Ateba Eyene, ou le nouveau phénomène de l'impact du client médiatique... par Yai Obaker

Je ne pouvais écrire ce texte au moment ou s'organisait les obsèques de notre cher compatriote Ateba Eyene mort brusquement et si jeune à 42 ans. Alors dans un esprit traditionnel Bantu, je me suis résolu à attendre son inhumation pour lui rendre hommage et évoquer, voir saluer la singularité de son ton de parole et sa contribution à la vie citoyenne dans mon pays le Cameroun.

J'adresse tout d'abord mes condoléances à sa famille si durement éprouvée. Comme il l'aimait bien le rappeler, à savoir qu'il était un enseignant de la parole, il aura dans ce domaine marqué le paysage médiatique national par ses prises de paroles souvent iconoclastes. 

Une fois ceci dit, je voudrais surtout relever la naissance d'un phénomène nouveau dans notre jeune pays. C'est un phénomène bien connu dans des pays de grandes traditions médiatiques.

Depuis bientôt une dizaine d’années que le paysage médiatique Camerounais s'est vu bouleversé, densifié et diversifié, et dans un environnement socio-politique ou l'on ne peut manifester librement sur la place publique son mécontentement, les médias, à savoir la presse écrite, la radio, internet ou la télévision sont devenus en quelque sorte l'exutoire des mécontentements et des frustrations ou des déceptions dans la république. Et ceci n'a pas que donné une bonne image de la presse Camerounaise et des avis sont partagés sur la question. Mais là est un autre débat. Les professionnels de la presse à savoir animateurs et commentateurs de la sphère médiatique ont en usage l'expression atypique pour désigner un homme ou une femme qui apporte une valeur ajoutée avérée à un programme télé ou radio. Ils qualifient le personnage de ''Bon Client''. Sur internet, l'on parlerait sans doute de Buzz.

Et si notre cher compatriote Charles Ateba Eyene n'était qu'un ''bon client'' de la presse ?  Mais là n'est surtout pas la question car le mot client et sa connotation pourrait nous replonger dans des polémiques interminables. Toutefois, je me suis posé cette question suite à la ferveur populaire que l'on a observé lors de ses obsèques. Charles Ateba Eyene avait surtout écrit nombres d'ouvrages sur des sujets d'actualités quotidiennes. Des sujets qui étaient traités dans la presse au quotidien et qui n'obtenaient sans doute pas le même écho que lorsqu'ils paraissaient dans ses ouvrages. Les mêmes sujets abondamment traités dans la presse écrite devenait ''brûlant'' lors des parutions de ses ouvrages.

Le défunt aura écrit dans divers domaines de la vie publique et entre autre sur l'Homosexualité, les crimes rituels, le népotisme, le clientélisme au sein de l'appareil d'état etc.... De son vivant, Charles Ateba Eyene avait été désigné personnalité la plus aimée des Camerounais. Ceci expliquant cela, ses prises de positions dans ses ouvrages, les questions traitées, comme ses prises de paroles sur les plateaux de télévisions auront sans doute contribué à attirer les lumières sur le personnage. Dans la mesure ou Charles Ateba Eyene éditait parfois ses propres ouvrages et en faisait lui-même la promotion, les plateaux de télévisions lui servaient aussi de vitrine. Il s'en était servi à son compte, tout comme les médias  aussi en auront tiré grand profit pour accroître leur audience et ainsi fidéliser les  auditeurs ou téléspectateurs au fil des émissions. Et ceci n'est pas nouveau, les médias ont besoin des ''grandes gueules'' comme des têtes d'affiches, ces hommes et femmes de tempérament pour captiver l'auditoire.

Pour moi ce fut un bon marché gagnant gagnant. Cependant, ceci n'enlève en rien la profondeur du message du concerné ni encore moins ses positions tranchées sur les sujets d'actualités qui peuvent parfois être discutables. 

Toutefois, vouloir ériger notre compatriote Charles Ateba Eyene au rang des héros nationaux malgré le mérite et le courage qu'on lui reconnaît, serait un blasphème. Car nous connaissons des compatriotes comme Mongo Beti de son nom d'auteur pour ne citer que lui, et bien d'autres qui auront été tout aussi iconoclastes sinon plus et qui auront laissé à la postérité une littérature riche et encore d'actualité. Certes ce dernier n'a pas vécu tout au long de son exil auprès des Camerounais, mais le contenu de ses ouvrages par contre aura accompagné la conscience de plusieurs générations. La prise de parole est un acte citoyen, et je peux comprendre que dans une société Camerounaise ou la parole publique officielle est rarissime, que l'on ait à célébrer les rares  personnalité qui puissent avoir le courage de s'illustrer. Mais de là à demander à les ériger en héros national, vous comprendrez toute mon indignation. Le terme ''Heros national'' releve du sacré dans une nation, c'est même en quelque sorte religion, d’où l'usage du mot blasphème plus haut.

Comme le peuple manque parfois de lucidité, il a tendance à oublier l'essentiel et à confondre la hiérarchie des faits historiques, je vais ici rétablir cette stratification des faits historiques pour ce qui est de notre pays. Le Cameroun est un grand pays et se singularise de la plupart des pays, bien-que jeune pays en construction, par la qualité de ses hommes, leur détermination et leur fierté, j'allais dire leur dignité. Dans ce pays, des gens ont lutté et y ont laissé leur vie.

Ces héros sont encore jusqu'à preuve de contraire

Rudolf Douala Manga Bell
Martin Paul Samba
Le Chef Madola
Ruben Um Nyobé
Félix Roland Moumié
Osende Afana 
Ernest Ouandié
Etc...

Et tous leurs compagnons de lutte que je n'ai pu citer ici. Toutes ces personnes n'auront pas seulement dénoncé les maux qui sévissaient à leur époque, elles ne se seront pas simplement prononcé verbalement, mais bien plus,  elles s'étaient engagées dans la protestation, parfois dans la lutte armée et ceci au péril de leur vie afin que nous en soyons là ou nous sommes aujourd'hui .


Yai Obaker
La Haye

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