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BONJOUR MONSIEUR LE PRESIDENT: JE VEUX ÊTRE MINISTRE par Erick Dzoyem

C’est avec un cœur brûlant d’émotions, d’angoisse, mais aussi de joie que je prends ma plume en ce moment pour vous adresser ces mots. Je vous rédige ces lignes sans être certain qu’elles vous parviendront. Il est fort probable que mon plaidoyer n’atteigne pas les encablures de votre somptueux et impressionnant palais d’Etoudi. J’ai la certitude qu’en ce moment même, sur la table du bureau flamboyant se bousculent de milliers d’autres correspondances plus intéressantes et mieux cotées que la mienne. Je sais aussi, monsieur le Président, que si par miracle mon courrier parvenait à franchir les portes du palais de l’unité, il serait aussitôt classé « inutile » ou « non prioritaire » par vos serviteurs avant même que vous n’ayez eu le temps d’y jeter un coup d’œil.

Si mes paroles n’ont aucune chance d’être caressées par vos yeux lumineux, ce n’est pas uniquement parce que je me situe géographiquement et même socialement à des années-lumière de vous. La principale raison qui pourrait expliquer ma disqualification programmée réside en ce que vous êtes la locomotive de la Nation et que par voie de conséquence, tout ce qui vous parvient est trié et examiné au peigne fin. Vous êtes majestueusement entourés d’une multitude d’hommes et femmes dont le rôle est de filtrer vos audiences, de dépoussiérer votre agenda de tout élément qui pourrait ébranler votre sensibilité. J’avoue que c’est un travail à la fois délectant et passionnant. Quel plaisir ne ressent-on pas lorsqu’on a le pouvoir de décider de qui peut voir ou ne pas voir le Président ? Quels honneurs, quels hommages, quels privilèges ne peut-on pas en jouir ? Ce quiétisme jouissif a fini par les absoudre du devoir cardinal de nourrir la pensée. Cette pensée qui est le principal indice qui fait de nous un être humain. Cette pensée sans laquelle la République ne peut que marcher sur la tête. Ils ne pensent pas le Cameroun comme vous. Ils ne le pensent pas comme Karl Marx avait pensé la révolution russe, comme les penseurs des lumières avaient pensé la prise de la Bastille. Même s’ils feignaient de penser, le pourraient-ils ? Eux qui sont condamnés à évoluer à l’ombre de vos bras à la fois doux et épineux, à la fois chauds et humides, à la fois dociles et hostiles. Leur cogito est sous contrôle et fonctionne suivant les règles établies par vous du haut de votre majestueuse et magistrale cathèdre présidentielle. Sans doute iront-ils un jour penser dans les fers rouillés de nos geôles peu confortables. Nos goulags africains, qui malgré leur répugnance ont néanmoins cette capacité de ressusciter les génies embastillés, de réveiller des Mozart endormis. Mais à quoi servira leur œuvre à la République ? Ces théories savamment élaborées dans des maisons carcérales peuvent-elles changer le sort d’une Nation alors même que leurs auteurs sont dépossédés de tout pouvoir de décision ? Le sort de ces lignes dépendra de leurs humeurs. Mais dois-je garder espoir ? Au nom de quoi devraient-ils être complaisants au point d’accorder une attention aux écrits d’un ordinaire citoyen qui patauge encore dans les couloirs de l’inconnu ?
Qu’à cela ne tienne, je prends le risque d’oser. J’essaie d’ignorer ces nombreuses murailles qui me séparent de vous. Ma lettre pourra se froisser sans se déchirer, elle pourra se noyer sans s’asphyxier, elle pourra s’égarer sans disparaître. Mais tôt ou tard, je peux en être sûr, mes mots vous parviendront intacts comme je les ai écrit. Monsieur le président, ces lignes que vous lirez certainement un jour me viennent du fond du cœur. Elles sont couvertes d’amour et de sincérité. Je vous prie d’y accorder la plus grande attention. Excellence, j’aimerais en toute honnêteté et en toute sincérité vous demander de ne pas m’oublier lors de votre prochain remaniement ministériel. Je souhaite, par votre bénédiction, entrer au gouvernement pour apporter ma pierre à l’édifice et contribuer à ma manière à l’émergence de notre pays. Je n’ai pas de préférence précise pour un ministère quelconque. Le portefeuille que vous me confierez, je m’y consacrerai avec plaisir et détermination. Mais si vous me donnez la possibilité de faire un choix, j’exclurai sans hésiter de ma liste des préférences le ministère des sports (compléter). Ce ministère dont on ne ressent l’existence qu’à l’approche des compétitions internationales de football. Ce ministère dont l’activité principale semble se réduire à la nomination des entraîneurs de notre équipe fanion de football. Ce ministère qui ne fait parler d’elle que par des scandales d’argent et ses frasques peu commodes avec notre fédération nationale de football. Ce ministère qui a balayé de sa feuille de route la construction des infrastructures sportives et la promotion des talents locaux. Il y a comme une sorte de malédiction qui plane sur ce ministère, Excellence. C’est ce ministère que je ne choisirai pas, monsieur le Président.
Mais Excellence, faut-il plaindre la médiocrité congénitale de ce ministère ou plutôt convient-il d’inculper nos lions qui ne sont plus véritablement indomptables ? Nous voici une fois de plus (une fois de trop) déparqués de la plus grande compétition footballistique mondiale sans engranger le moindre point. Le plus grand triomphe de nos « soldats » chèrement payés est d’avoir transformé les pelouses du mondial en un ring de boxe. Toutefois Excellence, cette énième débâcle de nos lions me réjouis d’une certaine façon puisqu’elle nous permet de comprendre (enfin) que ce n’est pas l’équipe nationale qui est le problème, mais le Cameroun. Combien de « Alexandre Song » avons-nous dans nos administrations ? Ils sont nombreux ces fonctionnaires qui dans leur quotidien ne s’abstiennent pas de donner des coups de mains fatals dans le dos de la République. Ils sont nombreux les citoyens qui dans l’ombre font autant sinon pire que les lions (in)domptables. Nos footballeurs ont la malheur d’exercer leur métier sous les objectifs des caméras du monde entier. Ils ne valent pas moins que ceux qui pillent les caisses de l’Etat, qui assassinent les espoirs de la jeunesse, qui brisent nos rêves. Ce n’est pas dans notre équipe fanion qu’il convient de faire le nettoyage, mais les ramilles de votre fin et impardonnable balai doivent aussi sillonner tous les couloirs de la République pour que le bateau Cameroun cesse de prendre de l’eau.
Vous aurez sans doute besoin de me connaitre un peu plus avant de signer le décret qui viendra changer ma vie. Je vous décline volontiers mon identité. Je suis issu d’une famille modeste. Mon père était un planteur très connu dans la zone du Moungo. Il a passé toute sa vie à s’étouffer à l’agriculture, à remuer une terre pourtant fertile, mais qui ne lui a retourné que misère et désespoir. Il a souffert le martyr pendant de longues années dans les plantations de café et de cacao avant de retourner mourir en toute discrétion dans son village natal un matin de l’année 2002. Il s’était donné corps et âme à ces maudites cultures de rente savamment introduites chez nous par les colons. Ces plantes de misère, non seulement ne l’ont pas enrichi, mais ont précipité sa mort. Quand il fut contraint par la maladie de retourner au village, il ne valait plus un radis. Il avait cédé plus de la moitié de sa charge pondérale et perdait progressivement sa vue. Ma mère s’est elle aussi livrée en esclave pendant de longues années dans une entreprise spécialisée dans la culture du Thé avant de prendre sa retraire. Elle en est sortie comme vous pouvez l’imaginer, les poches vides. Sa maigre et insolite pension
retraite ne lui procure même pas de quoi bouillir la marmite. Aujourd’hui elle s’enfume dans son foyer au village avec l’espoir qu’un jour ses enfants viendront la sortir de son extrême et pénible précarité. Elle essaie de limer sa houe pour remuer comme son défunt époux la terre devenue aride et stérile, incapable de lui offrir ce que les plantations de Thé lui avaient refusé. Espérons que les multiples maladies dont elle souffre ne l’achèveront pas avant que ses enfants n’aient la possibilité de lui apporter un quelconque secours.
Mais quel soutien un enfant peut-il bien offrir à sa mère dans un environnement dominé par la crise de l’emploi et l’impossibilité flagrante de se trouver une place au soleil ? Je me nourris encore des rêves, avec l’espoir qu’un jour les portes s’ouvriront. En attendant, j’accumule les diplômes, je scrute l’espace, je me débrouille pour joindre les deux bouts, pour tenir debout. J’ai l’obligation de ne pas faillir. Je dois demeurer le rêve de ma mère. Je dois rester sa pépite d’or qu’elle explore et contemple en se persuadant qu’un jour je deviendrai de l’or pur. Je dois garder la hauteur pour que du fond de sa cave noircie par la fumée, elle me regarde et se dise que voilà l’enfant qui me sortira de mon trou noir. Il me faut éviter de sombrer pour que toujours, elle garde espoir.
Je compte donc sur votre magnanimité, Excellence pour accomplir ce rêve. En entrant dans votre futur gouvernement, j’aurai l’insigne honneur d’être le plus jeune Ministre de la République. Je pourrai sortir ma famille de sa détresse, je pourrai réaliser mes multiples projets, je baignerai élégamment dans le prestige et le standing dus à mon rang. Mais tenez-vous tranquille Excellence, je me donnerai corps et âme aux idéaux de la République. J’essaierai de ne pas transformer mon département ministériel en un pâturage où la chèvre broutera en fonction de la longueur de sa corde. Vous avez m parole, monsieur le Président.
En attendant d’organiser la fête pour manger mes proches, je vous prie, monsieur le Président de bien vouloir agréer l’expression de ma parfaite considération.
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