J’ai appris il y a quelques mois le décès d’un homme admirable. Ce billet relate des faits réels et est la seule manière dont je puisse lui rendre hommage. Je suis un fruit de l’école publique hein ? Ecole publique du Plateau, Groupe II, Nanga-Eboko. Michael Jackson était mon dieu et mon refrain préféré était celui de 100% zoblazo de Meiway. Je portais des «Tigana» pour jouer au foot et le mot détergent pour moi renvoyait à la lessive en poudre Elephant. Je ne connaissais pas le PMUC on parlait de loto (grattez ! grattez !).
Je risquais la mort par bastonnade si je fredonnais un air de Petit Pays et je croyais dur comme fer que ma main se tordrait si je ne partageais pas mon pain avec les autres. Le jour où Monsieur N. vint dans notre établissement, ce fut comme remplaçant de mon maître de CE1, le vénérable Mr T. A l’époque maître d’école rimait avec cheveux blancs. Mr N. nous surprit tous : il était jeune et fringant. Je me souviens de sa collection de jeans multicolores- à l’époque, on pouvait porter un jean vert ou rouge sans passer pour un plouc. Ce type était un infatigable bastonneur.
Que ce soit la dictée (autant de faute, autant de coups), le calcul, les récitations, toute occasion était un prétexte pour qu’il caresse (nullement au sens ecclésiastique hein ?) les jeunes derrières. Tous les derrières, sauf le mien. J’étais sa merveille. Les seuls sourires qu’on lui connaissait étaient ceux qui ornaient son visage lorsque j’égrenais sans hésitations les tables de multiplication de 1 à 9. Il souriait béatement lorsque je récitais musicalement «beau lutteur noir», il souriait lors que j’épelais les mots sans jamais me tromper.
J’étais son exemple, son héros, sa pupille. Jusqu’au jour où l’affable Mr T. revint. Mr N. reprit alors une classe de CM2. Je crois bien que son départ fut mon premier chagrin d’amour… Mais le jeune enseignant ne m’avait pas pour autant oublié. Un jour que je rêvassais en écoutant Mr T. nous dicter une leçon de «sciences par l’observation », un gringalet de Cm2 se pointe : «Mr N. demande l’élève Ngimbis». J’ai traversé en tremblant le seuil interdit de la classe des grands, le CM2. Les élèves me fixaient méchamment et je me demande toujours comment mes genoux ont pu me porter sur le court intervalle me séparant du Maître. Il était debout devant le tableau, en compagnie d’un élève, je vais donner son nom : Otabela.
Une légende de l’idiotie, le roi des cancres, l’empereur des redoublements et hélas, la terreur des cours de récréation. Mr N. m’a souri, tendu un morceau de craie et désigné le tableau. «Résous ce problème petit Ngimbis. Tu réussis tu es sauvé et je bastonne ce cancre d’Otabela, tu te loupes, je vous bastonne tous les deux, tous les jours pendant une semaine». Makchance ! A l’époque je ne connaissais pas le camerounisme qui dit « quelqu’un reste sa part vient ! ». Je récupère la craie. Otabela me fixe. Je lis dans son regard tout ce qu’il va me faire subir si je trouve la solution.
Je me tourne vers le maître. Je sens que si je lui fais perdre la face, il serait bien capable de me briser les jambes à coup de barre de fer. Les mains moites, la chemise trempée, je tourne ma grosse tête vers le tableau. Je me souviens qu’il s’agissait d’un de ces problèmes complexes dont la première réponse conditionne la suite. On la manque et tout le reste est faussé. Un jeu d’enfant pour moi. Je n’étais pas spécialement bon en calcul, mais je damais le pion aux autres parce que je comprenais les mots difficiles et ma logique était infaillible. J’ai donc en 5 minutes trouvé la quantité d’eau qui s’échappait d’un robinet fuyant au rythme d’une goutte toutes les huit secondes, j’ai même déterminé le temps qu’il faudrait pour qu’un seau de 15 litres placé sous celui-ci remplisse et par ricochet j’ai déterminé la facture à payer par l’imprudent parti en vacances.
La suite est floue. Je me souviens des élèves forcés de se lever pour m’applaudir, je me souviens de ma course folle dans le couloir, poursuivi par les cris d’Otabela dont le derrière fut mis à rude épreuve par la courroie de moteur qui servait de chicotte au maître. Je crus échapper à Otabela en effectuant le trajet retour vers ma maison au pas de course. Mais le bonhomme m’a rattrapé à 500 mètres du domicile de mes parents et ce qu’il me fit subir sous le couvert des sissongos est tout simplement digne d’un crime contre l’humanité.
La cerise sur le gâteau, c’est la bastonnade que mon père m’administra à la maison, au motif que mes vêtements et mes écorchures étaient le résultat d’une partie de football, sport hautement prohibé chez les Ngimbis à l’époque.
Peace mes frères !
Peace Mr N., que la terre des ancêtres
vous soit légère.
Peace Mr N., que la terre des ancêtres
vous soit légère.
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