bar, nous sommes désormais
une dizaine d’élus assis à la table du Messie mbenguiste. Et ça continue. On
est passé en modecharter. Le passant: Il y a quoi là bas? Le
badaud-qui-sait-tout: Djezeur est rentré de Mbeng il est en train de donner le
vin. La table est noire!
Petit tour
autour de la table, on fait semblant de reconnaïtre, le gars. Accolade,
exclamations: Domino! Une bière! Heureusement qu’il y a le parefeu, l’antivirus,
Domino. Quand une tête ne revient pas au mbenguiste, il l’expédie chez Domino:
mon frère, c’est Domino qui gère la facture. Domino profite de ce pouvoir éphémère
pour régler des comptes. Les chiches qui ne l’invitent jamais à leur table, il
les ignore. Les frères qui interdisent à leurs soeurs de lui parler, il les
chasse. Plus royaliste que le Roi, il contrôle les factures deux fois. Il exige
qu’on nettoie les toilettes. Il trie les filles qui ont le droit de s’asseoir à
la table, il se positionne. Du coup, il y a une table dans le coin. Des gars
qui boivent « leur » bière. Les exclus du charter assis à la table
des « jaloux » et des « aigris ». Les gars qui remettent
tous les mbenguistes en question: Lui c’est qui? Il veut nous montrer quoi? Le
mbenguiste caracole.
Raconte des
blagues qui n’amusent personne, mais tout le monde rit quand même: l’humour
appartient à celui qui offre la bière. Il parle de la vie en Europe. Il croit
qu’on n’a pas la télé? On fait semblant d’être attentifs, on boit. Il raconte
ses escapades avec les femmes blanches. On s’en fout, mais on tire la langue
comme des chiens en chaleur et on boit. Il raconte sa vie d’avant, comment il
mangeait le haricot sans huile, buvait la bouillie sans sucre, vendait le
bitacola pour vivre. On a envie de lui dire que Fotso Victor nous a déjà fait
le coup, mais on fait semblant d’être émus et on boit. Dans tout ça, personne
ne sait toujours ce qu’il fait là bas chez les Blancs, mais on s’en fout, on
boit. Nous même on ne fait rien ici chez les Noirs et ça fait quoi?
L’ère des
Dragons
Mais les
nouvelles vont vite. Arrivent les dragons. Les Dragons: ce sont les « Grands »
du quartier. Ils sont toujours grands depuis qu’on les connaït, même si
personne ne sait en quoi. Ils connaissent tout le monde, même Eto’o. On ne leur
connaït aucun métier sinon les jeux de hasard et boire la bière. Ils ont des
noms de guerre bizarres comme des personnages d’Auguste Le Breton: Caramel,
Jojo du Poker, Bacho l’Incontournable » Ils aiment les mbenguistes et
ceux-ci recherchent toujours leur compagnie. Dès leur arrivée sur notre table,
les Dragons marquent leur territoire.
Ils ne
boivent que les Grandes Guinness ou les Heineken en canettes, les bières chères,
qui les valent. Ils appellent le Mbenguiste « petit », ce qui le
rend encore plus fier. Ils racontent leurs virées en boïte « un jour où
Eto’o était en boïte ». Leurs dépenses folles, leurs mains au poker électronique,
Ils demandent des nouvelles des autres mbenguistes: « JP de Londres, tu
ne le connais pas? C’est lui qui m’avait donné une montre en or 28 carats ».
Le mbenguiste se sent petit devant ces grands qui n’ont jamais « voyagé »
mais qui connaissent tous les magasins des Champs Elysées par coeur. Il se
croit obligé de riposter, il sort un téléphone large comme l’ardoise d’un écolier
de la SIL et se lance dans une discussion criée en Allemand. “ Ja! Ich
bin in Kamerun mein Schatz”.
J’avale de
travers. Tout le monde se tait. Parlez encore… Exit Domino. Ce n’est plus son niveau.
Exit les petits vampires. Les dragons brûlent tout. Il reste juste la chèvre, l’ex
beauté surnaturelle, sujet des rêves érotiques du mbenguiste qui lui tiendra
compagnie ce soir pour épancher les élans que la Guinness glacée aura suscité
en lui. Et il y a aussi moi, car les dragons me respectent, j’ai quand même un
statut d’ancien « voyageur » hein? Mais le portefeuille du
mbenguiste se met à chauffer: la flamme du dragon brûle tout. Et le Dragon
boit, boit, mais a les yeux désespérément blancs.
L’ivresse
semble une notion inconnue à ses yeux. Le mbenguiste panique. Il traïne quand
il s’agit de repasser les commandes, il guette à gauche et à droite comme s’il
sentait un danger venir. Puis il sort sa botte secrète, sa manoeuvre de dégagement,
le sort d’invisibilité. Il me chuchote à l’oreille « Gars! accompagne moi
aux toilettes ». Je sursaute. Euye! Le mariage pour tous hein? Les
toilettes. Il sort une liasse de billets. Gars! Pardon! Voici la facture, reste
payer. Je pars. Massa! Même le milliard, les gars-ci peuvent finir! Ils ne
saoulent pas? C’est la sorcellerie?
Je ricane
intérieurement. Gars je n’ai plus rien. je vais passer au distributeur et je t’appelle
plus tard pour te faroter hein? Je ricane. Est-ce que je t’ai demandé quelque
chose? Retour au bar, seul. Je paye discrètement, au milieu de l’inquiétude générale
suscitée par la disparition prolongée du « robinet ». Les dragons s’énervent.
Des questions fusent: Qui a fermé la facture- ci? C’est son argent? Je ris
doucement et porte ma Castel non glacée à mes lèvres. Yaoundé est doux, même
quand il fait froid. Générique de fin. Playlist: Alexandre Douala Douleur- Peux
Maintenant C’est toi qui a dit que tu peux ooooo! Peux peux oooo Voilà moi ooo
Peux maintenant oooo! Les écritures montent Acteur: le mbenguiste Scénario :
Florian Spielberg NGIMBIS Une production Kamer Kongossa
FIN
©
kongossa.mondoblog.org : Florian Ngimbis
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