La loi du 14 novembre 2011 modifiée par la loi du 16/07/2012 porte création d’un tribunal criminel spécial dans l’organisation judiciaire du Cameroun. Cette loi d’origine gouvernementale qui a fait l’objet de vifs débats, a été examinée par la commission des lois constitutionnelles de l’Assemblée Nationale puis adoptée par la chambre entière. La conformité de l’organisation et du fonctionnement du TCS, compétent pour connaitre la délinquance financière et économique, a été vivement critiquée au regard des principes du droit, notamment, l’égalité de tous devant la loi pénale, la légalité pénale, la non rétroactivité de la loi pénale, la présomption d’innocence, la liberté des preuves, le double degré de juridiction, la séparation des pouvoirs , le procès équitable, et les risques de dérive d’une justice criminelle sommaire et expéditive.
Ces critiques ne manquent pas de pertinence. Il convient cependant de les contenir sans en exagérer les risques attentatoires aux libertés individuelles. Quelque soit le mérite des critiques exprimées, leur appréciation effective devra se faire à posteriori, après un premier bilan du fonctionnement du TCS.
L’objet et le but de la présente réflexion n’est pas d’analyser l’institution du TCS à travers les concepts juridiques classiques qui relèvent des techniques du droit pénal et de la procédure pénale. Il s’agit de tenter, de lire derrière ou en deçà des signes de la loi du 14 novembre 2011 modifiée portant création du Tribunal criminel spécial, l’originalité et la singularité qui s’exprime à travers le TCS, et de tenter de livrer ce que cette loi ne livre pas : le pourquoi des mouvements observés, le non dit des stratégies qui les a commandés, les forces qui les ont provoqués ,les significations qu’ils prennent .En un mot, toute une dynamique cachée qu’il faudrait saisir.
Le choix du TCS a été déterminé par monsieur Paul BIYA, président de la République, sur la base d un flux de délinquants financiers et économiques et de tout un jeu d’influence de la société face au phénomène criminel observé. C’est pourquoi le TCS est la résultante d’une décision politique qui conduit à donner une impulsion à la lutte contre la délinquance financière et économique au Cameroun. L’effet est d’inciter à la transformation de la politique criminelle en la matière.
Le choix du TCS relève d’un choix conjoncturel à dominante politique qui n’est pas le résultat d’une réflexion d’ensemble mais une simple réponse à un phénomène criminel décrié.
Pour répondre à la pression de l’opinion publique camerounaise et internationale, c’est l’état de l’opinion qui a raison et non plus le juriste. L’impulsion politique donnée est de combattre plus efficacement la délinquance financière et économique en indiquant les cibles prioritaires et en précisant que l’effort doit porter sur les comportements les plus importants.
Ainsi, l’exposé des motifs du projet de loi portant création du TCS présenté par le gouvernement insistait-il sur l’insuffisance des réponses apportées à la délinquance financière et économique, en dépit des moyens déployés, et sur la nécessité d’un dispositif de répression plu efficace et plus rapide, pour donner plus de visibilité et de lisibilité à l’action des pouvoirs publics.
Ainsi encore, le rapport de la commission des lois constitutionnelles, des droits de l’homme et des libertés, de la justice, de la législation et du règlement, de l’administration, présenté par le député Basile Yagaï, insistait-il sur l’inefficacité du dispositif de répression à recouvrer le préjudice financier de l’Etat camerounais. Ainsi également, selon les auteurs du projet de loi, modificatif et complétif de certaines dispositions de la loi du 29 décembre 2006 portant organisation judiciaire, des lenteurs procédurales ont fait peser un doute dans l’opinion sur la gestion efficace des affaires de détournement des deniers publics et des infractions connexes. La création d’une juridiction criminelle spéciale s’avérait donc nécessaire pour éradiquer les lenteurs et les dysfonctionnements observés.
Au regard de la centralisation du TCS à Yaoundé, la diversité des tribunaux favorisait un foisonnement des réponses judiciaires, inégales voire incontrôlées à la délinquance financière et économique. La pratique judiciaire s’organisait selon une résistance ou une lutte consistant à appliquer ou à refuser d’appliquer la loi pénale, entraînant une application différenciée de la loi pénale, différence d’une juridiction à l’autre, d’un délinquant à l’autre, d’un type d’infraction financière à l’autre, différence encore, sans doute dans les décisions de poursuite du parquet.
C’est pourquoi, l’article 3 al 2 de la loi prévoit-il que le TCS a son siège à Yaoundé et son ressort couvre l’ensemble du territoire national. Ses décisions peuvent uniquement faire l’objet d’un pourvoi. La diversité des procédures favorisait un foisonnement des réponses judiciaires et une politique criminelle irrationnelle et incohérente qui n’affichait pas une harmonisation des réseaux de sanctions et des principes directeurs qui les gouvernent. L’unification de poursuites était donc souhaitable à tous les délinquants économiques et financiers, sans distinction. C’est pourquoi, les mécanismes prévus par le TCS ont été démocratisés et généralisés par la loi du 16/07/2012 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi du 14/12/2011.
C’est ainsi que l’article 2 nouveau prévoit que le TCS est compétent lorsque le préjudice financier est de 50 000 000 CFA au minimum et le tribunal de grande et de première instance sont compétents lorsque le préjudice financier est inférieur à 50 000 000 CFA, L’article 9 nouveau al 7 précise que les règles de procédure du TCS s’appliquent également devant le tribunal de grande et de première instance.
La composition de ce tribunal national est révélatrice du choix des magistrats en termes de compétences, d’expériences et de grade. Son président est un magistrat hors hiérarchie 2e groupe, assiste de 9 vice-présidents, magistrats de 4e grade, et 4 juges d’instruction, magistrats hors hiérarchie du 2e groupe et des avocats généraux.
A coté du Ministère public, la loi associe le groupe social au système pénal en confiant aux citoyens la faculté de déclencher les poursuites. N’importe qui peut mettre l’action publique en mouvement même s’il n’est pas victime du détournement des deniers publics ou des infractions connexes, étant observé que les enquêtes en la matière sont diligentées par un corps spécialisé d’OPJ placé sous le contrôle du procureur général près le TCS (art 8 al 1et 3 de la loi).
En associant les citoyens à la justice pénale, le pouvoir politique leur permet un regard direct. Cette association à la lutte contre la délinquance financière et économique rend l’ensemble des camerounais conscients et responsables des malversations qui se commettent dans leur pays.
La participation active de l’Etat-victime du préjudice financier et économique détermine une autre orientation de la lutte contre la délinquance financière et économique. L’Etat-victime est partie au procès criminel et peut obtenir, selon les règles classiques, des dommages-intérêts en réparation du dommage causé.
Une autre perspective apparait qui ne serait plus purement punitive, et coercitive, mais a tendance plus consensuelle. La réparation du dommage peut, à la limite, constituer la seul peine lorsqu’il apparait que le préjudice financier quelque soit son montant est réparé et que le trouble a l’ordre public a cessé. Ainsi, l’article 18(1) de la loi permet au procureur général près le TCS, sur autorisation du ministre chargé de la justice, d’arrêter les poursuites engagées avant la saisine de la juridiction de jugement, en cas de restitution du corps du délit. L’article 18(2) permet l’arrêt des poursuites avant toute décision au fond si la restitution intervient après la saisine de la juridiction de jugement, et la juridiction saisie prononce les déchéances de l’article 30 du code pénal avec mention au casier judicaire. Donc, politique criminelle progressive à deux temps. Dans un premier temps, politique purement réparatrice. Dans un deuxième temps, à la fois réparatrice et punitive (déchéances des droits civiques et politiques).
On voit apparaitre ainsi une nouvelle orientation de politique criminelle fondée sur l’intérêt de l’Etat- victime, en amont du procès lui-même avant la saisine de la juridiction de jugement. Associer le délinquant financier et économique à la réponse sociale en lui laissant le choix d’aller en prison s’il ne veut pas de la réparation. Dans cette perspective, l’Etat veut substituer à la politique criminelle de rejet et d’exclusion essentiellement fondée sur la prison, une politique criminelle qui fait appel à la réparation et à l’adhésion.
Une autre perspective apparait dans la loi. L’administration se voit rappeler sa compétence pour appliquer sa propre sanction au délinquant financier et économique (ex-révocation ou affectation). Ainsi, l’article 18(4) de la loi prévoit-il que l’arrêt des poursuites est sans incidence sur les procédures disciplinaires éventuelles. Donc, aménagement d’un système alternatif qui permet à la sanction administrative ou disciplinaire de relayer à la sanction pénale.
L’impulsion politique est donnée aussi de combattre plus efficacement la délinquance financière et économique par une application effective et rapide du procès. Ainsi voit-on émerger le concept de délai raisonnable: clôture de l’enquête préliminaire dans un délai de 30 jours renouvelable deux fois ( art 8(4)); communication sans délai au Ministère public des demandes de mise en liberté provisoire déposées devant le juge d’instruction et traitées conformément à l’article 25 al 3 de la loi du 29/12/2006. (Art 9 nouv.(2); clôture de l’information judiciaire 180 jours après le réquisitoire introductif d’insistance, soit par un non lieu soit par un renvoi devant le tribunal (Art 9(3) pourvoi contre les ordonnances de non-lieu ou de non lieu partiel devant la chambre de contrôle de la cour suprême dans le délai de 72 heures et décision dans un délai de 15 jours ; notification de l’ordonnance de clôture aux parties et au ministère public dans le délai 48 heures. (Art 10 nouv (1) fixation de la date de l’audience 30 jours au plus tard après l’ordonnance de renvoi. (Art 11 (5)); Art 12 pourvoi formé dans le délai de 48 heures et Art 12 (1) instruction dans le délai de 60 jours; Art 13(3) délai de 6 mois a la Cour suprême pour vider sa saisine.
Une autre évolution se dessine aussi, de la valeur expressive et politique du délai raisonnable par le renforcement du pouvoir exécutif pour engager sur le plan de l’opportunité, des poursuites disciplinaires contre les magistrats, OPJ, en cas de non respect du délai raisonnable prévu. Ainsi, l’article 17 de la loi prévoit-il que le non respect des délais de traitement prévus peut entrainer à l’égard du contre venant l’ouverture des poursuites disciplinaires.
En conclusion, Ancrage du tribunal criminel spécial dans un mouvement de politique criminelle où l’Etat- victime prend une place nouvelle. De son statut traditionnel de partie jointe au procès grâce à sa constitution de partie civile, l’Etat devient, avec le TCS, acteur à part entier. Sans son accord, sans celui du délinquant économique et financier, bien sûr, il n’y aura pas de «médiation». On est également en présence de la prise en considération de l’Etat-victime, qui se réserve un rôle actif dans la gestion d son préjudice. De la responsabilisation du délinquant financier et économique qui est compris et répare sa faute. De la médiation comme nouveau mode d régulation sociale sous contrôle judiciaire et étatique, solution librement négociée entre les parties. La médiation comme nouveau mode de régulation sociale sous contrôle judiciaire et étatique, solution librement négociée par les parties. La médiation pénale devient un outil de l’action publique, donc nécessairement de politique criminelle au Cameroun.
Le tribunal criminel spécial apparaît également comme un modèle de recherche d’adhésion du délinquant. L’objectif est de faciliter son aptitude à résoudre lui-même ses propres problèmes; aptitude dans laquelle il trouve un intérêt à coopérer plutôt qu’à subir.
Il faudra compter sur la sagesse des magistrats du TCS pour éviter le danger d’un brouillage des compétences en ce qui concerne une confusion des fonctions des magistrats du siège et du parquet général.
La nécessité d’un pluralisme de réponses à la délinquance financière et économique suscite une réflexion sur l’irréalisme de s’en remettre à la seule prison pour répondre au phénomène criminel d’une façon générale au Cameroun. Quel enjeu !
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