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CICAM, SOSUCAM ET CIMENCAM : COMMENT LE SORT D’AHIDJO A ÉTÉ SCELLÉ par Bernard OUANDJI

Trois importants fleurons de notre industrie vivent cette année leur cinquantenaire : CICAM, SOSUCAM et Cimencam, sociétés d’économie mixte créées en 1965. Basée à Douala, CIMENCAM a également une usine au Nord ; CICAM pareil. SOSUCAM est implantée dans la plaine du Centre. L’Economiste Bernard Ouandji a été largement témoin et acteur de l’histoire de la  construction d’une Economie nationale dans le Cameroun nouvellement indépendant ; il livre ci-dessous sa version des faits historiques.
Du pacte colonial à l’économie nationale, Genèse d’un élan de courage dans la politique économique. 1ère partie 1962 – 1970 : les projets gagnés à l’arrachée
Pour abolir le « Principe de l’Exclusif » lié à la Colonisation, il a fallu bâtir une Economie nationale inspirée et contrôlée par les nationaux pour mériter la vraie indépendance réclamée par les « indépendantistes ». Chronologiquement, l’élan de cette initiative de développement est impulsé dans la réorganisation du gouvernement le 23 mars 1963, avec la création d’un Ministère des Finances et du Plan confié à Charles Onana Awana ; et surtout la création d’un Ministère de l’Economie nationale, confié à Victor Kanga , Docteur en Droit, Député du Wouri, Directeur des Douanes. Quelques mois plus tard, nouveau réaménagement du gouvernement le 20 octobre 1963,Simon Pierre Tsoungui est nommé ministre de l’Economie nationale ; pour sa part Kanga  victor est chargé du Ministère des Finances et du Plan, et travaillera avec le Secrétaire d’Etat aux Finances du nom d’Augustin Frédéric Kodock .
Cette équipe se met aussitôt au travail ; avant la fin de l’année 1963 et à l’arrachée, le Gouvernement camerounais a signé avec des partenaires Italiens, un protocole pour construire une cimenterie.  En 1964, le Président de la République se dote d’un fonds souverain: ce sera la Société nationale d’investissement, SNI. La SNI sera donc actionnaire pour le compte de l’Etat dans différents projets dans l’industrie et l’agro-industrie. Le gouvernement a commencé à plancher sur la création de la SNI sous le ministère d’Onana Awana et le chef du projet est Tchanque Pierre, expert-comptable et Secrétaire général du ministère des Finances ; il est assisté de Louis Wansek. Les deux cadres seront les artisans de la rédaction des Statuts et du Règlement intérieur de la SNI. « Je me suis inspiré du modèle de la Caisse centrale de coopération économique de la France, avec ses comités spécialisés et son système de plafonds d’engagement ; mais les bons d’équipement c’est mon invention» me dira avec fierté Tchanque en 1983. Institution jumelle de la SNI, la BCD fonctionne depuis deux ans et finance les particuliers et les crédits de campagne, tandis que la SNI se consacrera à la mise sur pied de joint-ventures.
Faisant suite à l’adoption de ses Statuts par l’Assemblée nationale, les organes de la SNI sont pourvus :Jean Faustin Betayene est nommé PDG de la SNI, un titre retentissant qui donne du poids à son titulaire, désormais capable de traiter d’égal à égal avec des ministres ; de plus Betayene a un poids politique, étant un transfuge du parti d’André Marie Mbida et ancien ministre des Affaires étrangères ; il peut appeler le Président directement ; son épouse Alix est de nationalité française et avocate de profession. Louis Wansek est nommé DGA de la SNI, supposé être le chef technocrate de la maison. Faut-il rappeler et en toile de fond, que le Président Amadou Ahidjo, puisque c’est son nom, veut propulser l’Economie nationale pour se défaire de l’étiquette de valet du colonialisme que les propagandistes de l’upc lui ont collé. En 1963, pour ma rentrée scolaire en sixième, on achetait les livres, fournitures et les chaussures soit à Printania et Monoprix, qui étaient deux magasins français, soit chez Tsekenis et Arnopoulos, des grecs. Si les planteurs de cacao-café étaient bien des camerounais, les acheteurs et exportateurs étaient des grecs et des français et c’est les étrangers qui décidaient du partage de la valeur ajoutée et roulaient carrosse. Pilote et co-pilote du Minfi, Kanga  Victor et Kodock  se connaissent bien pour avoir travaillé à Douala dès 1962, Kanga  comme Directeur des Douanes et Kodock  comme Directeur des Relations économiques extérieures ; ces deux directions ainsi que la Direction des Contributions directes sont effectivement basées à Douala, en immersion dans le milieu économique et industriel.
Les deux hommes seront crédités d’avoir identifié des hommes d’affaires nationaux, puis les ont favorisé via les licences d’importation et les crédits en douanes ; ils ont inventé l’entrepôt fictif. Les résultats ne tardent pas à sa matérialiser : de simples ouvriers, motor-boys et aide-comptable au mieux, les camerounais se muent en hommes d’affaires. La chaîne des magasins Newcam à Douala va casser le monopole des grecs et des français dans l’importation et la distribution des articles de ménage ; à Nkongsamba, le magasin vogue fait sensation. La première librairie camerounaise sera ouverte avec pignon sur l’Avenue du 27 août à Douala, événement qui aura un retentissement considérable.  Anga et Kodock  : leur sort sera même davantage lié, car, après trois années de succès, les deux hommes seront écartés brutalement de leur ministère « On nous a enlevés le même jour », me dit Kodock  en 2009. Que s’est-il passé dans les coulisses, alors que les résultats visibles sur le terrain plaident pour les deux ministres ? Kanga  Victor s’est tenu à l’écart du recrutement de l’upc ; il est proche d’Ad Lucem et réputé pro-français; il devient ministre à trente-neuf ans. Mais exerçant comme ministre, au fil des années et du succès des hommes d’affaires camerounais, Kanga  est progressivement indexé pour avoir ouvert le commerce de gros et demi-gros aux nationaux, principalement. Plus grave, il fait de petites choses pour le petit peuple ; par exemple il inaugure à Akonolinga un étang où l’on a introduit avec succès un poisson que la population décide de dénommer « Kanga  » ; il appuie une association d’élèves dans la finalité de leur trouver des bourses pour poursuivre leurs études en France. Kanga  Victor est célèbre, c’en est trop.
Augustin Kodock, la trentaine juste révolue, détient un Doctorat en Sciences économiques conquis à Toulouse, ville universitaire et technologique où il aura été le camarade d’Ossende Afana, l’upéciste révolutionnaire. Et surtout Kodock  a fait l’ENA (école qui forme l’élite française jusqu’aujourd’hui), ce qui le place très nettement au-dessus du lot des administrateurs civils camerounais qui ont obtenu leur parchemin à l’Institut des Hautes Etudes d’Outremer. Très bien outillé, Kodock  va procéder par analyse et calcul économiques dans l’étude des projets qui lui sont confiés. Dans le dossier CICAM, Kodock  met en concurrence japonais, allemands et français. Dans le dossier Cimencam, il met en concurrence italiens et français. Energique, Kodock prospecte les partenaires et négocie des termes favorables pour le Cameroun. Les protocoles de joint-venture sont signés: CICAM a pour principal partenaire la DEG, une institution allemande ; CIMENCAM sera piloté par Cementir, une firme italienne. Les économistes camerounais ont montré l’image d’un Cameroun indépendant à l’égard de la France, un crime de lèse-majesté ! Le cas de CIMENCAM mérite plus de détails ; à l’origine, un aventurier italien du nom de Rocaglia avait découvert une carrière de marbre au niveau de Garoua non loin de Figuil et réussira à installer une unité de découpe et polissage dans les environs. Le marbre sert au revêtement dans l’immobilier et la clientèle en demande. Rocaglia ouvrira et fera fonctionner une salle d’exposition à Yaoundé située juste avant l’ancien aéroport et réussit ainsi à équiper plusieurs édifices et villas de la capitale naissante. De par son activité dans le département d’origine du Chef de l’Etat, Rocaglia jouit de bonnes entrées dans le milieu politique cependant son principal objectif est la mise en valeur industrielle de la carrière de calcaire adjacente au marbre : en effet, le calcaire est la matière première d’une cimenterie. Rocaglia se fait fort de convaincre ses frères de venir créer une telle cimenterie à Figuil et devient mandataire de Cementir, la plus importante compagnie de ciments en Italie depuis l’après-guerre. Le partenariat avec l’Italie se justifie également par le fait que Cogefar, une entreprise italienne de travaux publics, va exécuter de gros ouvrages au Cameroun dont notamment le chemin de fer transcamerounais.
C’est là que les problèmes commencent pour notre trio Kanga, Kodock , Wanseck. La France, qui est en train de faire des réalisations d’envergure au Cameroun (barrages ; électrification etc.), s’interpose et exige l’annulation du contrat. Le jeune régime politique du Président Ahidjo vacille ; menacé sur sa droite par Paris, Ahidjo est par ailleurs menacé sur sa gauche par le maquis du vice-président de l’upc, Ernest Ouandié. Ahidjo cède finalement. Lors de la signature de la Convention d’Etablissement en 1965 avec Cimencam, la France a chipé le leadership du projet cimenterie, cependant que les italiens resteront actionnaires à hauteur de …. 3,4%, compte tenu des frais d’études engagés ! Rocaglia arpentera les couloirs de la SNI pendant longtemps protestant la mise à l’écart des Italiens. Mais on est devant un fait accompli. Le tout premier DG de CIMENCAM sera français, du nom de Edmond Leguil, et ses états de service plaident pour lui : il fut sous-préfet dans la Bénoué au Nord, couvrant justement …. Figuil ! Edmond Leguil, petit homme attentionné et entièrement dévoué au sort de l’entreprise à lui confiée, saura assurer l’essor de CIMENCAM pendant deux décennies. CIMENCAM sera composé de deux unités bien distinctes, dont une cimenterie intégrée à Figuil basée sur l’exploitation du calcaire du Nord, et une station de broyage à Bonabéri, qui importe le clinker pour faire le ciment. Le gouvernement camerounais effectuera aussi une volte-face spectaculaire dans le dossier CICAM. Kodock  est à Paris, lieu de rendez-vous convenu avec les partenaires allemands et français pour signer le document du prêt que la Caisse centrale de coopération économique accorde pour boucler le financement du projet CICAM. C’est fait et il reprend l’avion le lendemain pour rentrer au Cameroun mais pendant qu’il est en l’air le Gouvernement français refuse de ratifier l’accord de prêt paraphé par la Caisse centrale de coopération économique ; Ahidjo est sommé de tout annuler. Ignorant tout de ce qui s’est tramé pendant qu’il était en l’air, Kodock  atterrit à Yaoundé et un véhicule l’emmène immédiatement auprès du Président Ahidjo où il s’attend à des félicitations.
Mais que dalle, Ahidjo garde l’air sombre et lui intime l’ordre de repartir sur Paris le lendemain pour inverser les choses et mettre la France majoritaire dans le capital de CICAM, donc l’Allemagne sera minoritaire. Kodock  va obtempérer et le lendemain repart sur Paris. « Voilà comment j’ai pris l’avion deux fois en trois jours pour Paris » me dit-il en 2009. Les Allemands vont vite se résigner et CICAM va prospérer comme le fruit de la coopération forcée entre l’Etat Camerounais, la SNI, la Banque Allemande de Développement (DEG) et le groupe textile français Dollfuss Mieg Corporation. Ayant compris la leçon, Ahidjo laissera Grand Moulins de Paris de Vilgrain s’implanter en étant seul maître du jeu, la SNI étant minoritaire dans la sucrerie Sosucam. Quelques mois plus tard, les deux chantres de l’Economie nationale, Kanga  Victor et son adjoint Kodock, seront limogés le 28 juillet 1966, même pas trois ans passés comme ministres. Kanga  Victor aura ce mot demeuré célèbre « Je tombe, victime du devoir bien fait » ; il est muté au ministère de l’Information, et pas pour longtemps puisqu’il sera définitivement limogé le 15 janvier 1968 et jeté en prison, pour très longtemps. Remplacé par Nguenti Gaston, Louis Wanseck est remis à son administration d’origine, pour y végéter en complément d’effectifs.
En 1970, Kodock  trouve une planche de salut à Abidjan, élu vice-président de la BAD. Le sort des trois patriotes illustre le mot « l’Afrique est un continent dominé », propos que me tiendra Kodock  le 30 juin 1992, le jour de notre toute première rencontre. Ahidjo a mis un genou à terre mais ne s’avoue pas vaincu ; il rumine contre le néocolonialisme. Le temps passe vite et c’est la guerre du Biafra qui va lui offrir une occasion de s’affirmer. Sous le prétexte de protéger les installations de ses compagnies BP et Shell, la Grande Bretagne a effectivement imposé un blocus maritime dans la Baie du Biafra, rendant quasi impossible l’approvisionnement des séparatistes biafrais. Ceux-ci sollicitent l’utilisation des zones frontalières du Cameroun comme bases arrière; pas de  problème pense le Général de Gaulle à Paris. Il convoque Ahidjo à l’Elysée et à sa grande surprise Ahidjo refuse. Ce NON est autant retentissant que le NON de Sekou Touré en 1958. Comme alternative, le Colon organise le pont aérien pour ravitailler le Biafra ; Ahidjo interdit le survol du territoire camerounais et pour faire vrai, ordonne de descendre tout aéronef fautif. Un avion affrété par la France est ainsi abattu ; jusqu’aujourd’hui, à Guider on fabrique des lames de couteau avec le métal récupéré de la carlingue de cet avion.
2ème partie 1970 - 1982 : les nationalisations à la Nasser sous inspiration upéciste
Ayant conforté sa position par voie de réélection en 1970 et son adversaire juré Ouandié réduit au silence, Ahidjo effectue une manœuvre spectaculaire en sortant d’Air Afrique pour créer la Camair ; il fait là un véritable pied de nez aux français et s’équipe chez le constructeur américain Boeing. Deux stades omnisports sont construits par la firme italienne Cogefar. Ahidjo va en Chine (à bord d’un Boeing 737 de la Camair) et revient avec le Palais des Congrès de Yaoundé. Ahidjo autorise l’importation des voitures japonaises, nouveau pied de nez à la France ; ce n’était pas une décision facile, le Président de la Chambre Paul Monthé meurt peu après l’entrée des premières Toyota au Cameroun. Ahidjo consolide le dispositif institutionnel de l’Economie nationale. Issue d’une récente réorganisation du gouvernement, le Ministère de l’Economie et du Plan est attribué à Youssoufa Daouda, un jeune ingénieur agronome de 33 ans ; ce ministère a désormais la haute main sur les agréments de projets industriels et surtout, sur les licences d’importation des produits de grande consommation. On assiste à l’essor d’une bourgeoisie compradore nationale. Et ça bouge à la SNI ; en effet cette institution a été remise en selle le 28 août 1973 par la promotion du Directeur de la Programmation au Ministère de l’Economie et du Plan, Amadou Bello, au poste de PDG de la SNI ; suivra l’arrivée comme DGA de Tchetgen Gustave.Son propre Conseiller économique, Marcel Yondo, Docteur en Sciences économiques, est nommé Directeur national de la Banque centrale, dans le sillage de la réussite de la renégociation des accords de la Zone franc, conclue à Brazzaville en novembre 1972.
Ahidjo continue l’offensive : dès 1973, il a « nationalisé » les grandes entreprises françaises d’électricité, d’eau et télécoms, processus qui voit éclore Sonel, Snec, Intelcam ; il négocie et obtient la majorité des actions des banques coloniales françaises Biao, Bicic, SCB/Crédit Lyonnais et Société générale; nomme des directeurs généraux camerounais … y compris son propre fils à la SCB. La prise de contrôle des télécoms et des chemins de fer sont deux cas spectaculaires. Jusqu’en 1972 toutes nos communications téléphoniques internationales transitaient par un commutateur de France Cable Radio ; et il fallait payer 25% de droits de transit. Le Cameroun décide de créer la Société des Télécommunications du Cameroun (Intelcam) pour prendre le relais. Devenue 100% camerounaise, Intelcam modernise la station terrienne de Zamengoé et réalise l’accès au réseau mondial INTELSAT directement. Un PDG est nommé à la tête d’Intelcam. La Régie des chemins de fer passe sous contrôle national avec la nomination d’un PDG camerounais, Ntang Gilbert, qui aussitôt achète des locomotives chez le constructeur canadien Bombardier ; ça jase dans les ateliers de la Régie, car les locomotives canadiennes sont performantes et dit-on, moins chères que les concurrentes françaises. Dans le secteur de l’agro-industrie, Socapalm et Hevecam verront le jour avec l’Etat (la SNI) actionnaire majoritaire ; dans les deux sociétés l’Assistance technique est assurée par Terres Rouges, une mythique compagnie française qui a été pionnière de l’hévéa au Cambodge, aujourd’hui membre du Groupe Bolloré. Le Gouvernement négocie une prise de participation dans la capital de Safacam ; cette société coloniale a aménagé de vastes étendues de terres entre Edea et kribi pour cultiver l’hévéa et le palmier à huile ; ses pratiques et politiques de main d’oeuvre ont nourri les revendications nationales depuis 1946 (Um Nyobe, Ernest Ouandié ont animé des syndicats à Dizangué).
Cet élan va conduire à la création de Sodecoton en 1974, avec l’Etat camerounais détenteur de 70% des actions ; la CFDT, ancien organisme colonial qui gérait le coton dans toute l’Afrique francophone, verra sa part diminuer à 30%. L’ONCPB est mis sur pied théoriquement pour égaliser dans le temps les flux des revenus tirés du cacocaco- coton ; en réalité, l’ONCPB et son réseau d’acheteurs nationaux prennent le contrôle de l’exportation des produits de base. Les camerounais Mbous, T. Bella, Ebobo deviendront de gros exportateurs de cacao. Les planteurs camerounais rachètent les usines de café dans le Mungo.  
L’Economie nationale d’Ahidjo fait école.
Ayant arraché le pouvoir, le nouvel homme fort du Niger veut renégocier le prix de cession de l’uranium à la France. En Côte d’Ivoire, dans la foulée et sur le même schéma, Houphouët-Boigny va créer la Caisse de stabilisation des produits de base et la Compagnie ivoirienne de développement du textile CIDT ; la première prend le contrôle des produits de base et la seconde va structurer le développement dans la zone cotonnière du Nord du pays. Ayant visité le Cameroun en février 1978, FHB est impressionné ; il rentre chez lui pour imprimer un élan d’économie nationale en Côte d’Ivoire, car en ce temps-là les plantations, les boulangeries, les grands magasins et les grosses affaires appartenaient aux étrangers, français et libanais, essentiellement. FHB somme ses ministres et DG de « prendre le crédit » à la Banque nationale de développement agricole BNDA, pour fonder des plantations qui de cacao-café en zone semi forestière, qui de palmier-hévéa sur la frange côtière, au choix, et leur alloue des terres sans distinction de l’origine tribale du promoteur. L’euphorie s’empare du régime à Yaoundé et ça bouillonne à la SNI. Trois diplômés de la faculté de droit et sciences économiques de Ngoa Ekele Yaoundé sont recrutés le 1er août 1974 pour effectuer un stage d’un an avant d’aller aux Etats-Unis pour faire un MBA : Sanda Oumarou, Ejangue Théodore, Ouandji Bernard. La décision du Gouvernement est surprenante et courageuse parce que d’habitude c’est en France que l’Administration camerounaise a envoyé ses cadres en formation. C’est que le PDG a décidé d’étoffer ses services avec des cadres imprégnés des affaires internationales hors du contexte de la Zone franc. Et pour cause, depuis l’instauration des taux de change fluctuants le 15 août 1971, les économistes du monde entier parlent beaucoup du dollar, des euro-dollars ; en 1974 le contexte économique mondial est sous l’emprise de la surchauffe ; suite à l’envolée des prix du pétrole, les cours de toutes les matières premières ont flambé. De nombreux projets sont proposés aux pays du tiers monde : raffineries, sucreries, usines textiles etc. Dans le cas du Cameroun s’ajoute la pâte à papier. Dans un contexte où les offres sont complexes, les gros projets sont envisagés or les pays du tiers-monde ne disposent que de cadres nationaux peu expérimentés.
Comme pour donner la réplique aux français, le Gouvernement camerounais implante juste à trois cent mètres de CIMENCAM une usine d’engrais, la Socame, construite par la firme allemande Klochner. Le Gouvernement camerounais lance un projet industriel d’envergure la Cellucam, en partenariat avec des autrichiens et des suédois. La stratégie de partenariat de Cellucam parait judicieuse puisque les suédois sont les rois de la pâte à papier en Europe ; les français, américains et les pays arabes sont aussi impliqués ; la banque française Indosuez, la banque arabe BADEA et la Chase Manhattan cofinancent mais le gros du crédit est autrichien. Pour la Camship, c’est encore les allemands qui seront partenaires stratégiques, au grand dam des armateurs français qui contrôlaient le port de Douala depuis 1940. Dans la foulée, le Président Ahidjo lance un projet sucrier national du nom de Camsuco, plus grand que la SOSUCAM; dans le capital de Camsuco, le partenaire français plafonne à 6%, l’Etat, la SNI et le secteur privé national détenant ensemble 94%. En 1977 la SNH sera le Projet qui fait comprendre que la vengeance d’Ahidjo est terrible : il traite sur une base égale les exploitants pétroliers français et anglais, le seul avantage de la France étant sa participation au projet Sonara où les actions françaises plafonnent à 17% de cette société; et surtout, Ahidjo a obtenu de l’Etranger un partage de production inédit en Afrique, adjugeant 50% pour le Cameroun; en comparaison, et selon les données de 2010, nos voisins francophones d’Afrique centrale touchent une quote-part de 17%.Dans le dossier Pétrole, Ahidjo a bénéficié de l’assistance technique de l’Algérie, pays révolutionnaire qui hébergeait des upécistes. En 1978 la SNI a atteint son altitude de croisière. Mais nos partenaires français s’irritent durant les négociations quand nous faisons les calculs pour diminuer leur part de revenus.
L’Auditeur Chef de Mission que je suis est taxé de «gêneur» sur les projets Sawa Novotel de Douala et Mizao Novotel de Maroua ; pareillement à la Tannerie de Ngaoundéré. Mais on s’accroche. En juillet 1978, le PDG Amadou Bello est ravi ; il m’a envoyé en mission au siège de Novotel à Evry en France et à l’issue des contrôles y effectués, il a pu faire baisser le budget d’équipement du Sawa Hôtel de 900 millions francs à 412 millions francs. En novembre 1978, le Gouvernement par l’entremise de la SNI réussira à négocier une prise de participation minoritaire (25%) dans le capital de SABC (Brasseries du Cameroun); cette société a essuyé tous les quolibets, étant tour à tour taxée de colonialisme et de stakhanovisme. « Quand j’ai lu la conclusion de votre note d’analyse recommandant l’achat des actions SABC par la SNI, j’ai observé la réaction de soulagement sur le visage du Président Alphonse Denis et j’ai compris que les français voulaient cette entrée des camerounais dans la société ; j’en ai alors profité pour négocier à la baisse le prix d’achat proposé par votre note ; félicitons mutuellement, M. Ouandji car j’ai aussi travaillé » me dit Amadou Bello à son retour du Conseil d’Administration de SABC du 2 novembre 1978 où il avait été invité pour négocier l’entrée du Cameroun dans le capital de la SABC. Au courant de l’année 1979, commencent les difficultés financières de la SNI, directe conséquence des difficultés financières de certains projets initiés dans la phase euphorique cinq ans plus tôt. Socame n’est pas économiquement viable car son produit est basé sur l’importation de produits chimiques onéreux.
Camsuco produit du bon sucre mais le vend à 135 F le kilo alors que les études étaient basées sur un prix de 240 F le kilo d’où un énorme déficit de cash-flow; l’usine tourne à moins de la moitié de sa capacité parce que les plantations de canne ne sont pas encore arrivées à maturation ; or les études avaient indiqué deux ans pour donner le plein rendement des champs. L’endettement de la sucrerie est excessif et les recherches de subventions énervent tout le monde. Lors du Conseil d’Administration de Camsuco tenu à Yaoundé le 6 juillet 1979, l’on observe une brève mais intense passe d’armes entre le Délégué français et la SNI, sur la question des indemnités à verser au titre d’assistance technique française. C’est là que les problèmes d’Amadou Bello se corsent. En tournée en Afrique du Nord pour chercher une compagnie sucrière en Egypte et au Maroc pour jouer le rôle de partenaire à la Camsuco, car celle-ci bat de l’aile, Amadou Bello est reçu par le Roi Hassan II, qui l’informe « C’est moi que la France a chargé de dire au Président Ahidjo que tu dois être écarté de la SNI ». Peu après son retour de cette mission, le 7 novembre 1979, Amadou Bello est muté PDG de la Camair. La compagnie nationale choisit la firme américaine Boeing pour fournir le gros porteur B747 qui sera baptisé Mont Cameroun ; affectueusement surnommé « Le Combi » par les camerounais, cet aéronef est aussitôt intégré parmi les symboles de l’identité nationale. 1981 : avec l’avènement du pétrole, le budget de l’Etat et le commerce extérieur affichent des soldes excédentaires.
En dépit des ratés de quelques sociétés d’Etat, les affaires décollent et l’Economie nationale atteint son apogée. En France, un nouveau Chef d’Etat a pris fonctions en mai 1981; son avènement inquiète le sérail à Yaoundé et pour cause, François Mitterrand avait envoyé Me Badinter défendre Ernest Ouandié mais Ahidjo l’avait remis dans l’avion pour Paris. Des chefs d’Etat du pré-carré français ont été reçus plus d’une fois à l’Elysée mais l’invitation du Président camerounais tarde à venir. Finalement le Président Mitterrand va recevoir Ahidjo le mercredi 21 octobre 1981 à 16H pour vingt minutes seulement. « Ahidjo est arrivé à Paris le dimanche et s’est installé à l’Hôtel pour attendre le jour de  l’audience ; mais toutes les télés et radios françaises diffusaient les dénigrements du régime par Mongo Beti et autres opposants installés en France ; avant même d’être en face de Mitterrand on savait que l’issue de l’entretien serait néfaste » me dit Moussa Yaya en 1993. 1982 : les difficultés de Cellucam à Edea vont ternir l’image du Gouvernement. Sur le plan industriel, de nombreux goulets d’étranglement freinent la montée en puissance et l’usine de pâte à papier tourne à peine au tiers de sa capacité lorsque survient le 3 mars 1982 une explosion qui détruit la station de blanchiment de la pâte ; en zone précédemment rebelle, l’index pointe le Colon comme auteur d’un attentat délibéré, étant mécontent de la présence des « étrangers » dans cet important projet. Ahidjo est vraiment perplexe et touché.
Epilogue
Se sentant lâché par Paris, Amadou Ahidjo multiplie les voyages à l’étranger à la recherche d’appuis ; il pactise même avec Ceausescu de Roumanie. Cassant le monopole des banques françaises, le Président Ahidjo autorise l’entrée des banques américaines, attirées par les surplus pétroliers qui s’accumulent (un pactole de 600 millions de dollars à New York). Le 5 juillet 1982, le Président Ahidjo est en visite aux Etats-Unis et dans la perspective d’exploiter le gaz camerounais, il signe un protocole avec la firme Air Products, géant mondial et principal concurrent de la société française Air Liquide. Dès lors son sort est scellé.
Bernard OUANDJI ,Economiste
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