A force de
vouloir conserver le pouvoir, le régime de Yaoundé prend depuis quelques années,
une série de mesures qui s’avèrent essentiellement liberticides. Quelles sont
les dérives à la démocratie et aux droits de l’homme dans les derniers développements
de l’actualité politique au Cameroun et quelles lectures peut-on en faire ? La
dernière régression en date porte sur la volonté d’utiliser la peine de mort
contre les adversaires politiques qui seraient accusés d’être «
terroristes »
Cela
rappelle l’époque postcoloniale (1960-1990) où les adversaires politiques étaient
appelés « subversifs ». En effet, le parlement camerounais, encore appelé
chambre d’enregistrement, a adopté au cours de la semaine du 4 décembre 2014 le
projet de loi NO 962/PJL/AN portant répression des actes de terrorisme. Ce
texte punit au chapitre 2 Article 2 d’une peine de mort l’intention «de (a)
contraindre le gouvernement (...) à accomplir un acte quelconque ou à adopter
ou à renoncer à une position particulière ou à agir selon certains principes,
(b) perturber le fonctionnement normal des services publics, (...) ou de créer
une situation de crise au sein des populations, (c) organiser une insurrection
générale »
L’acte
terroriste au sens de cette loi est « de causer la mort, de mettre en danger l’intégrité
physique, d’occasionner des dommages aux ressources naturelles, à l’environnement
ou au patrimoine culturel ». Ce texte pose au moins trois problèmes : Tout
d’abord, son adoption n’a pas respecté le principe de participation qui suppose
la consultation et la co-élaboration. Le Ministre de la justice a déposé le
texte à l’Assemblée Nationale le vendredi 28 novembre 2014 et il a été voté
dans la précipitation la semaine du 1er décembre sans débats publics. Ensuite,
le texte est un frein à l’exécution de la souveraineté du peuple qui peut
effectivement contraindre le gouvernement à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir
un acte quelconque à travers des manifestations publiques comme cela a été le
cas en Tunisie, au Sénégal ou au Burkina Faso.
Enfin, il
viole les articles 3 et 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme
portant sur le droit à la vie et le droit de ne pas être soumis à des peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants. La jurisprudence renvoie à l’ordonnance
No 62/OF/18 du 12 mars 1962 portant répression de la «subversion» qui avait été
instrumentalisée pour combattre l’adversaire politique considéré comme « ennemi
de la nation ». Par exemple, le leader historique Ernest Ouandié avait été
exécuté le 15 janvier 1971. Avec son abrogation en 1990, une étape avait été
franchie vers la démocratie et les libertés. Mais, de nos jours, cet acquis
semble perdu.La deuxième régression porte sur la déconstruction de la
Commission électorale.
Le 6 avril
2011, après la crise postélectorale en Côte d’Ivoire causée par la proclamation
controversée des résultats des élections présidentielles par la Commission électorale
indépendante (CEI), le régime de Yaoundé avait réuni l’Assemblée Nationale en séance
extraordinaire pour écarter la Commission électorale (Elecam) de la
proclamation des résultats. Ainsi, à l’alinéa 2 de l’article 6 nouveau
(modifiant la loi du 29 décembre 2006 portant création, organisation et
fonctionnement d’Elecam), le gouvernement camerounais avait supprimé la
disposition «rend publiques les tendances enregistrées à l’issue des scrutins»
afin de réserver l’exclusivité de la publication des résultats au Conseil
constitutionnel.
Elecam avait
ainsi été vidée de sa substance et détournée de son objectif (indépendance,
neutralité) au lieu d’être renforcée avec l’ajout de la prise en charge de
toutes les opérations de vote du recensement à la proclamation en passant par
la programmation et la sécurisation. Pire, la deuxième modification de la loi électorale
en 2011 portait sur l’article 8 nouveau, alinéa 1 qui «tend à élargir le
Conseil électoral de douze (12) à dix-huit (18) membres, afin de permettre une
plus grande intégration des sensibilités sociopolitiques». L’avancée démocratique
de cette nouvelle disposition a été annulée par le bicéphalisme créé. En effet,
à côte du conseil électoral de 18 membres supposés être des personnalités indépendantes
ou neutres, il a été créé une direction générale chargée « de toutes les opérations
électorales et référendaires ».
Cette
administration politisée rappelle la direction des élections au ministère de l’administration
territoriale qui était à la base de tous les tripatouillages dénoncés jusqu’ici.
La troisième régression porte sur l’atteinte à la libre compétition politique.
Le volet juridique a été inscrit dans la Constitution lors de la modification
du 14 avril 2008 qui levait le verrou sur la limitation du mandat présidentiel.
En vue de renforcer sans doute la perpétuité du pouvoir, l’article 35 dispose
que l’empêchement définitif du Président de la République est constaté par le
Conseil constitutionnel statuant à la majorité de 2/3 de ses membres et non
plus à la majorité absolue de ses membres.
Pire, la
caution à verser a été doublée (de 1,5 millions Fcfa à 3 millions Fcfa), ce qui
pourrait contribuer à diminuer le nombre de prétendants au fauteuil présidentiel.
Sur ce point spécifique et prétextant procéder à l’assainissement des finances
publiques, le régime en place a mis aux arrêts tous les anciens ministres accusés
d’être des potentiels prétendants. Malgré les pressions du régime sur la
justice, la plupart d’entre eux ont été reconnus non-coupables mais, la démultiplication
des charges d’accusation les maintient en prison. C’est une instrumentalisation
de la justice qui permet de neutraliser la liberté d’opinion et d’entretenir le
clientélisme politique.
Au final, on
peut dire que la démocratie camerounaise ne traverse pas de jours heureux. Il
revient à la société civile et à l’opposition de faire valoir la souveraineté
du peuple. Mais, pour y parvenir, il faudrait faire face à la « division pour
mieux régner « que le régime de Paul Biya a instauré au sein du leadership
camerounais.
Louis-Marie
KAKDEU, PhD & MPA
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