Opinions Nouvelles

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Réflexions sur une situation politique inédite. par Éric Essono Tsimi

Je ne sais par où commencer, tant abonde la matière.Pour la première fois depuis la réunification, le Cameroun est de fait coupé en deux. L’État apparaît sinon absent, impuissant sur le plan sécuritaire. On croyait le BIR un va-t-en-guerre redoutable, on apprend qu'une chose est de faire disparaître des adolescents à Bepanda, d'en jeter impunément du haut d'une suite du Hilton Hôtel, de délivrer des ordres de tuer, et d'abattre à bout portant des émeutiers affamés,une autre est de riposter à un ennemi qui n'est là qu'au moment où vous dormez.

Le président Biya qui s'adresse à la presse nationale, c'est tout un symbole ! Peut-être a-t-on eu le temps de commenter longuement cette audience inattendue à la presse de son pays. Mon étonnement dure. Quand j'ai écouté sa déclaration de Nsimalen, du 02 août, j'ai vu, moi, un État aux abois, un président sur le départ, dans un aéroport, poussé aux frontières du Cameroun, proclamant que « le Boko Haram ne peut pas nous dépasser », mais se rendant quand même à Paris ou à Washington pour chercher des solutions. Nous sommes dépassés,monsieur le président, et vous êtes manifestement paniqués !
Ce qui se passe au Nord du Cameroun dure depuis suffisamment longtemps pour ne pas que nous passions par pertes et profits l'enlèvement de la femme du Premier ministre camerounais. Boko Haram a reçu d'on ne sait qui une franchise au Cameroun, une « licence to operate ». Son droit d'exercer fait ressembler ses prises d'otages les plus sauvages à des rafles de la Police. Car les sévères mises en garde de la nébuleuse Boko Haram ne sont suivies d'aucunes arrestations d'ampleur, aucun procureur ne dit rien, en fait, c'est la même inertie, un non-énervement : la vie continue, les négociateurs supplantent les enquêteurs.
L'idée qui se dégage et fait son chemin, c'est que l'on est en train de participer à une répétition générale, les derniers préparatifs avant la superproduction qui va conduire à une action d'ampleur, menée par des kamikazes prêts à tuer et n'attendant plus que de mourir. D'abord des Français,ensuite des Chinois, enfin le Gouvernement. Boko Haram a décidément le sens de la gradation.
Amadou Ali c'est le Gouvernement, comme Paul Biya c'est l’État. Amadou Ali est reçu au Nord comme le Président himself. Si malgré les gris-gris dont il est bardé, ses valises d'argent qui le blindent, si malgré les soldats et les officiers qui l'escortent, ses frères (Boko Haram et Amadou Ali, c'est le même « patois », le même Dieu, les mêmes gandouras) kidnappent sa femme et tuent ses parents, c'est que personne au Cameroun n'est plus protégé.
Dans un raisonnement a fortiori, on en conclut que si le cœur lui en dit Boko Haram n'a qu'à lever le petit doigt sur la gâchette pour enlever les gouverneurs à Garoua,à Maroua et en vérité partout au Cameroun. Eux qui sont bien moins protégés qu'Amadou Ali. Assiste-t-on à une guerre d'influence entre élites du Nord ? Le nom de Marafa Hamidou Yaya n'est évoqué ni par les djihadistes ni par le Gouvernement, qui craint à juste titre de susciter, ce disant, une sympathie délocalisée pour les terroristes ou un regain de popularité pour le prisonnier. Mais l'on sent bien qu'il y a des enjeux qui nous échappent.
En Guinée équatoriale, Obiang Nguéma est devenu président de la république en arrachant le pouvoir de manière sanglante à son propre oncle le 03 août 1979 et en faisant exécuter des membres de sa propre famille. La Guinée équatoriale n'est pas loin, ce sont des Fang comme les frères et sœurs de Paul Biya. Il est temps d'arrêter de fantasmer sur une guerre interethnies dans l'optique de la succession. Les Bamilékés par exemple ça n'est plus une histoire (génocide présumé), ça n'est plus une géographie (Ouest), mais c'est des frustrations et une solidarité tribale dont beaucoup parviennent à se désolidariser pour devenir républicains, le Cameroun d'abord.
Les Dshang se lèveront contre les Bagangté, les Etons égorgeront les Manguissas, comme à Kolofata des cousins et coreligionnaires se sont entre-tués. Le père se lèvera contre le fils, le frère contre sa sœur. C'est tout à fait de bon cœur que les siens feraient un sort à notre président. Il suffit d'être attentif à l'enthousiasme réel que le pouvoir de Paul Biya suscite dans son Sud natal, qui a donné au Cameroun l'un des plus virulents opposants au régime de Yaoundé : Charles Ateba Eyéné. Mais Dame Nature, ici, sait si bien faire durer les calamités les plus lourdes et nous prendre brutalement les bonnes choses.
Les Bulus (les frères du Président)sont un peuple critique, presque frondeur. John Fru Ndi est mieux reçu à Ebolowa qu'il ne le serait à Monatélé. Paul Biya est moins prophète dans le Sud que dans le Centre, chez les Etons par exemple, dans la Lékié. A mes yeux, la démonstration s'en fait, au delà de la personne de Charles Ateba Eyéné : en regardant les élus dans cette province qui sont souvent des gens modestes.Cependant que dans le seul département de la Lékié, on a des Koa Songo (cuisinier, jardinier et marabout élu par le peuple pour aller se prononcer sur les APE), des Nga Koumda (quasi-illettré,maxi-huppé) ou des Antoine Ntsimi, c'est-à-dire des individus si peu valeureux ou, quand ils ont de la valeur, des individus qui sont davantage élus par leur capacité à corrompre. Pour leur facilité à offrir à boire et à manger aux électeurs.
Le Cameroun est coupé en deux et les Camerounais ne savent pas sur quel pied sauter. Paul Biya lui-même a dû repousser à l'ultime instant la signature du décret créant une quatrième région militaire. Quand il achète les armes pour se défendre, le pauvre ne sait plus si c'est contre lui qu'elles se retourneront. Guerandi Mbara, depuis le Burkina Faso, a-t-il,emménagée devant lui, la voie royale qui le mènera à Etoudi ?
Les ministres de Paul Biya et son administration ne savent plus qui craindre le plus d'Epervier qui rôde ou de Boko Haram qui guette. On parle de fermeture des frontières entre le Nigeria et le Cameroun du fait de l'Ebola. Ebola a-t-il fait plus de morts que Boko Haram ? Pourquoi cette frontière était-elle encore ouverte si elle était fermable ?
Les Camerounais aiment Paul Biya qu'ils ne critiquent que par proverbes le jour mais se plaignent du bon Dieu qu'ils jurent et savent responsables de la souffrance et de la mort qui s'abattent sur eux. Au point de blasphémer à ciel ouvert dans les bars prévus à cet effet. Les Camerounais dépérissent alors que des immeubles se construisent chaque jour, et que la croissance de papier, depuis plusieurs années, fait espérer le meilleur. Comme si ce sont des fantômes, de purs esprits, qui seuls se gobergeaient sur les « performances » de notre économie.
Que reste-t-il à Paul Biya comme issue ?
Ne surtout pas croire aux sondeurs américains de Gallup qui multiplient inévitablement des biais et croient que la satisfaction veut dire la même chose en Amérique que dans la dictature camerounaise. Il est populaire aujourd'hui, mais s'il venait à tomber demain, c'est Fatou Bensouda qui serait subitement populaire, en même temps que le nouvel homme fort de Yaoundé qui en un tournemain ferait du Cameroun un État membre de la CPI.
Nous manquons de perspectives et de dynamique : le Tchad est réputé avoir les meilleurs soldats africains aujourd'hui, le Gabon a à sa tête un président récent,plutôt volontaire, présent, même la RCA est en train de nous surclasser, qui ne fait que payer dans la douleur et le sang le prix de l'accouchement difficile d'une démocratie.
Paul Biya doit s'en aller dignement,comme son prédécesseur. Comment ? Il n'y a pas mille façons de partir, qu'il parte ! S'il veut y ajouter de la grandeur, il peut être le garant d'élections libres qui se tiendraient sous son autorité, avec une administration, une télévision, et une ELECAM impartiales.
Car enfin qu'aurait-on fait si la Première dame avait été enlevée ? On aurait évidemment payé une rançon de plusieurs milliards et, toute honte bue, on aurait mis en scène une opération commando qui l'aurait délivrée, tuant au passage quelques Boko Haram. Le ministre de la communication aurait annoncé le nombre de morts chez l'ennemi, sans qu'on sache si c'était des Camerounais ni ne devine si ce sont des tatouages ou des insignes qui de manière irréfutable ont permis d'identifier les militants abattus de la secte islamiste.
Le RDPC est appelé à disparaître parce qu'il n'existe pas en réalité. C'est un machin dont Paul Biya se sert tous les sept ans. Le multipartisme de Paul Biya a consisté à tuer le parti unique, assez fort, pour le remplacer par une multitude de partis tous inexistants aujourd'hui. Et dans la recomposition des grands ensembles politiques, on verra émerger de grands partis ethniques, chez lesquels les militants respectifs retourneraient, comme vers des premières amours. Mais l'électeur camerounais n'est pas forcément un militant, il n'est pas du tout un tribaliste, c'est quelqu'un qui pense à ses enfants, même après avoir pris son sac de riz et bu ses 65 centilitres de bière.
Ce matin, je médite sur le sens caché de l'appel de l'UPC (Union des Populations du Cameroun) à une union de tous les Camerounais contre Boko Haram. Qu'est-ce que c'est que Boko Haram, au Cameroun, sinon l'image de l'échec, de l'impéritie et de l'inertie ? Aucun septuagénaire au monde ne jouera au héros du dimanche pour enlever sa moitié perdue des mains d'un ravisseur. Tout octogénaire n'aspire qu'à la quiétude et au repos. A ces âges-là, il ne se trouvera personne au monde qui défende le Cameroun comme il faut, si cela doit lui en coûter en travail et déperdition d'énergie.
La vie de la nation camerounaise sous Paul Biya n'aura été qu'une suite de "moments difficiles" ponctués ça et là par des victoires des Lions Indomptables.
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