Ce sera peut-être sa dernière bataille et il compte bien y jeter toutes ses forces. Au côté de l'ex-président ivoirien, sur le banc des accusés, figure l'ancien chef des Jeunes Patriotes, Charles Blé Goudé. Tous deux doivent répondre de crimes contre l'humanité car ils sont tenus pour responsables des violences post-électorales qui ont fait 3.000 morts en Côte d'Ivoire en 2010-2011.
À La Haye, tout le monde risque gros sur ce procès : Laurent Gbagbo, bien sûr, car s'y jouera son avenir, pas seulement politique. La CPI aussi, puisque c'est la première fois qu'elle jugera un ancien chef d'État. En cas d'échec, sa légitimité, déjà discutée par certains pays, sera remise en cause. Le combat promet donc d'être féroce. Aussi féroce qu'il l'a été depuis le 30 novembre 2011, date du transfert de Laurent Gbagbo aux Pays-Bas. Ses très pugnaces défenseurs, et en premier lieu l'avocat français Emmanuel Altit, ont donné du fil à retordre au bureau de la procureure générale, la Gambienne Fatou Bensouda.
En prison, il croise Ratko Mladic
Laurent Gbagbo sera-t-il, lui aussi, en mesure de mettre à mal l'accusation? Son état de santé pose question, notamment depuis qu'il est apparu affaibli le 14 janvier, lors des audiences de mise en état. Mais un proche qui l'a vu récemment, assure qu'il est fin prêt : "Il a des problèmes liés à son âge, de l'arthrose, mais globalement, il est très en forme." Son vieil ami et professeur de droit public Albert Bourgi confirme : "Si l'on tient compte de sa situation, je n'ai jamais vu quelqu'un avec un moral pareil!" Son ancien conseiller, le Franco-Ivoirien Bernard Houdin, affirme qu'il fait régulièrement du sport et qu'il a droit à quelques séances de kiné.
Dans sa cellule de 10 m2 à Scheveningen, l'ancien président passe le plus clair de son temps à travailler sur son procès. Il joue parfois au Scrabble, regarde France 24 ou France 2. Il lit aussi, énormément. Des ouvrages sur Jésus, des essais historiques. "Les gardiens ont même demandé à ce que le ménage soit fait dans sa cellule. Les étagères sont pleines", relate un proche. Lors des visites, il croise parfois les "Yougo", et notamment l'ancien "bourreau" de Srebrenica, Ratko Mladic. Mais ses compagnons du quotidien sont détenus dans "l'aile africaine" de Scheveningen : le Congolais Jean-Pierre Bemba, l'Ougandais Dominic Ongwen… Récemment, Gbagbo s'est ému de voir le Congolais Germain Katanga être transféré à Kinshasa. "C'est lui qui faisait à manger", a regretté l'Ivoirien.
"Il ne parle que de politique"
L'occupation majeure de Laurent Gbagbo reste la politique. "Il ne parle que de ça", confirme un proche. Avant l'élection présidentielle ivoirienne d'octobre, il a aussi eu droit aux visites de plusieurs candidats. "Il a même dû refuser du monde", avance Albert Bourgi. Depuis La Haye, Gbagbo ne cesse de hanter la politique ivoirienne. Il essaie ainsi de garder la main sur son ancien parti, le FPI (Front populaire ivoirien), même si celui-ci est désormais divisé en deux camps. Ses partisans martèlent qu'une partie de la population ivoirienne soutient Gbagbo et que le pays ne pourra être vraiment réconcilié que s'il est relâché. "Quand on va régler ça [le procès], le pays sera tranquille pour cinquante ans", a-t-il lui-même glissé à l'un de ses visiteurs. En secret, l'ex-président caresse l'espoir d'un retour triomphal au pays.
Pour cela, le premier cercle de Gbagbo n'a qu'une obsession : prouver qu'il n'a pas perdu l'élection de décembre 2010 - la Commission électorale l'avait pourtant désigné perdant avec 45,9% des voix. Suivant cette logique, ses proches estiment que le procès intenté contre lui est illégal tout comme est illégitime son successeur, Alassane Ouattara, même si, selon Albert Bourgi, "Gbagbo ne prononce jamais son nom et n'éprouve aucune rancœur à son égard". La défense de Gbagbo devrait ainsi politiser à l'extrême les audiences à La Haye. Deux axes seront privilégiés : remettre en cause la légalité de l'élection d'Alassane Ouattara et montrer que Gbagbo est "tombé" parce qu'il s'est opposé à la Françafrique.
Selon Jeune Afrique, qui a publié lundi un dossier consacré au procès, Abidjan et les autorités françaises ont aidé la procureure Fatou Bensouda à consolider les accusations. Cette semaine, Alassane Ouattara a aussi entamé des discussions avec le FPI pour libérer les derniers détenus de la crise post-électorale. Suffisant pour détourner les Ivoiriens de ce procès si attendu? Pas sûr, surtout si celui-ci est amené à se prolonger. Les avocats de Laurent Gbagbo estiment que les débats "pourraient durer plusieurs années".
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