Papa Délégué,
C’est un concitoyen méchamment énervé qui vous écrit ce matin. Voyezvous, je travaille en centre-ville. Durant une bonne partie de la semaine dernière, la société Nexttel dont les bureaux ne sont pas éloignés des miens a lancé une campagne de publicité sauvage dont le thème s’il m’a échappé n’a pas échappé à mes oreilles victimes d’un traumatisme auditif. Pendant de longues journées, les enceintes installées par cette société sur la véranda de son siège ont vomi avec une rigueur nazie des décibels rageurs qui ont fini par rendre mes journées de travail et celles des gens du coin carrément insupportables. Oui monsieur, tout ceci pour vendre des abonnements internet et des crédits de télécommunications.
Dans la foulée, je me suis rendu vendredi au quartier Nlongkak et là-bas, face à l’Eglise Evangélique, Orange Cameroun avait dans le même esprit installé des tentes et de la sono au bord de la rue pour célébrer l’ouverture de nouvelles agences. Conséquence immédiate: une pollution sonore et visuelle et un embouteillage à n’en plus finir, car les nombreux badauds (oui oui le travail est rare au Cameroun) du secteur ont eu tôt fait de s’agglutiner en pleine chaussée pour assister à l’évènement. En centre-ville Pa' Délégué, c’est d’ailleurs devenu une tradition. Casino qui lance ses “soldes” et hop ! des enceintes sur la véranda. Tecno qui voudrait nous vendre ses téléphones chinois et hop ! des enceintes sur le trottoir.
PMUC qui veut pigeonner des gogos en leur faisant miroiter des millions et par magie, en plein midi on a un pickup déversant des centaines de décibels et sur la plate-forme duquel une jeune femme à l’arrière-train proéminent exécute des figures de “danse” obscènes au vu et au su de la république entière. Ceci ne concerne pas uniquement les grosses structures Pa' Dé! Dans mon quartier, un des métiers du Renouveau à la mode actuellement est “chargeur de chansons dans téléphone”. Oui mon Délégué, il y a des camerounais qui gagnent leur vie en téléchargeant illégalement des chansons ou des albums tout entiers sur des cartes multimédia de téléphone. Or ces jeunes gens n’ont pour réclame que la musique qu’ils pompent à fond la caisse dans les carrefours, pour inciter les gens à venir leur poser la question: “mon petit, je peux avoir le son là?”. Question qui bien entendu n’est qu’un préliminaire à l’action d’achat.
Pa' Dé, comment être productif à son travail, comment y arriver de bonne humeur quand le matin à l’arrêt taxi on a les tympans vrillés par les cris suraigus de “Je suis finioooo, je suis pala pala”. Comment aller servir sa Nation dans la bonne humeur quand on doit hurler sa destination aux taxis toutes les quinze secondes avec en fond sonore cette rengaine supportable dans certaines conditions mais intolérable dans celles-là ? Mais que devient Yaoundé? Ya-t-il un pilote à bord de ce bateau ivre qui va à la dérive inexorablement ? De deux choses l’une, soit ces sociétés et ces individus tiennent ces sabbats diurnes sans en référer à votre autorité ou à celle des élus locaux, soit ils obtiennent des autorisations et croyezmoi, des deux éventualités, j’ignore celle qui fait le plus froid dans le dos.
Autre exemple, le marché central, ce gros machin dans lequel vous avez essayé tant bien que mal de mettre de l’ordre devient très souvent l’espace des rentrées scolaires un capharnaüm dans lequel les librairies et autres papeteries se font une guerre sonore pour vendre des cahiers et des manuels scolaires. Sans oublier que les boutiques qui ont les moyens comme cela se dit chez nous, n’attendent pas cette période là. Pour vendre des cahiers, de la musique; vendre des abonnements téléphoniques, de la musique; vendre des abonnements au câble ou au satellite: de la musique. Serions-nous donc un peuple donc l’intention et l’action d’achat ne s'éveillent qu’en face de notes de bikutsi épicées ? Mais qu’est donc devenu le Cameroun? En tant que citoyen j’endure des situations ubuesques tous les jours monsieur le Délégué. Je les supporte malgré moi et je ne les comprends jamais.
Je supporte de poireauter dans un bouchon parce qu’un camion des Brasseries bloque le passage, sous le prétexte de livrer de la bière dans un bar. Je supporte le fait de me faire insulter par un vendeur de clés usb de l’Avenue Kennedy sous le prétexte que j’ai piétiné sa marchandise étalée sur le trottoir, espace qui m’est normalement réservé moi piéton. J’endure le fait de me faire “bâcher” par un chauffeur de taxi sur le siège avant de son véhicule, siège censé compter pour une seule place. J’endure cela et plusieurs autre maux qui sont passés à l’état de norme dans notre capitale. Mais monsieur ce qu’il m’est difficile de supporter c’est le vide derrière.
L’absence de cadre réglementaire ou de répression quand le cadre existe. Car oui, je n’hésite pas à me plaindre Monsieur, je n’hésite pas à demander aux gestionnaires des bars jouxtant mon domicile de baisser la musique, je n’hésite pas à faire comprendre aux vendeurs que leur marchandise à même le trottoir met les piétons en danger car ils sont obligés de circuler à même la chaussée, je n’hésite pas à aller voir les responsables des opérations de promotion de nos multinationales pour leur signifier qu’il est criminel de transpercer les oreilles humaines de tant de décibels sous le prétexte de faire du marketing. Mais voilà, je suis presque toujours en butte à un mur car ces gens quand ils ne comprennent pas en quoi leur activité est source de nuisance, se croient tout simplement dans leur bon droit, d’où ma question: mais que devient cette foutue ville? Oui je m’énerve mais je crois en avoir encore le droit.
J’ai le droit d’avoir une ville à l’écoute de ses citoyens, une ville saine et vivable et non une espèce de poulailler dans lequel tout le monde se croit permis de crier, pisser, torturer ses concitoyens sans que l’autorité en charge ne fasse quoique ce soit pour y remédier. Ne me parlez pas de votre brigade anti-anarchie, les fameux “awara” c’est un sujet que j’aborderai ultérieurement. J'ai les oreilles qui saignent Pa Dé, pas seulement de ce bruit et de ce désordre, mais à cause du vide et du silence des autorités compétentes pour y mettre fin. J'espère qu'on n'attendra pas 2035 pour voir les choses s'améliorer de côté. Signé un babimbi qui ne peut même plus se promener avec le timbre dans la poche. Les nouvelles machines à timbrer les plaintes sont trop lourdes et en plus, il n'y a pas de courant. P.S. Je vous prie de faire décrocher les affiches de Nexttel en centre-ville sur lesquelles les savants de cette société ont noté le slogan de la campagne que je décrie ci-dessus. En cette période d'examen et en tout temps d'ailleurs, il faut un permis pour écrire parmi avec un "s". Peace !
© kongossa.mondoblog.org Via L’Oeil du Sahel : Florian Ngimbis
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