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JE SUIS CAMEROUNAIS, JE DÉTESTE IDRISSOU par Florian Ngimbis

En me réveillant mercredi dernier, j’ai trouvé un peuple camerounais énervé. Dans la rue, dans les taxis, dans les bureaux, il n’y en avait que pour un homme : Idrissou Mohamadou. Joueur de l’équipe nationale de football, notre ami Idrissou a eu un seul tort, lors du match de préparation des Lions contre le Paraguay, le Cameroun, mené à la marque réussit à obtenir un pénalty qui, transformé, lui permettrait de revenir au score. 

Voilà Idrissou, ignorant du caractère dangereux de sa décision qui décide de tirer le penalty. Un proverbe chez nous dit «la malchance dépasse la mort ». Comme quoi il vaut mieux mourir qu’être malchanceux. La malchance attendait Idrissou au tournant, ou plutôt, au bout de la godasse. Tributaire d’une prestation médiocre (doux euphémisme) durant le match, notre frère voulait sans doute se rattraper. En l’absence du grand 9 Samuel Eto’o notre sauveur, tireur officiel de pénaltys, de corners, de coups francs, Idrissou du haut de son ancienneté sûrement (je ne vois rien d’autre) récupère le ballon et voilà notre champion qui s’élance, tire et voit son shoot dévié par le gardien paraguayen. 
Fin de match quelques minutes plus tard et dès le soir même, le quidam est livré à la vindicte populaire et celle des medias : à mort Idrissou le « loupeur de pénalty ». Le peuple ivre de sang et de rage face aux prestations d’une équipe bancale et sans fond de jeu réclame la tête du jeune homme. A mort ! A mort ! J’ai ri hein. J’ai vraiment rigolé. Les contradictions du peuple camerounais me surprendront toujours. 
Jamais dans un pays l’expression «opium du peuple» n’a eu autant de sens. Parfois j’ai envie de me dire que cette histoire de football encore plus qu’ailleurs est une espèce de sorcellerie qui a hypnotisé tout un peuple au point de lui faire perdre tout esprit critique et même la raison. Les exemples abondent hein ? En 2005, j’ai vu des gens ivres de colère rechercher le domicile de Womé Nlend (pas pour le féliciter hein ?) dont le seul tort avait été de louper un pénalty synonyme de qualification pour la coupe du monde. 
En 1998, j’ai assisté avec étonnement à la chasse aux « blancs » suite au refus de deux buts de Mboma lors d’un match de coupe du monde contre le Chili. L’arbitre était blanc, donc, à mort ceux de sa race. J’ai même halluciné en 1994 quand j’ai vu le peuple camerounais manifester dans les rues à cause de la non sélection de Ndip akem Victor ! Du coup, je m’interroge : que se passet-il dans ce pays ? Voilà un peuple, à qui on coupe le courant sans prévenir, un peuple qui meurt aux urgences du fait de l’absence de quelques CFA, un peuple qu’on mâche, broie, écrase sans qu’il ose ne serait-ce qu’élever un petit aïe de douleur légitime, un peuple coutumier des abus et des injustices d’une minorité qui a pris en otage ses richesses, sa justice, sa liberté. 
Oui, voilà un peuple qui souffre, mais se tait… pour n’ouvrir la bouche que lorsqu’un Idrissou loupe un pénalty. Non ! On se fiche des délestages sauvages, des morts aux urgences des abus, mais non ! Idrissou ne doit pas louper un pénalty ! Debout enfants de la patrie ! Le jour de lynchage est arrivé. Lynchons ce vampire ! Massacrons-le ! louper un pénalty ! Lors d’un match de préparation ! Pour un mondial dont nous ne franchirons sûrement pas le premier tour ! Ah non ! Cela ne se peut pas ! Même en empruntant une dizaine. Camerounais de tous bords, indignez-vous ! On a soif, on peine à se laver. Il n’y a pas d’électricité, Internet court moins vite qu’une tortue, les opérateurs téléphoniques font de la surfacturation à ciel ouvert, le détournement est le sport du pays le mieux partagé, mais non, ne nous en émouvons pas, laissons leur une chance, en 2035 ça ira. Pour l’instant inquiétons nous de ce football qui va mal. De ces penalties qu’on loupe. Là réside le mal de notre époque. Les trains peuvent partir en retard, les avions de Camair-Co oublier les bagages, les bus tomber en panne en plein «axe lourd». Non on ne se plaindra pas, ce sont des choses qui peuvent arriver. 
La police peut nous tracasser pour des affaires de carte d’identité, les rues de nos villes peuvent être parsemées de nids de poule, le planton lambda peut bloquer un dossier important, ça va. On gère. Et puis hein, notre roi est sur le trône depuis trente-deux ans et jamais au grand jamais, durant les élections il n’a tiré à côté ! Notre roi marque toujours. Il faut suivre l’exemple ! Ne nous plaignons pas. Payons nos factures sans rechigner, payons nos impôts sans demander dans quelle poche ils finissent, ni à quoi ils servent, votons sans demander quel candidat profitera de notre vote, mais jamais au grand jamais ne tolérons un pénalty loupé. On peut supporter les voleurs à col blanc, les criminels économiques, les coopérants vampires, les sangsues de la fortune publique mais jamais ne tolérons un Idrissou dans nos murs. 
Quelqu’un m’a dit mon « frère ! Laisse ! C’est un envoûtement collectif », mais des fois, je suis d’avis comme un de mes aînés que tant que le prix du maquereau et de la bière resteront stables, la « paix » sociale ne sera jamais ébranlée dans ce pays. Notre fameuse paix, absence de guerre mais avec les chiffres d’un pays en conflit. On me souffle dans l’oreillette que le prix de la bière aurait d’ailleurs été revu à la baisse, vous voyez hein ? Assia Idrissou. On aura moins de délestages grâce à la coupe du monde. Ne viens pas mettre du sable dans notre tapioca, passe avec ta malchance.
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