Opinions Nouvelles

Opinions Nouvelles
Opinions pour mieux comprendre où va le monde

LE CAMEROUN DEVRAIT SURTOUT DÉFINIR UNE POLITIQUE DES PRIX POUR LES DENRÉES DE PREMIÈRE NÉCESSITÉ par THIERRY AMOUGOU

Nous republions ce jour une interview de Thierry Amougou, accordée récemment à camer.be sur la vie chère au Cameroun. Le macro économiste faisait à l'époque l'analyse des conditions économiques antécédentes du Cameroun qui rendent de nos jours et encore plus socialement suicidaire la hausse actuelle des prix du carburant, du Gasoil et du gaz domestique au sens où celle nouvelle hausse renforce encore plus une inflation touchant les denrées des première nécessité. Lisez plutôt...
On constate au Cameroun que les prix des denrées de première nécessité ne cessent de grimper sur le marché. Que faut-il faire aujourd’hui pour que ces prix ne grimpent plus ?
Avant de traiter une maladie, il faut faire un tour chez le médecin afin qu’il vous dise de quoi vous êtes malade et vous prescrive un médicament capable de vous soigner suivant une posologie précise. Répondre à votre question exige un préalable. Celui de savoir ce qui cause la hausse des prix des denrées de première nécessité au Cameroun.

Economiquement parlant les prix ont une double fonction. Celle de jouer un rôle allocatif et un rôle distributif par rapport aux biens et services. La fonction allocative consiste à dire quelle est la quantité des biens et services disponibles au sein d’un marché et la fonction distributive à préciser ce que nous pouvons acquérir dans ce marché avec notre pouvoir d’achat. Je parle-là des prix concurrentiels qui se fixent suite à la rencontre entre une offre et une demande au sein d’un marché libre. Dès lors, si les prix de certaines denrées de première nécessité augmentent au Cameroun alors leur demande est supérieure à leur offre. Par conséquent, en supposant que le marché camerounais des denrées de première nécessité soit un marché concurrentiel, la chose à faire pour baisser les prix de celles-ci est d’augmenter leur offre afin que cette offre devienne supérieure à la demande et fasse mécaniquement chuter les prix. On peut le faire via une augmentation de la production ou une modification des habitudes de consommation, deux choses qui prennent du temps car ce sont des ajustements structurels de moyen et long terme.
Je ne pense cependant pas que le marché camerounais des denrées de première nécessité soit concurrentiel. Dans ce cas, faire baisser les prix exige que l’Etat camerounais fixe les prix par rapport au pouvoir d’achat des Camerounais les plus pauvres et mettent sur pied un service efficace de contrôle desdits prix dans les marchés où se vendent ces denrées de première nécessité. Ce contrôle des prix est important car des commerçants véreux peuvent créer une pénurie artificielle afin de réduire l’offre et faire grimper les prix dans le but d’augmenter leur bénéfice nets. Cet aspect me semble important au Cameroun car la demande de tels produits est faiblement élastique par rapport à la variation de leur prix.
Pourquoi les mesures prises par le Chef de l’Etat (exonérer certains produits de grande consommation de droit de douane. Mesure prise en 2008 à l’issue des émeutes de la faim) n’ont pas vraiment amélioré les choses ?
Il serait important de vérifier si ces mesures prise par l’Etat sont effectives après le discours de 2008. Si ces mesures sont effective mais n stoppent pas la hausse des prix, alors le chef de l’Etat et ses conseillers auraient agi sur le mauvais instrument pour résoudre un problème dont les causes sont moins liées à l’importation qu’aux structures locales des marchés camerounais. Si le prix des denrées de première nécessité est en hausse alors que celles-ci ne sont pas importées mais produites localement, alors l’inflation en question n’est pas totalement importée mais un phénomène purement national que ne peut éliminer un droit de douane ad valorem (pourcentage de la valeur du bien importé). Par ailleurs, exonérer de droits de douane certains produits de grande consommation ne veut pas dire que leur offre est supérieure à la demande nationale surtout que ce qui est importé jouit d’un prestige local qui construit une demande effective et entraîne toujours une hausse des prix qu’il y ait droit de douane ou pas. Le surplus du prix lié au prestige sociale de consommer les choses venus d’ailleurs peut s’additionner, non seulement au fait que ces produits ont connu une hausse des prix à l’extérieur mais aussi au fait que les commerçants locaux font du malthusianisme de monopole qui consiste à diminuer les quantités sur le marché pour augmenter les prix : dans ce cas l’inflation s’expliquerait par sa dimension importée, sa dimension culturelle et sa dimension monopolistique ou oligopolistique (structure du marché national). Un dernier aspect est que la croissance est pro cyclique et induit toujours un minimum d’inflation. Les pays africains en croissance doivent s’attendre à une inflation en très souvent en phase avec les trends positifs de croissance.
Dans les marchés, plusieurs commerçants imputent cette hausse aux commerçants étrangers qui vont jusque dans les plantations se ravitailler. Est-ce que cette situation peut vraiment être à l’origine de cette vie chère? Comment ?
Cette explication se situe en droite ligne de ce que je dis dans votre première question. La structure du marché camerounais des denrées de première nécessité montre, suite à l’afflux évoqué des commerçants étrangers, que l’offre des denrées de première nécessité est désormais inférieure à la demande qui s’exprime sur ces produits. L’offre reste rigide étant donné qu’il faut du temps, des investissements supplémentaires et une politique publique en soutien pour que la production puisse augmenter en conséquence et faire baisser les prix.
Par ailleurs, nos agriculteurs peuvent y profiter car ils gagent sûrement un peu plus parce qu’ils pratiquent des prix plus élevés que par le passé. Il faut ici évaluer finement les effets-revenus et les effets-substitution avant de conclure s’il y a pertes ou gains au niveau global pour les individus et le pays. Le danger est celui des famines possibles si une grande partie de la production nationale est vendue aux marchands transnationaux et si les prix grimpent à un niveau où les Camerounais modestes ne peuvent plus rien acheter au marché : le pays tomberait dans l’insécurité alimentaire. Un autre danger est celui de la baisse de la qualité des denrées de première nécessité dont la production ne va plus obéir qu’à la volonté de gagner de l’argent suite à la hausse des prix de vente. Un autre danger déjà en place est celui de la guerre foncière dans les familles en zones rurales.
Comment empêcher que ces Gabonais, Guinéens et autres n’aillent plus dans les plantations acheter des produits à des prix plus élevés que les commerçants locaux ?
J’ai bien peur que ce ne soit pas possible si les commerçants étrangers ont leurs papiers en ordre pour être au Cameroun et pratiquer du commerce même s’ils font de la spéculation. Le commerçant étranger gagne parce que le prix d’achat au Cameroun reste faible par rapport à celui qu’il va pratiquer chez lui au Gabon ou en Guinée. Là, ce qu’il achète au Cameroun est encore plus rare donc plus cher. Comme je l’ai dit, l’agriculteur ou le revendeur camerounais gagne aussi en vendant plus cher mais cette inflation se généralise car plusieurs Camerounais ne sont ni vendeurs, ni revendeurs mais uniquement consommateurs doivent se nourrir en dépensant plus d’argent sans hausse de salaire ou même sans aucun salaire.
Une façon de sortir de ce problème à court terme reste une fixation et un contrôle strict des prix en tenant compte du pouvoir d’achat des plus démunis.
Le Cameroun doit-il protéger son marché des acheteurs étrangers ?
Le patriotisme économique a toute sa place en politique économique. La protection des marchés, des secteurs sensibles et des domaines vitaux et garants de la souveraineté du pays est un devoir étatique.
Le Cameroun devrait surtout définir une politique des prix pour les denrées de première nécessité. Il doit aussi avoir une politique agricole claire et protectrice de certains secteurs afin que son autosuffisance alimentaire ne soit pas affaiblie. Cela veut dire que la location ou la vente de terres arables aux Chinois, la circulation de marchands internationaux et leurs pratiques commerciales doivent être pensées par rapport à cette exigence d’autosuffisance et de sécurité alimentaires. Notre pays tient encore debout malgré la dictature politique parce que les hommes, les femmes et les enfants réussissent encore à manger à leur faim. Le pays peut profiter du différentiel d’inflation avec l’extérieur en organisant des marchés frontaliers où les prix sont libres et les marchands-spéculateurs autorisés. Abang Minko devait jouer ce rôle. Est-ce le cas ?
Que proposez-vous pour que ces prix se stabilisent dans les marchés et permettent aux Camerounais moyen de se nourrir convenablement ?
A court terme blocage des prix et contrôle strict du respect des prix fixés par l’Etat en sanctionnant les contrevenants.
A moyen terme, la limitation et la règlementation des mouvements des marchands-étrangers et spéculateurs dans les marchés frontaliers où on instaure une règle de libre entrée et de libre sortie du marché afin de construire des formes de laboratoires de marchés concurrentiels. Cela peut se faire par un document officiel qui dit explicitement les marchands-spéculateurs étrangers n’ont pas le droit a d’aller au-delà de ces marchés frontaliers et de pratiquer leurs activités commerciales en dehors de ceux-ci.
A long terme, penser comment augmenter la production camerounaise des denrées de premières nécessité, comment produire localement ce qui est importé et comment mieux protéger nos terres arables.
On peut aussi penser à une hausse des salaires. Le pays étant en croissance ce serait logique. Mais l’inconvénient ici est que le salaire est lui-même un prix dont l’augmenter peut alimenter encore plus la spirale inflationniste. La hausse des salaires est possible si l’Etat veille au blocage et contrôle des prix officiels.
*Thierry AMOUGOU est macro économiste, professeur à l’Université catholique de Louvain, Fondateur et animateur du CRESPOL (Cercle de Réflexions Economiques, Sociales et Politiques)
Hugues SEUMO
Partagez sur Google Plus

About BIGDeals

This is a short description in the author block about the author. You edit it by entering text in the "Biographical Info" field in the user admin panel.
    Blogger Comment
    Facebook Comment

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire

Laissez nous un commentaire sur cet opinion.