Quelle est le rôle du comptable-matières aujourd’hui dans la gestion de la fortune publique et quel était son rôle avant ?
À l’origine, et ce avant 2007, on peut situer le rôle du comptable-matières à deux niveaux. Il est selon la loi de 1977, responsable de la gestion du patrimoine mobilier et immobilier de l’Etat, c'est-à-dire, il recense, identifie, stocke et distribue le matériel sur ordre de l’ordonnateur. Parallèlement à cette mission, il est chargé de donner l’attestation de service rendu avant tout paiement. Après la réforme de 2007, les comptables-matières ont été réduits à de simples agents, sans véritables responsabilité. Il leur a été retiré la garde du matériel, la certification du service rendu. Aujourd’hui, l’ordonnateur engage, liquide, ordonnance et certifie. Avec de tels pouvoirs aux mains d’un seul individu, on peut imaginer les conséquences. Les comptables-matières n’ont plus aucun rôle. Tout juste, la loi leur demande de préparer, sous l’autorité de l’ordonnateur, un compte de gestion.
Quelles sont les conséquences de ce changement ?
Dès lors que l’ordonnateur est juge et partie, connaissant la mentalité des Camerounais lorsqu’il s’agit de gérer la fortune publique, il faut s’attendre à tout. Tous les ordonnateurs de crédits se sont constitués en fournisseurs et ne livrent pratiquement rien. Les magasins sont vides, en dehors de quelques cas. Tout le budget de l’Etat va à vau-l’eau. C’est d’ailleurs pour cela vous verrez bien que le budget de fonctionnement est consommé à 100% alors que le budget d’investissement où il y a un peu plus de contrôle avec l’Agence de régulation des marchés publics (Armp) et le ministère des Marchés publics, est engagé à moins de 50%.
Comment en est-on arrivé là ?
En 2006, M. Essimi Menye est nommé ministre délégué au Minfi, chargé du Budget. Quelques temps après sa prise de fonction, il saisit le directeur de la Comptabilité-matières que je suis à l’époque, par téléphone, aux environs de 17h. Il me demande de me rapprocher de lui pour parler de la Comptabilité-matières, étant donné que nous allions désarmais travailler ensemble. Compte tenu de l’heure, je me trouvais déjà hors du bureau, j’obtiens de lui de le rencontrer le lendemain, avec cette fois-là un document retraçant tout ce qui était de la comptabilité-matières, de ses origines jusqu’au moment où il m’interpellait. Le lendemain, il me reçoit à son bureau avec beaucoup d’empressement. Je lui remets un document dactylographié de 18 pages. Il me félicite pour ce travail. Je lui parle également de la gestion budgétaire au Cameroun, ses limites et améliorations possibles. Pour lui permettre d’avoir un support, je lui remets un document de 17 pages qu’il apprécie énormément et me promet, une fois encore, que nous allons beaucoup travailler ensemble. Mais curieusement, il ne me recevra plus jusqu’en 2007. J’ai alors compris qu’il voulait comprendre tout le système pour mieux le dynamiter plus tard…
Soyez un peu plus précis…
En août 2007, peu avant la nomination d’Essimi Menye au poste de ministre des Finances (Minfi), je reçois une équipe de la Cameroon radio and television (Crtv) conduite par Jean Marie Nka, venue me faire parler de la Comptabilité-matières, discipline peu connue des Camerounais. Bien que surpris par une telle initiative, je me résous quand même à accorder une suite favorable à cette sollicitation car, c’est un média d’Etat. Toute la conversation est enregistrée. L’équipe de journalistes revient à la charge quelques jours après pour me dire la satisfaction de leur hiérarchie à l’écoute de la bande et me signifier que nous devions faire un tournage pour une émission de grande écoute, Tam-tam week-end en l’occurrence. Pendant qu’on s’y prépare, un remaniement ministériel intervient le 7 septembre. Je me trouve donc contraint de faire une note à mon nouveau ministre pour instruction. Essimi Menye me demande plutôt d’assister le lendemain à une réunion dans son bureau. Celle-ci a lieu en présence du ministre délégué (Mindel) aux Finances chargé du Budget, Titi Pierre, du secrétaire général des Finances (Sg), Justin Njomatchoua. D’entrée de jeu, Essimi Menye me demande -‘’M. Ze, quelle est cette histoire d’émission à la télévision ?’’ Pendant que j’essaie de balbutier une réponse, il me donne l’ordre de ne pas passer à la télé, sinon pour dire que la Comptabilité-matières est une discipline coloniale morte et qu’il n’y a plus aucune urgence pour former des cadres devant gérer le matériel, car, déclare-t-il, les secrétaires dactylo, elles qui maîtrisent mieux les besoins d’un bureau, peuvent le faire.
Qu’est-ce qui se passe par la suite ?
Séance tenante, Essimi Menye m’annonce que la comptabilité sera supprimée et ajoute une question lourde de signification : -«M. Ze, si on donne des crédits à un gestionnaire, il achète les beignets avec ça, c’est le problème de qui ?» Plus grave, il annonce qu’il va également supprimer les contrôles. Prenant le ministre délégué à témoin, il indique que l’ordonnateur peut contrôler sa dépense. Pendant qu’il parle, le Sg a les yeux clos, le Mindel Titi Pierre regarde le plafond. C’est sur ces entrefaites qu’Essimi Menye nous remercie. La loi réduisant le rôle du comptable-matières en simple faire-valoir est votée en décembre 2007, avec effets immédiats. Plus tard, on apprendra de la bouche même des députés qu’ils ont été grassement arrosés par le Minfi d’alors pour faire passer la loi en l’état. Il se rapporte également qu’au niveau de la primature, des pots-de-vin ont circulé. Pour boucler, les députés ont reçu la promesse que dès lors que le comptable-matières, cet empêcheur de manger en rond, est mis à l’écart, ils gagneront de gros marchés.
Pour vous, quelles étaient les motivations du ministre Essimi Menye ?
Je peux sans risque de me tromper évoquer la thèse du complot contre le Cameroun. Car, la comptabilité-matières était le bras séculier de l’Etat dans la sécurisation du patrimoine national. Essimi Menye est en fait celui qui vient terminer la besogne qui avait commencé sous Abah Abah, qui avait préparé la loi avec feu Henri Engoulou. Bref, il a trouvé le projet déjà mûr, y a mis sa touche et l’a envoyé à l’Assemblée nationale.
Depuis le passage d’Essimi Menye aux Finances, l’on a l’impression que le Cameroun connait des tensions de trésorerie sans cesse, qu’est-ce qui peut expliquer cela ?
Effectivement, depuis Essimi Menye, nous vivons une tension de trésorerie permanente. C’est avec lui que pour la première fois, l’Etat fait des emprunts obligataires. Ce qui se passe dans les faits c’est que la mise à plat des fondamentaux qui protégeaient la fortune publique a entraîné des comportements nouveaux. Les livraisons fictives sont devenues la règle, tous les ordonnateurs s’étant mués en fournisseurs à travers femmes, enfants et copines. Le fait qu’on n’ait pas été à la recherche de financements, qu’il n’y ait pas eu de réception effective bien que tous les documents soient signés, fait qu’on peut engager une dépense aujourd’hui et se retrouver à la paierie générale le lendemain. Cela va entrainer un engorgement des sorties dans les paieries alors que les recettes ne suivent pas au même rythme. Malgré l’affectation trimestrielle des budgets, la corruption endémique fait que les quotas des dépenses sont systématiquement élevés et la roue tourne à un rythme infernal. Ajouté à cela, toutes les mauvaises pratiques liées aux frais de missions fictives. Les déblocages excessifs des fonds devenus la règle de gestion et réduisant à la proportion incongrue l’exécution du budget en procédure normale, la caisse ne peut plus satisfaire tout le monde. Essimi Menye a été, visiblement, mandaté pour mettre le Cameroun à genoux et nous mettre dans les fourches caudines de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international.
Finalement, qui est Essimi Menye ?
Contrairement à l’idée qui est fortement répandu dans les médias, Essimi Menye n’est ni financier ni banquier. C’est un ingénieur statisticien. D’ailleurs, c’est au soir de sa carrière qu’il a eu son diplôme d’ingénieur au Maroc. Il faut que les Camerounais sachent qu’Essimi Menye prend officiellement sa retraite comme personnel de l’Institut national de la statistique (Ins) en 2005 à l’indice 530, c'est-à-dire celui qu’on attribue aux élèves sortis de l’Enam deux ans après leur prise de service. Imaginez donc à quel indice il avait été recruté et quel était alors son cursus académique au moment de son recrutement. Bien plus, Essimi Menye est né officiellement en 1950, il est recruté en 1984 à 34 ans. Comment a-t-il réussi ce coup de force ? On n’a pas souvenance d’avoir entendu ce nom pendant les nominations au Cameroun, contrairement aux multiples postes de responsabilité qu’on lui attribue aujourd’hui au Cameroun. Selon toute vraisemblance, il aurait été chef de service à l’Ins jusqu’à sa retraite en 2005. C’est au moment où il prend sa retraite qu’il se met au service de l’Equato-guinéen qui était administrateur du Cameroun au Fmi. Mais les réseaux bien tapis dans l’ombre vont le présenter au chef de l’Etat comme un brillant économiste et financier. Si on devait faire l’évaluation de la mise à l’écart de la comptabilité-matières de 2007 à 2015, Essimi Menye est le Camerounais qui aura permis les plus grosses évasions de la fortune publique. Ce qu’on lui reproche à Amity Bank n’est que du menu fretin.
Propos recueillis par Michel Tafou
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