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ANALYSE CRITIQUE DU RAPPORT DE L’ICG SUR LA MONTÉE DES TENSIONS RELIGIEUSES DU CAMEROUN par Tchioffo Kodjo

Confusions entre le foisonnement du pentecôtisme, wahhabisme et le sectarisme violent de Boko Haram au Cameroun...Le dernier rapport de l’ICG (International Crisis Group) sur le Cameroun publié ce 03 septembre 2015 traite des religions et du radicalisme au Cameroun. Ce rapport vient à point nommé avec la recrudescence des attaques de Boko Haram. Cependant, une lecture croisée du rapport contredit l’argument selon lequel il y’aurait une montée de tensions religieuses au Cameroun et prouve que l'ICG a confondu l'effervescence religieuse dans le pentecôtisme ou le wahhâbisme avec le sectarisme violent de Boko Haram.
Le rapport a largement confondu la vivacité religieuse et politique débordante des églises pentecôtistes découlant d’une dynamique locale avec l’austérité puritaine prônée par l’Islam wahhabite exotique ou le radicalisme violent incarné par la secte Boko Haram.

Par exemple, le rapport expose les techniques du prosélytisme wahhabite grassement financé par le « gouvernement saoudien et des fondations et ONG qataries, koweitiennes et égyptiennes » mais omet d’analyser les techniques du prosélytisme des églises pentecôtistes. Une analyse saillante aurait démontré que les églises pentecôtistes sont en grande majorité issues du tissu religieux local et donc en majorité financé par des adeptes qui font partie de la populace et de classe politique et économique locale. Ces canaux de financement divergents suffisent à disqualifier une analyse synchronique de l’Islamisme radical et du christianisme revivaliste.
Le modèle économique des églises pentecôtistes explique en grande partie l’intérêt qu’elles portent à la stabilité au Cameroun comme en témoigne leur closent interactions avec les élites politiques locales. Le rapport illustre par exemple que l’église du pasteur Tsala Essomba «en plus d’avoir fait campagne pour Biya » avait lancé une initiative de caisse commune devant servir à « servir à financer les projets figurant dans le programme de campagne de Paul Biya. ». Ceci est une preuve suffisante établissant que ces églises quoique « radicales » ne versent pas dans l’extrémisme violent mais entretiennent plutôt la stabilité du régime politique actuel dans l’optique de sécuriser leurs sources de financement. Elle ne devrait donc pas faire l’objet d’une étude croisée ou englobante avec le rigorisme islamique issu du wahhabisme importé.
On se trouve donc en face d’une contradiction suffisamment puissante pour invalider l’hypothèse de recherche qui a orienté l’écriture de ce document.
Le rapport reconnait que « les musulmans du Cameroun ont condamné Boko Haram, qu’ils considèrent comme une secte non islamique qui n’a rien à voir avec le Coran» et que les imams et les chefs traditionnels musulmans collaborent avec les forces de sécurité dans leur majorité. Il propose également que la sécurité des chefs traditionnels musulmans soit renforcée afin qu’ils puissent fournir de l’intelligence aux autorités administratives sans crainte de représailles de Boko Haram. Cet argument est un signe clair que la pratique de l’Islam au Cameroun et même l’existence du courant rigoriste wahhabite ne tolère ni ne soutient visiblement la secte Boko Haram.
Comparer le Cameroun et la Centrafrique
La comparaison du Cameroun avec la Centrafrique relève d’une conception trop simpliste de la crise qui secoue la RCA depuis le déclin et la chute du régime de Francois Bozizé en Mars 2013. Un examen rigoureux de la crise centrafricaine démontre qu’elle est une crise postcoloniale issue de la politique du ventre et d’une histoire d’extraversion consistante. La bipolarisation religieuse de la crise centrafricaine n’a été conçue et mise en exergue que récemment par le régime de Bozize, tentant d’instrumentaliser les confessions religieuses pour légitimer sa survie politique1. De plus les soit disant musulmans de la seleka se sont révélés en fait être exclusivement des groupes de pilleurs a la recherche de butins de guerre après la chute de Bozize. Les anti-Balaka qualifié de chrétiens alors qu’ils ne sont que des milices d’autodéfense locales incluant des militaires restés fidèles à Bozize et des délinquants organisés pour tenter de combattre les Selekas pour le partage des ressources. De plus, il n’existe pas d’église ou de mosquée d’où ces délinquants puiseraient leur soit disant idéologie religieuse violente et antagoniste. Ces détails montrent à souhait que la crise en Centrafrique devrait être approchée sous un autre angle et surtout ne pas être rapprochée de la situation actuelle du Cameroun.
Comparer le Cameroun et le Nigeria
Une recherche pointilleuse aurait aussi évité d’établir une corrélation entre la profusion et l’activisme abondant des entités religieuses au Cameroun et le visage de l’extrémisme religieux au Nigeria. Le Nigeria vit et a continuellement vécu des tensions dues à la compétition pour l’accès aux ressources limitées. La religion a juste servi comme facteur de ralliement en générant d’une dichotomie persistante et parfois violente entre christianisme et Islam bien avant l’avènement de Boko Haram. Par exemple en 1987, des émeutes violentes opposant musulmans et chrétiens ont éclaté dans la ville de Kafanchan et ont rapidement débordées sur Kaduna2. On peut aussi citer la crise chrétien-musulman suite à la décapitation en 1994 de Gideon Akaluka, chrétien accusé d’avoir désacralisé le coran3. Ainsi, le Nigeria a connu des tensions interreligieuses violentes bien avant que les églises pentecôtistes y atteignent leur apex ou que la secte Boko Haram ne commence son insurrection violente en 2009. Donc, par extrapolation, le rapport aurait dû éviter cette comparaison captieuse et superflue avec le Cameroun qui génère une confusion dont on aimerait bien se passer.
Recentrer le debat : se poser les « vraies » questions sur l’avenir du Cameroun
Au lieu de verser dans un amalgame superfétatoire voire contreproductif, le rapport de l’ICG aurait dû élaborer une recherche congrue sur des problématiques cruciales permettant au gouvernement de mieux cerner les challenges les plus pressant et de d’anticiper sur les menaces futures.
En isolant les différentes composantes du panorama religieux, il devient évident que l’extrémisme violent de Boko Haram est de loin plus dangereux que le prosélytisme revivaliste ou wahhabite.
Il semble donc adéquat d’effectuer des travaux de recherche et d’analyse pertinent portant par exemple sur :
* une analyse des processus de radicalisation individuels et collectifs dans l’Islam au Cameroun et surtout le passage du radicalisme au terrorisme violent matérialisé par Boko Haram. On pourrait par exemple tester les théories du choix rationnel conscient basé sur le cout d’opportunité ou la théorie de la pente glissante ou savonneuse qui évalue les activités réduisant incrémentalement le cercle social de l'individu et le désensibilisant progressivement à la violence.
* la mise en place d’un système de collection de l’intelligence harmonisé et efficace étant donné que les différentes structures qui glanent l’information sur le terrain en l’occurrence la police, la gendarmerie, l’armée conventionnelle et le Birr opèrent généralement en silos ; ceci peut engendrer des gaps important dans le renseignement et ouvrir des brèches sécuritaires que Boko Haram exploiterait à son avantage.
* La transformation silencieuse de l’armée Camerounaise d’instrument de protection du régime en garant de la sécurité du peuple. Cette problématique est essentielle pour appréhender les mutations qui se sont produites aussi bien dans l’armée conventionnelle, le BIRR que la conscience collective Camerounaise depuis les premières attaques de Boko Haram. Plus que l’assemblée nationale ou le sénat, l’armée est de plus en plus perçue comme la seule institution crédible et légitime aux yeux des populations. Il serait donc intéressant de projeter l’impact que cette Réforme du Secteur de la Sécurité (RSS) silencieuse pourrait avoir sur le futur du pays.
1 Voir Agathe Plauchut (2015) “CENTRAFRIQUE : LA FABRICATION D’UN “CHOC DES CIVILISATIONS“ ? » et Johnny Vianney Bissakonou (2014) « Pourquoi et comment Mahmat Kamoun est nommé premier ministre ». 2 Voir Jibrin Ibrahim (1989) “The Politics of Religion in Nigeria: The Parameters of the 1987 Crisis in Kaduna State” et Abdul Raufu Mustapha(2014) “Sects & Social Disorder: Muslim Identities & Conflict in Northern Nigeria”. 3 Abdul Raufu Mustapha(2014, p 130).
Lire ledit rapport de International Crisis Group sur ce lien
 Tchioffo Kodjo
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