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Louis-Marie KAKDEU : La perversion de la démocratie en Afrique

La démocratie est le gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple.  Mais, le peuple a foutu le camp dans les équations électoralistes en Afrique et il revient à ce peuple lésé de se lever pour stopper la course de cette perversion.

Au Zimbabwe, l’opposant Morgan Tsvangirai pense que les élections générales étaient « une énorme farce » et certaines critiques lui répliquent qu’il n’aurait pas dû accepter de partager le pouvoir avec le Président Robert Mugabe. La critique fait état de ce qu’il s’est décrédibilisé et de ce qu’il n’est plus l’homme qu’il faut au Zimbabwe : « Il faut trouver quelqu’un d’autre ».

Dans la perception africaine de la démocratie, un opposant doit refuser d’entrer au gouvernement afin de garantir ses chances d’arriver au pouvoir. S’il entre au gouvernement, l’opinion publique le qualifie de « traître » : « il a trahi le peuple ; il a trahi le combat ». Mais, de quel combat parle-t-on ? De celui du peuple qui veut survivre ou de celui des prédateurs qui veulent arriver au pouvoir ?

Après 50 ans d’indépendance, les Africains doivent faire le bilan de la démocratie avec discernement et se demander si l’alternance politique a déjà eu un impact positif sur l’amélioration des conditions de vie. Ceux qui pensent que le fait d’entrer au gouvernement est une trahison du peuple se placent résolument du côté des pouvoiristes. On est dans la logique de la conquête du pouvoir. Or, l’expérience a montré que lorsque ces prédateurs arrivent au pouvoir, ils continuent la gestion rentière des ressources naturelles. Et le peuple s’exclame : « Et pourtant, il parlait bien lorsqu’il était dans l’opposition !»

Lorsqu’on se place du côté du peuple, on a besoin de garantie. On a besoin d’être sûr que celui ou celle qui prendra le pouvoir sera à la hauteur : il/elle connaît les dossiers ; il/elle a les réseaux ; il/elle a la maîtrise des intérêts en présence ; il/elle est intègre ; il/elle est compétent-e. Aux yeux des spectateurs, un fait est clair : un joueur qui entre dans un stade de football et se plaint que l’adversaire ne lui laisse pas la possibilité de jouer ne sait pas jouer. Un joueur qui s’arrête de jouer sous prétexte que son adversaire l’a taclé n’est pas un professionnel.

La politique se pratique un peu comme un match de football et lorsqu’on applique les principes de ce sport aux cas des politiciens comme Morgan Tsvanguirai, on ne peut que dire qu’à quelque chose malheur est bon. Son entrée au gouvernement a permis au peuple de se rendre compte qu’il n’est pas à la hauteur. C’était le cas de Ni John Fru Ndi au Cameroun en 1992. Une bonne partie de l’opinion camerounaise remercie Dieu de les avoir délivrés de ce dictateur qui n’a jamais occupé une fonction officielle et qui ne lorgne que la présidence. Un joueur compétent se fait remarquer même simplement par ses touches de balles. Un homme politique aujourd’hui devrait pouvoir faire valoir son CV politique fait d’actions concrètes sur l’amélioration des conditions de vie du peuple.

Nicolas Sarkozy était sous Jacques Chirac, dans un gouvernement qui lui était très hostile mais, il a su se faire remarquer et se faire élire en France. Au Sénégal, Me Wade était sous Diouf, dans des gouvernements de cohabitation mais, il a su mériter la confiance du peuple et se faire élire. Il en est de même de Macky Sall sous Me Wade. Il y a des gens qui veulent arriver au pouvoir sans être comptable d’un bilan : « non, si vous entrez au gouvernement, vous serez comptable du bilan de votre prédécesseur !» Bien sûr que oui ! Si vous jouer dans une équipe qui perd, vous êtes comptable du résultat mais, ce n’est pas pour autant que vous ne resterez pas un grand joueur ! Il n’y a pas que ceux qui gagnent qui ont leur place au mercato !

Au Cameroun, il faudrait que les gens examinent le passé et suivent de bons exemples. La perversion dans la perception de la démocratie consiste à se battre pour l’alternance politique au lieu de se battre pour l’amélioration en temps réel des conditions de vie du peuple. Depuis  23 ans, le SDF et ses compagnies attendent le jour où ils/elles seront au pouvoir pour contribuer à la gestion transparente (aussi peu soit-elle) de la chose publique au Cameroun. Ils/elles ne s’occupent que du processus électoral qui n’est profitable qu’à ceux qu’Atéba Eyéné appelle avec raison « Elites prédatrices ».

On peut se demander par symétrie, pourquoi dans un pays comme la Côte d’Ivoire, l’élite prédatrice à sacrifié près de 10 000 personnes entre 2002 et 2012 pour conquérir ou conserver le pouvoir. De nos jours, ce peuple attend inlassablement les fruits de cette guerre meurtrière en vain. Entre temps, il y a renchérissement du coût de vie et baisse du pouvoir d’achat. Ce peuple a commis une erreur politique : celle de penser que l’alternance politique devait venir résoudre tout leurs problèmes. C’est aussi le cas en Guinée où l’on a fait croire que l’élection de l’opposant historique, Alpha Condé, qui n’est comptable d’aucun bilan, devait être profitable pour le pays. Mais, ce même peuple voit sa misère s’accroître puisque le pays est politiquement bloqué depuis bientôt quatre ans. On peut faire le tour des pays où il y a eu alternance politique et se demander si la lutte pour le pouvoir est synonyme de la lutte pour l’amélioration des conditions de vie. On peut se demander en Afrique subsaharienne si les pays qui émergent sont aussi ceux qui ont connu une alternance politique. On peut de façon générale faire le tour du monde et se demander si la démocratie électoraliste est synonyme de développement.


Je défends dans ce papier que le plus important n’est pas l’alternance politique. Comme lors de la recherche d’emploi, le peuple doit être de plus en plus vigilant sur le CV politique de ses dirigeants. Un candidat sans expérience est un danger. Le peuple devrait intégrer le fait que les phénomènes comme l’entrée en prison ou au gouvernement sont des indicateurs positifs. Le gouvernement, c’est le stade et c’est au stade qu’on montre sa capacité à dribler ses adversaires. Nos modèles ne doivent plus être les hommes politiques de la génération de Fru Ndi qui finalement ont trahi et endormi le peuple. Ils ont laissé le stade à Paul Biya tout seul à tel point que Biya joue pour lui et joue pour l’opposition comme cela a été le cas lors des sénatoriales.

Au Cameroun, celui qu’on considérait comme étant le traitre, F. Kodock de regrettée mémoire, aura été le seul homme politique de l’opposition qui a joué et a laissé quelques traces sur le stade. Sous la pression de l’ADDIC de Bernard Njonga, Kodock avait efficacement agi pour améliorer la qualité de l’agriculture et limiter par exemple l’importation des poulets congelés. En soutenant la production locale, le pouvoir d’achat avait effectivement augmenté et les prix avaient baissé jusqu’à ce qu’arrive l’expatriation de la grippe aviaire autour de l’année 2007. Il faut savoir qu’en 2006 avant cette épidémie, la production nationale du Cameroun était de 650 000 poussins par semaine. Après la psychose de l’annonce de cette épidémie dans une espèce de « folie médiatique », les poussins ont été détruits ainsi que les volailles en même temps que la population en perdait les habitudes de consommation. Malgré tous les efforts de sensibilisation sociale consentis de nouveau, la production nationale camerounaise ne s’est rendue qu’à 31 449 tonnes de volailles en 2007, ce qui n’a pas suffi pour combler la demande supérieure à l’offre. Il faut aussi savoir qu’en 2009, le Cameroun dépensait près de 500 milliards pour l’importation des denrées alimentaires (environ 1/6 du budget) et qu’en limitant comme l’avait fait Kodock, on aurait assuré localement la sécurité alimentaire en créant des milliers d’emplois. Kodock est un bon joueur qui aurait essayé.

Souvent, j’imagine Fru Ndi devant Dieu lors du jugement dernier :
Dieu : Monsieur Fru Ndi, qu’avez-vous fait du « power to the people » que je vous ai donné ?
Fru Ndi : Bon Dieu, j’ai dénoncé le processus électoral. Mais, Biya m’a toujours driblé et j’ai tout fait pour « catch him » en vain ! Biya est méchant, hein ! Il dribble trop !
Dieu : A bon ! Et depuis que vous vous battez contre Biya-là, le peuple que je vous ai confié a gagné quoi?
Fru Ndi : Bon Dieu, comme vous savez, c’est mon bonheur qui devait faire le bonheur du peuple. Comme mon bonheur ne vient pas là, c’est pour ça que le peuple n’a encore rien. Mais, je reste toujours l’homme providentiel !
Dieu : A bon ! Je vous avais envoyé pour vous sacrifier pour le peuple. Mais, vous avez plutôt voulu que le peuple se sacrifie pour vous. Pardon, keleuk, sors !
La démocratie reste le gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple.  Même si le peuple a foutu le camp des équations électoralistes, il revient à ce peuple lésé de se lever pour stopper la course de cette perversion.

Dr Louis-Marie KAKDEU, PhD & MPA
Auteur du livre La qualité de la démocratie en Afrique Noire Francophone, disponible sur amazon et sur l’essentiel des boutiques en ligne.
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