Depuis plus de 50 ans, le quartier Briqueterie est connu comme un lieu où le fléau de la vente du sexe chez les femmes reste un des métiers les plus prisés. Cette activité s’est exportée ailleurs dans d’autres quartiers de Yaoundé. Reportage dans un bastion «de l’amour éphémère» de la capitale camerounaise.
1.- Le quartier «Nkanè» toujours en action
La rue porte un nom bien connu: «Briqueterie ancienne route». Au quartier Briqueterie, créé à la fin des années 40, le secteur du «Nkanè», terme qui signifie entre autre, lieu où le sexe féminin est tarifé connu de tous. Aujourd’hui, il suffit de prendre la rue qui côtoie le Palais des sports de Yaoundé, et la longer sur près de deux cents mètres. Juste avant d’arriver à l’ancien Cinéma Rex, célèbre dans les années 70 et 80. «On y est», nous lance J. Evina, un sympathique jeune homme, la trentaine sonnée, natif de la Briqueterie, et qui nous sert de guide à la découverte du secteur «Nkanè». Il est 12h30 minutes ce 4 avril 2014. La pluie qui est tombée en matinée a quelque peu calmé les ardeurs de la canicule. Nous sommes un vendredi. C’est jour de prière pour les musulmans. L’accès n’est pas aisé.
Les muezzins font retentir leurs voix dans les multiples mosquées qui pullulent dans ce quartier à la réputation pourtant douteuse, sulfureuse. Comme pour donner raison à l’apôtre paul qui a appris aux chretiens que « là où abonde le péché, la grâce surabonde. Le secteur du «Nkanè» est situé précisément entre le lieu dit « entrée de la mosquée Bamoun » et le célèbre bar Franco, bien connu pour ses brochettes aux oignons et aux poivrons. Il s’agit d’un secteur très mouvementé de jour comme de nuit. Deux ventes à emporter se distinguent particulièrement au milieu de nombreux magasins de tissus tenus par des commerçants haoussa de nationalité nigérienne. Le premier bar où nous marquons un arrêt a pour nom «Bantou bar». Le jeune Evina nous prévient: «Grand frère, j’espère que vous allez supporter hein ! Ici nous sommes à Sodome et Gomorrhe. Il n’y a pas de morale. Les filles draguent les hommes à toute heure… C’est leur métier. Il faut les comprendre», nous explique le jeune homme. Et de poursuivre avec un sourire gouailleur, alors que nous lui lançons un regard médusé: «si cela vous dit, ou vous prend, euh… n’hésitez pas. Elles sont là pour ça…»
Le petit bar en question est suffisamment encombré. Deux tables de deux mètres chacune sont disposées de part et d’autre, avec un passage au milieu de la petite pièce. Derrière les tables sont assises sur des chaises une dizaine de filles dont l’âge varie entre 18 et 30 ans. Chacune scrute toute nouvelle personne qui entre dans le bar. Surtout lorsqu’il s’agit d’un homme qui pourrait être un potentiel client. Il n’y a pas de place assise lorsque nous entrons dans cette vente à emporter. Deux filles, brunes, ou alors grossièrement maquillées se lèvent spontanément et nous proposent leurs places. «Asseyez-vous asso !» nous lance l’une d’elles avec un sourire aguichant qui nous fait voir ses dents jaunies. Nous déclinons l’offre et préférons aller dans le bar voisin plus spacieux. Ici, même ambiance. Avec une quinzaine de filles, toutes aussi à la peau décapée, et qui donnent aussi l’impression d’être aux aguets des hommes aux appétits sexuels de plein jour.
2.- Dos au mur pour mieux exposer la «marchandise»
Au bout de deux minutes, sur la table où nous prenons place, les filles nous ont presque déjà encerclés. Elles s’expriment toutes dans une langue de l’Est-Cameroun qu’on appelle le Ndjiem. Certaines aussi sont originaires du Nyong et Mfoumou et parlent le yebekolo. Celle qui se prénomme Pauline prend son courage à deux mains pour nous aborder. « C’est comment mon frère ? Il n’y a pas une bière pour moi ? Moi je suis prête… On dit quoi ? » Lance-t-elle les yeux écarquillées. Le jeune Evina qui a suivi la scène étouffe un rire en nous faisant un clin d’œil. Pas de réaction. Tout de suite Pauline cherche l’invective avec des propos encore plus sensuels. Nous ne lui opposons aucune réaction. Surtout qu’une scène qui se déroule juste à côté vient d’attirer notre attention. Un monsieur, probablement originaire du septentrion est en pleine «démarche» avec une fille. Cette dernière, que l’assistance prénomme Maguy, et qui doit déjà avoir bu au moins quatre bières, si l’on s’en tient au nombre de bouteilles posées devant elle, s’exprime de manière peu discrète: «Tu dis quoi Aladji ? Moi c’est 1000 F le coup. Mais si tu veux faire à volonté tu me donnes 5 000». «Pas de problème», répond le monsieur.
En fait, ici le langage est cru. Maguy se lève et empreunte une piste piétonne qui longe le mur du bar. L’homme la suit. Pas besoin de demander ce qui s’est passé, lorsque à peine dix minutes après, le monsieur revient au bar, tout sourire, et achève sa bière laissée sur place. Pendant plusieurs heures que nous passons en ce lieu, nous avons vécu ce genre de scène à plusieurs reprises. Au point de susciter des soupçons non seulement chez les filles de joie qui s’étonnent que nous n’entrions dans le jeu (et encore !) mais aussi chez le gérant du bar qui tient à connaître qui sont ces « clients bizarres » dans son bar. Pour plus de discrétion, nous sommes donc obligés d’aller faire un tour plus loin, avant de revenir plus tard.
Vers 19h lorsque nous sommes de retour à Bantou Bar, les filles sont encore là. Cette fois plus nombreuses. Et désormais, elles sont plus accrocheuses. Alignées tout au long des murs, ces jeunes filles dont certaines sont d’une beauté de rêve, abordent tous les hommes qui passent. Le prix officiel de la passe est de 1000Fcfa. Si vous voulez passer la nuit il faut négocier. Et généralement elles ne prennent les clients pour la nuit qu’à partir d’une certaine heure où ceux-ci commencent à se faire rares. « Ici il n’y a pas de drague. Vous dites simplement « on va ? », et elle se lève après vous avoir dit le prix qui correspond à votre besoin. La plupart n’utilisent pas de préservatifs. Il paraît que cela leur perd le temps et atténue le plaisir. Donc, il s’agit d’une consommation rapide du sexe », commente Evina qui poursuit en affirmant que « les clients sont surtout des habitants du quartier. Et même ceux d’ailleurs. Il y a surtout ici là, à la Briqueterie des originaires du Nord qui font les petits métiers comme la vente à la sauvette à travers les rues de Yaoundé et qui n’ont pas les moyens de s’offrir une femme à la maison. Et encore, même les commerçants sérieux qui ont des boutiques viennent souvent «se soulager» discrètement ici une fois la nuit tombée».
3.- Dans un cercle vicieux
Selon divers témoignages, il y a très souvent des disputes qui débouchent sur des bagarres. Celles-ci proviennent de ce que les filles de joie appellent désormais au « Nkanè » de la Briqueterie, «tapez-dos». C'est-à-dire qu’un client qui à l’habitude de venir «se soulager» chez telle prostituée, revient un autre jour et la trouve momentanément occupée avec un client. Une autre fille de joie lui propose spontanément «le remplacement». A l’issue des ébats sexuels, lorsque le client ressort du quartier en compagnie de sa nouvelle « amie », il trouve que celle qu’il a cherchée avant est de retour sur son «espace». Cela finit toujours par dégénérer entre les deux filles. Surtout lorsque le client est un «bon payeur». Des drames surviennent souvent. Non seulement parce que la plupart de ces filles depuis 50 ans que le « Nkanè » de la Briqueterie existe, rentrent mourir de maladie dans leurs villages, mais aussi parce que les enfants, presque tous de pères non signalés, qu’elles ont eu lors de cette activité de professionnelle de sexe, se retrouvent quelquefois déroutés dans ce cercle vicieux. C’est le cas de Sandrine M. Cette fille de 23 ans aujourd’hui, a passé des moments difficiles dans la maison familiale.
Née d’une mère prostituée dont la génitrice est du metier, toutes les deux ayant fait carrière à « Nkanè » a dû quitter sa famille parce que sa mère, sa grand-mère et ses tantes l’ont somméé d’aller se « mettre au mur » et attendre les clients. « Je ne pouvais pas l’accepter. J’ai refusé parce que je suis chrétienne et je voulais faire mes études. » Conséquence, Sandrine M. aujourd’hui étudiante dans une université de la place, a été obligée de quitter la maison familiale et aller habiter avec une amie. Des jeunes enfants grandissent dans cette atmosphère. Non loin de « Bantou Bar », Philo, une prostituée de 29 ans, proche de notre jeune ami Evina, nous a reçus chez elle. Il s’agit d’une chambre de trois mètres sur quatre. Le lit de deux places (qui est aussi son instrument de travail) occupe la moitié de la chambre. A même sur le sol se trouve un matelas que partagent ses deux enfants de 9 et 6 ans. Philo a installé un petit rideau d’ailleurs transparent. Lorsqu’elle reçoit ses clients pour des ébats, les pauvres enfants sont priés d’aller attendre dehors, lorsque cela se passe en journée ou en début de soirée. Mais lorsque cela doit arriver tard dans la nuit, les enfants doivent absolument faire semblant de dormir.
Au final, 50 ans après, et malgré les rafles des forces de l’ordre et les différentes campagnes de sensibilisation sur les risques auxquels sont exposés ces commerçantes du sexe, le « Nkanè » de la Briqueterie resiste au temps. Avec tout ce qu’il y a comme insécurité du fait que certaines filles sont souvent de mèche avec des brigands et des dealers de drogue. Le phénomène a pris le temps de s’incruster dans les esprits. Au point où selon divers témoignages, malgré le fait que ces filles exercent des petits métiers dans le commerce ou encore de bonnes dans les quartiers huppés de la capitale, une fois de retour à la Briqueterie la nuit tombée, elles retrouvent très souvent leur place le long du mur. Et comme il fallait s’y attendre, le fléau qui partit de la Briqueterie il y 5 décennies s’est exporté dans d’autres quartiers comme Obili, Ekounou, Mini-ferme, Etoundi ou encore au lieu dit « descente Ecole de police ». C’est dire que le commerce du sexe est florissant. La prostitution n’est-il pas le plus vieux métier du monde ?
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