Des sifflets et des slogans anti-français : fin février 2015,
l’ambassadrice de France au Cameroun, Christine Robichon, a été très mal
accueillie lorsqu’elle s’est jointe à une marche organisée à Yaoundé
pour dénoncer les exactions de Boko Haram dans le nord du pays. « La France dehors », « On ne veut pas la France », ont crié des manifestants, selon le quotidien Le Messager. Jamais
un tel incident ne s’était produit au Cameroun. Quelques semaines
auparavant, l’ambassadrice n’était pas venue à la traditionnelle
cérémonie de présentation des vœux de début d’année réunissant tous les
diplomates et le président Paul Biya, au pouvoir depuis 1982. Là aussi,
c’était une première : aucun ambassadeur de France – pays qui a depuis
un siècle une forte emprise au Cameroun – n’avait jamais manqué ce
rendez-vous. À eux seuls, ces deux événements illustrent la
détérioration spectaculaire des relations entre la France et le
Cameroun.
Rien ne va plus entre Paris et Yaoundé depuis, précisément, que Biya a
compris que la France voulait le pousser vers la sortie. La rupture est
apparue au grand jour, fin 2011, après la dernière élection
présidentielle : plusieurs messages des autorités françaises ont montré
une prise de distance. « Lors du scrutin, de nombreuses défaillances
et irrégularités ont été constatées. La France souhaite que des mesures
soient prises pour que celles-ci ne se reproduisent pas », avait
déclaré un porte-parole du ministère français des affaires étrangères.
Jusque-là, Paris n’avait jamais critiqué des élections au Cameroun,
pourtant systématiquement truquées. Le président français Nicolas
Sarkozy a ensuite mis trois semaines avant de féliciter Biya pour sa
réélection. Nouvelle douche froide pour les autorités camerounaises
lorsqu’elles ont lu le message fielleux de l’Élysée : « Alors que
votre pays connaîtra de nouveau des élections en 2012, je ne doute pas
que vous saurez, d’ici là, mettre en œuvre les réformes et les moyens
nécessaires au bon fonctionnement d’Elecam [l’organe électoral] et, par
voie de conséquence, au renforcement de la démocratie au Cameroun. »
Un témoin clé confie que, à la même période, Biya, sous pression,
avait promis à Sarkozy qu’il quitterait le palais présidentiel d’Étoudi
en 2013. Paris avait déjà des vues sur un potentiel successeur… Mais la
défaite de Sarkozy à la présidentielle française de 2012 a remis les
compteurs à zéro, et le marché entre les deux hommes est passé à la
trappe. Il est d'ailleurs probable que Biya, qui a toujours su dire aux
Occidentaux ce qu’ils souhaitaient entendre, ait misé sur un tel
scénario. Entre temps, Sarkozy est devenu le premier président français à
ne pas être allé au Cameroun, alors qu’il s’est rendu dans des pays
voisins comme le Gabon et le Tchad. François Hollande, qui a effectué
des visites officielles dans plusieurs États de la région depuis 2012, a
lui aussi pour l’instant évité Yaoundé, comme si cela ne valait plus la
peine d’y aller tant que Biya est là. Jacques Chirac est donc le
dernier chef d’État français à être venu dans le pays des Lions
indomptables : c’était en 1999.
Aujourd’hui, Étoudi est convaincu que Paris cherche à précipiter le
départ de Biya avant la prochaine présidentielle, prévue en 2018.
Depuis plusieurs mois, des médias proches de la présidence disent tout
haut ce qu’elle pense : ils parlent de « déstabilisation du Cameroun » en mettant explicitement en cause la France. Paris manœuvre pour « gérer le changement de régime qui s’annonce à Yaoundé » afin qu’il « se
déroule au mieux des intérêts et de la position stratégique et
militaire de la France au Cameroun et partant, en Afrique centrale », a par exemple écrit Sphinx Hebdo en 2014.
Afrique Média, une télévision privée basée à Yaoundé, affirme
régulièrement que la version camerounaise du groupe Boko Haram,
sévissant depuis quelques mois dans le nord du pays, agit avec le
soutien de la France. Certains des invités de la chaîne apportent des
détails troublants sur les coulisses de la relation France-Cameroun de
ces dernières années. Ils se font l’écho des craintes d’Étoudi de voir
la France utiliser les attaques de Boko Haram comme prétexte pour
justifier une intervention militaire et s’installer dans le nord du
pays. En off, les officiels camerounais expliquent d’ailleurs
que la France, qui a une importante base militaire au Tchad voisin, a
longtemps refusé de fournir des renseignements aériens et satellitaires
au Cameroun sur ce qui se passait dans le nord.
Face à la virulence des accusations, l’ambassade de France à Yaoundé a dû produire des communiqués pour rappeler « la position de la France concernant la lutte contre Boko Haram ». « La France réitère aux autorités camerounaises sa solidarité dans la lutte contre le terrorisme »,
a-t-elle affirmé en septembre 2014. Lors d’une visite à Yaoundé en
février 2015, le ministre français des affaires étrangères Laurent
Fabius a répété que la France était « l’amie du Cameroun ».
Mais cela n’a pas mis fin aux critiques. Ces dernières ont même repris
de plus belle quand le ministre tchadien de la communication a déclaré,
le 10 mars 2015, que 40 % des armes saisies sur des combattants de Boko
Haram étaient « de fabrication française ». Le quotidien Mutations s’est peu après interrogé sur la décision de Paris de classer toute la région de l’extrême-nord « zone rouge », alors que le danger est loin d’être partout le même. « À quoi joue la France ? », a demandé le journal.
Biya, fin tacticien, a profondément agacé les décideurs français
Des personnalités politiques s’expriment à leur tour depuis peu : après la publication, mi-mars, d’un article du quotidien Le Monde évoquant
la mauvaise santé de Biya, des ministres ont réagi. Dans des tribunes
libres publiées par la presse, ils ont accusé entre les lignes le
journal français de participer au « complot » visant à déstabiliser le chef de l’État alors que le pays est en lutte contre Boko Haram. « Yaoundé
voit toujours la main de la France derrière toute critique. Tout le
monde dit ici que les articles sur la santé du président ont été
téléguidés par Paris pour l’exposer au ridicule », commente un journaliste camerounais.
Entre Biya et Paris, cela n’a bien sûr pas toujours été aussi tendu.
Pendant longtemps, le président camerounais a veillé sur les intérêts
français dans son pays, représentés notamment par une centaine de
filiales d’entreprises françaises. En échange, la France l’a aidé à
rester au pouvoir. Au début des années 1990, elle l’a soutenu
financièrement alors qu’il était confronté à un dur mouvement de
contestation. Mais les temps ont changé. Pour Paris, Biya n’est
visiblement plus l’homme de la situation. Âgé de 82 ans, malade, il n’a
plus grande autorité sur le personnel politique et sa gouvernance
particulière, ou plutôt son absence de gouvernance, maintient une
inertie et une incertitude handicapantes pour les affaires.
Fanny Pigeaud, Mediapart.fr
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/ Les relations entre la France et le Cameroun se sont détériorées par Fanny Pigeaud
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