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Jean-Marc Soboth : Coup de gueule aux Patriotes méconnus

Hommage à quelques patriotes camerounais méritants. Pour servir et valoir de témoignage à l’histoire nationale lorsqu’enfin elle sera écrite par nous-mêmes — et non par le groupe Lagardère (Hachette/Hatier/Edicef). 

Voici le nationalisme syndical camerounais en quelques étapes.18 décembre 1944. Création à Douala, à l’impulsion du communiste français Gaston Donnat de l’Union des Syndicats Confédérés du Cameroun (USCC), centrale syndicale unique affiliée à la CGT française.

24-25 septembre 1945. Graves événements à Douala : première grève organisée contre le colonat et le patronat blancs. Bilan : une centaine des tués par la soldatesque dans le cadre d’une chasse à l’homme suite à laquelle les syndicalistes Léopold Moumé Étia, Lalaurie et Soulier échappent in extremis au peloton d’exécution français.

C’était sans doute-là le Haymarket Square camerounais.

18 Octobre 1945. Un nationaliste hors du commun, Ruben Um Nyobè, apparaît sur la scène. Ce syndicaliste impressionnant mais modeste est nommé secrétaire général adjoint de l’USCC, la centrale.

Um Nyobè est le Camerounais qui va changer du tout au tout le destin de tout un pays, voire de toute l’Afrique coloniale française. C’est ce syndicaliste qui, avec des nationalistes du Togo, va introduire à l’Organisation des Nations Unies (ONU) la toute première demande d’indépendance en Afrique noire francophone d’après Mongo Beti.

L’administration coloniale entre dans la panique.

En témoigne cette note des services de sécurité français citée par le politologue de Trinidad et Tobago Richard Joseph : «Intelligent, il cherche à acquérir par lui-même une culture supérieure… Depuis les dix-huit derniers mois, il a consacré toute son activité à créer de nombreux syndicats réunis en Union Régionale dont il est le secrétaire général… Est l’un des membres les plus actifs du Mouvement Démocratique Camerounais, bien que ne paraissant pas lui-même… Élément dangereux. Sort très peu, mène une vie retirée, ayant un noyau d’amis très restreint» .

10 avril 1948. Création à Douala de l’Union des Populations du Cameroun (UPC), âme du nationalisme anti-colonial dont l’unique rampe de lancement est le militantisme syndical.
Dès lors, militantisme syndical et lutte pour l’autodétermination cheminent.

13 juillet 1955. Interdiction de l’UPC. Une série de provocations pernicieuses du colonat poussent le mouvement nationaliste dans la clandestinité.


L’objectif du colonat est d’intensifier la répression armée en vue de réaliser une indépendance pour rire.

Janvier 1960. Indépendance nominale du Cameroun à la demande cette fois de la… France elle-même qui en a préalablement réglé tous les «détails» avec ses indigènes affidés.
Octobre 1961. Réunification du Cameroun sous administration britannique avec la partie toujours sous domination parisienne factuelle au terme d’un référendum onusien tenu le 11 février 1961.


Escadrons de la mort.

Septembre 1966. «Unification» des formations politiques. Grâce à une puissance de feu — et du pershin — sans précédent, d’escadrons de la mort — provenant du Vietnam, des recrues locales et autres éléments issus de toute l’Afrique française —, la soldatesque française a neutralisé la rébellion dans un bain de sang historique couvert par l’omerta internationale. Le régime du président Ahmadou Ahidjo propulsé pour perpétuer une forme d’indépendance apparente a hérité d’un deal clair de ses parrains français dont le haut-commissaire Jean Ramadier et le médecin-parlementaire «camerounais» Louis-Paul Aujoulat : éradiquer le nationalisme à bout de canon.

Au prétexte d’une indépendance sans armée, la France s’y emploie. On continuera à massacrer les Camerounais pour maintenir le statu quo colonialiste.


La création en 1966 du parti unique, Union Nationale Camerounaise (UNC), ancêtre du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC, créé en 1985 à Bamenda) engage le pays dans un processus à reculons dont les étapes ultérieures sont la création au forceps d’un État unitaire centralisé en mai 1972 et, corollairement, l’imposition du monolithisme syndical avec l’Union nationale des travailleurs du Cameroun (UNTC), filiale du parti unique.

Entre autres syndicalistes-nationalistes qui font leurs classes au sein de l’UNTC, on compte un certain Louis Sombes, ancien des ZAPI Est, Dominique Fouda Sima, ancien journaliste…
06 novembre 1982. Désignation de Paul Biya, «successeur constitutionnel», à la tête de l’État. Ce Sorbonnard est le continuateur du système néocolonial.


Il a beau se cacher à Genève pour brouiller les cartes, il a beau être incompétent, machiavélique et sans projet de société pour ses compatriotes, il n’est pas moins issu du même moule aujoulatiste. Il ne travaille pas moins pour la même France. Il a beau s’offrir quelques petites infidélités qui font partie de l’ambiance normale de la sujétion, il n’a jamais esquinté l’essentiel : la pieuvre monétaire française Cfa, démontée par le très brillant Joseph Tchundjang Pouémi…

Que nul ne s’en abuse donc.

Il est, comme son «illustre prédécesseur» Ahidjo, l’une des ressources humaines de «l’ange gardien du Cameroun» (sic), Aujoulat. Le tandem Graffin/Aujoulat l’avait directement offert à Ahmadou Ahidjo.

Avec le retour à un certain pluralisme cosmétique dès les années 1986 et finalement en décembre 1990, on assiste à une ferveur syndicale renouvelée, notamment l’essor de la Confédération Syndicale des Travailleurs du Cameroun (CSTC), rejeton de l’UNTC, dont l’essentiel des membres est issu d’une fonction publique qui tente, en vain, de se réveiller de l’unanimisme et de la dépolitisation.


Janvier 1994. À la faveur de la dévaluation du franc Cfa et de la double baisse des salaires de la fonction publique au milieu de l’année 1994, une immense grève est lancée par la CSTC dirigée par Louis Sombes.

Et pour cause. Le pouvoir de l’État-Biya qui initie moult mesures sociales assassines contre sa population n’a pas négocié, n’a jamais rien négocié, ne sait pas négocier, ne veut pas négocier, ne sait pas qu’en telle circonstance on négocie parce qu’elle a conservé ses réflexes surannés du récent monolithisme. Il s’inspire toujours de la brutalité du colonat qui l’a engendré, où l’indigène — devenu compatriote —  n’a aucune valeur. Du moins n’a pas plus de valeur que quelques fonctionnaires post-coloniaux arrivistes, incultes et imbéciles, plus ou moins diplômés d’écoles et d’universités françaises, qui règnent sur la vie quotidienne des citoyens.
Le clash est inévitable.


Fonction publique décapitée.
Les conséquences des mesures «macroéconomiques» sont incalculables en effet. La fonction publique est décapitée et méconnaissable. La corruption de bas étage est dopée à un niveau historique. Tribalisé à l’extrême, le pays perd jusqu’à sa fierté légendaire et, quasiment, son patriotisme.

C’est Louis Sombes, syndicaliste autodidacte et humble, d’une perspicacité sans pareille, homme de petit peuple qui dit avoir raté une vraie vocation d’homme de médias, s’exprimant en autant de langues que le Haoussa, le Foufouldé, l’Ewondo, le M’kako, l’Éton, le Pipong, le Maka, le Kounabéb, le Pidgin, le Français, l’Anglais… c’est lui, disions-nous, qui porte le flambeau, l’espoir de remise en question de cette dérive séculaire. Il conduit à bras le corps la tumultueuse transition sociale. Mais il perd la bataille. Presque.


Au temps des Um Nyobè, la ressource principale du combat fut la ferveur militante. La foi dans le combat résulte d’une seule chose : la formation rigoureuse à l’intelligence des enjeux...
C’est ce que le régime néocolonial a effacé manu militari de l’échiquier. Les Camerounais sont devenus des moutons de la propagande du parti unique.


C’est sans doute l’unique raison pour laquelle, pense Mongo Beti, Paris a réglé une indépendance théorique matérialisée par un «chef» à peu près illettré.

Et d’ailleurs Ahidjo comprendra plus tard. On l’a vu en dissidence ouverte sur le Biafra. «Quand un Français a fini de presser son orange, même une mouche ne peut plus rien en tirer» répète-t-il à son bras séculier . Ses jours étaient dès lors comptés.


On aurait dû négocier avec la classe employée les conséquences néfastes de la diminution drastique des revenus salariaux de la fonction publique décidée par les bureaucrates médiocres de l’ajustement structurel. Mais on est victime de la stupidité du système Biya.
On aurait dû, mais on ne l’a pas fait. On n’y croit guère. Diriger ici c’est utiliser le peuple pour faire les quatre volontés de la chefferie présidentielle et, surtout, de la — désormais très discrète — puissance coloniale.

Les «experts» des missions conjointes FMI/Banque Mondiale savent, pourtant, que cela se passe ainsi dans tous les pays du Monde : on négocie l’harmonie sociale et l’adhésion populaire aux réformes. Car ces plans copiés-collés n’ont jamais réglé aucun problème dans aucun pays. On le sait.


Institutions de Bretton-Woods…

On doive donc négocier des mesures d’accompagnement : baisses de prix de denrées alimentaires, des autres services sociaux, flatteries diverses..
.
Mais, instinctivement, on procède différemment. Parce qu’on est en Afrique noire. C’est que, on sait au sein des institutions de Bretton-Woods que certaines recommandations universelles en matière de respect des droits des peuples ne s’appliquent pas obligatoirement à ces pays tropicaux où les populations sont si habituées aux diktats administratifs les moins acceptables, à la promiscuité politique, aux génocides avec la cohorte des violations... Ici, le petit peuple est habitué à servir de menu fretin, de dadais louangeur et de bétail électoral à une classe politique pleutre, idiote, jouissive mais cynique et brutale.


Il existe des arsenaux législatifs et réglementaires en vigueur. Mais il s’est progressivement établi une entente tacite sur leur non-application concrète. Parce que ceux que les lois devraient protéger savent qu’il n’en est pas question. Qu’il n’en a jamais été question.
Ils savent intuitivement qu’il faut se débrouiller. Il faille se rapetisser à mesure que le système verrouille, tribalise, atomise les chances de transparence et d’équité sociale.

Les syndicats ont cessé de jouer, de manière planifiée, leur rôle régulateur. Leurs chefs sont réduits à mendier des cartes d’invitation aux galas périodiques du palais de l’Unité où l’on se dédie à l’encensement du couple présidentiel. On y supplie alors le roi-cameraman d’un soir pour un clin d’œil au journal TV, signe de réussite imaginaire, balise d’entrée chimérique dans le «saint des saints» de ce sérail alimentaire se nourrissant de sang humain, se cajolant de sodomie entre hétérosexuels «consentants» — de préférence homophobes —, régnant ainsi sur un peuple complètement dépolitisé, désinformé, déformé, déstructuré, déboussolé, dépenaillé, désyndicalisé mais rieur qui, quotidiennement, ingurgite des quantités inimaginables de mauvais malte, de houblon déclassé et autres tord-boyaux pour oublier...
Aujourd’hui innombrables mais opportunistes et régulièrement sans troupes parce que sans éducation, les centrales syndicales contribuent activement à la désyndicalisation de l’échiquier dans un contexte où la conscience nationale et le patriotisme en réelle déperdition furent solidement forgés à une efficacité marxiste dont on applaudit les fruits en Chine.

Cette vague ne va pas sans accélérer, disions-nous, la dépolitisation. Le vacuum de conscience patriotique fait place au bruit tonitruant d’une étrange diplomite vidée de tout contenu, experte es kleptomanies.


Dans un tel spectacle, la ligne politique de tout un chacun est connue : se vendre pour être riche et adulé au village.


Voici un pays où l’on a tué, par la puissance de la tricherie et la dépolitisation, un nationalisme légendaire en Afrique noire francophone directement issu du militantisme syndical.

Voici un pays où une intelligentsia sectaire a lutté ferme (en octobre 1992) contre la victoire électorale du peuple, la seule depuis «l’indépendance»; la victoire des exclus. On s’est fait hara-kiri. On a taxé le politicien victorieux de tous les noms d’oiseaux. On l’a malmené, lui déniant son triomphe.

Assigné à résidence à la faveur de l’état d’urgence décrété par le candidat perdant sous les applaudissements de l’élite unanimement hostile à un «illettré», il fut moqué à l’envi pour avoir osé clamer une majorité avérée que confirme ainsi le journaliste français Stephen Smith dans le quotidien Libération du 20 novembre 1992 : « L’opposition de Yaoundé coupable de victoire électorale».

Il devint l’homme risible de la victoire volée, le président autoproclamé; c’est à cause de son illettrisme qu’il appela, d’après ses contempteurs, au boycottage des produits français… Sacrilège!

On l’accusa de tout et son contraire. On l’affaiblit et l’expédia à la guillotine du candidat défait qu’un certain Joseph-Antoine Bell promut à la distinction de «moindre mal» (sic).


Trahison
Puis, une vingtaine d’années plus tard, après l’avoir abruti, corrompu et anéanti à l’image d’une scène politique et universitaire dont toute la science se destine à la mangeoire gouvernementale, après avoir tout oublié, après l’avoir expédié dans les bras du champion «français» de la ruse, le «meilleur élève de François Mitterrand», parce qu’on a la mémoire courte, inconséquente et tortueuse, nous y revoilà. Revoilà ce même public, oublieux, affamé, plus ignorant que jamais, l’accusant de trahison. Au point de se convaincre qu’il existe une forme spécifique d’alternance au pouvoir quelque part dans le Cosmos qui ne ressemble pas à celle qui s’est profilée concrètement en 1992, cette occasion ratée qui aurait généré une nouvelle mutation historique au scrutin d’octobre 1997...

Voilà donc un pays où la presse considérée comme «crédible» est à l’image de ce peuple dépolitisé, désinformé, désyndicalisé et méthodiquement affamé; elle s’est progressivement muée, à quelques exceptions près, à une puissance du nivellement par le bas, une force de confusions, de diffusion d’inculture, de la bêtise, de l’ethnisme, des calomnies, des chantages; l’expression brutale des jalousies inavouées…

Ici, on ne lutte plus pour des causes. Les causes? On ne sait même pas de quoi il s’agit. Um Nyobè? On n’en sait rien. De Gaulle? Oui! Ce héros «camerounais»! Des centaines de milliers de maquisards tués en pays bamiléké par le héraut gaulliste. Du coup, on lui a dédié avenues et monuments.

Faut-il en parler? Faille-t-il en tirer les leçons idoines? N’est-ce pas le lieu d’engager les projets éditoriaux vers une véritable Révolution Tranquille de type québécois? «Ah bon! Tu es toujours aussi anti-Français?» fulmine, de passage au Québec, mon ami Séverin Tchounkeu, patron du groupe de presse La Nouvelle Expression/Équinoxe, déplaçant allègrement le débat…

Normal donc qu’un tel spectacle troque ses nationalistes (Um Nyobè, etc.) contre ceux qui lui ont apporté le génocide, les travaux forcés, les exécutions sommaires, la camisole monétaire et l’école primaire supérieure en guise d’Université négrophobe (De Gaulle, Leclerc, etc.)
On est donc définitivement idiot et alimentaire. Peut-être que la cause c’est désormais manger, flagorner, mentir, tribaliser! On lutte contre des personnes. Jamais pour une cause.
Le politologue Owona Nguini nous dit un jour chez mon frère Augustin Tamba à Yaoundé faisant référence au système Biya: «On rabote les têtes qui émergent» pour ramener tout le monde au même niveau : dans la gadoue. On s’acharne sur les réputations par la puissance de la diffamation. Pour que Biya reste l’unique alternative à lui-même

Lorsque manger, se vêtir, se loger, bluffer, tribaliser deviennent l’unique projet de vie d’un peuple, on peut imaginer où en sera la conscience nationale : à défaut de professer un patriotisme épistolaire purement illusoire et mensonger, le pays se suborne à lui-même.

L’éducation politique ou syndicale a pour but d’inculquer aux peuples le sens des enjeux présents et historiques. On y comprend ce qui asservit et appauvrit les peuples en les mystifiant sur leur devenir.

Castor Ossendé Afana

En terme de postulat d’une vraie éducation sur les enjeux, on corroborerait l’économiste Castor Ossende Afana, premier docteur en économie d’Afrique francophone et ancien secrétaire général de l’UPC : « Quant à l’indépendance, elle est effectivement nominale pour les raisons suivantes (…) Le Kamerun reste lié à la France par des accords asservissants dans tous les domaines : (a) Accords militaires (…) sur l’instruction, l’enclavement et l’équipement des forces armées kamerunaises (…) (b) Les troupes françaises continuent à occuper le pays (…) (c) Des portions de territoire national sont cédées à bail à la France, exemple le port et l’aéroport de Douala cédés pour 99 ans (…) (e) Les programmes d’enseignement et les diplômes d’État sont encore sous le contrôle de la France (…) (f) Le franc kamerunais dépend du franc français et ce sont les autorités françaises qui déterminent la politique de crédit et des changes du Kamerun par le canal de son appartenance à la zone franc» .

C’est ceux-là que Paul Biya représente toujours. Même s’il vit, pour des raisons purement ludiques à l’hôtel Intercontinental de Genève. Tel est, en général, le climat apocalyptique où l’on offre son bon coeur contre la mauvaise fortune de la médiocrité ambiante…

Louis Sombes, le syndicaliste, l’anti-colonialiste, l’homme d’abnégation, l’homme de Yokadouma, l’homme du Carrefour IPTEC, le Camarade Solo, l’homme de rien, fut l’un des extra-terrestres de ce système satanique. Lui qui me confia un jour, face à mon exaltation de la colonisation allemande qu’il n’y avait strictement rien à admirer dans n’importe quelle domination coloniale : le 08 août 1914, les colons allemands pendirent en même temps que le jeune roi duala, Rudolf Douala Manga Bell, le sien : le chef supérieur Pipong, S.M. Zokadouma dont la métropole de la Boumba-et-Ngoko — où «Solo» est décédé le 26 juillet 2013 — a finalement hérité du patronyme...

Adieu Camarade Solo!




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