L’actualité contemporaine faite de dislocation des Etats et des menaces de sécession ou de séparation méritent que le chercheur politologue s’y attarde pour examiner à quoi tient la fragilité des Etats.La Révolution Orange qui a porté Ioulia Timochenko au pouvoir en Ukraine, s’est poursuivie dernièrement par la destitution du président Viktor Ianoukovitch, alors qu’il avait été légitimement et démocratiquement élu selon les normes démocratiques européennes.
La conséquence de cette deuxième révolution du peuple Ukrainien est le referendum organisé en Ukraine pour déterminer le rattachement de la Crimée à la Russie. Les partisans de ce referendum, dont la Russie, soutiennent que la Crimée appartenait autrefois à l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques et c’est lorsque Nikita Khrouchtchev était président de l’Union soviétique qu’il l’avait rattachée par Décret à l’Ukraine en 1954. Toujours est-il que la menace de la dislocation de l’Ukraine par le rattachement de la Crimée à la grande voisine Russe vient de la révolution populaire qui a renversé le président démocratiquement élu, comme on le dirait de Mohamed Morsi en Egypte. D’où l’on voit que les révolutions peuvent réveiller les démons de la division qui sommeillent chez certains voisins. Mais aussi l’instabilité à l’intérieure d’un Etat, fut-elle minime, peut favoriser les attaques sournoises du voisin, comme on l’a vu au Cameroun au sujet du contrôle de la péninsule de Bakassi.
Tel n’est pas le cas en République Centrafricaine ou au Mali. Chez le premier, le coup d’Etat qui a renversé le Président François Bozizé pour porter Michel DJOTODIA au pouvoir en mars 2013 a conduit presque à la dislocation de l’Etat centrafricain. Il n’y a plus d’Etat, il n’y a que la rue et son cortège de morts entre les partisans de l’Ex Seleka au pouvoir, majoritairement de la religion islamique et les antis Balaka se réclamant de la religion chrétienne et qui donne la chasse à l’homme musulman.
D’où l’on voit qu’un conflit à l’origine politique peut conduire à un génocide religieux et tribal. Heureusement que dans l’intervalle il a fallu l’intervention musclée et salutaire de la France de François Hollande, de l’Union africaine et des Nations Unies pour maintenir un semblant d’Etat sous perfusion militaire en RCA, et y garder une apparence des Institutions.
Après le coup d’Etat du Capitaine Amadou Sanogo qui a renversé le Général Amadou Toumani Touré (ATT), pourtant en fin de mandat au Mali, plusieurs groupes de rebelles touaregs, notamment du Mouvement National de Libération de l’Azawad et les Djihadistes se sont emparés tour à tour du Nord du Mali et proclamé son indépendance. Il a encore fallu l’intervention militaire salutaire de la France pour recouvrer l’intégralité du territoire Malien.
Le rôle d’acteur de terrain joué par la France, les USA et les Nations Unies en Côte d’Ivoire, divisé entre le nord musulman et sud chrétien sous Laurent Gbagbo, même si nous ne l’avons pas applaudi en son temps et dans son contexte, a finalement permis à ce pays de recouvrer son entière unicité sous la direction de l’actuel président Ouattara.
D’où l’on voit qu’en Afrique subsaharienne, du moins celle issue des anciennes colonies françaises, que l’on le veuille ou pas, le rôle de la France est encore nécessaire pour maintenir
les équilibres politiques, l’intangibilité des frontières, l’intégrité territoriale, bref les Etats. Si l’Afrique n’avait compté que sur ses propres forces, sur sa diplomatie et son armée, sans la France, il est à parier que la géographie du Mali et de la RCA aurait été singulièrement modifiée. Et les adversaires de la françafrique se rendent compte, avec étonnement, que l’Afrique elle-même n’est pas encore outillée pour se prendre toute seule en main, surtout par ces temps d’insurrection des peuples à travers la planète.
Est-ce parce que ces pays d’Afrique sont construits autour de leurs capitales et que dès l’instant où la capitale est prise, le pays et l’Etat n’existent plus ? « Tant que Yaoundé respire, le Cameroun vit » avait conclu avec perspicacité le Président camerounais Paul Biya pendant les villes mortes des années de braises 1990. Quoi qu’il en soit, il y a lieu de relever que nos Etats africains tiennent à un seul fil tenu et on se demande s’ils disposent d’une véritable armée de défense et de protection de l’intégrité territoriale ou juste des vigiles pour tenir le peuple éloigné de la mangeoire nationale?
La menace sécessionniste du Southern Cameroon National Council (SNCN) au Cameroun tiendrait au fait que le partage du gâteau camerounais ne serait pas proportionnel du point de vue des séparatistes qui réclament plus de postes de pouvoir pour les anglophones du Cameroun. Le problème est posé sur la base du clivage linguistique en partage entre le Nord Ouest Grasfield et le Sud Ouest Sawa. Or il s‘agit de l’anglais, une langue étrangère qui n’appartenait pas au Cameroun avant que celui-ci soit confié sous la tutelle de la Société des Nations à la Grande Bretagne. Ces deux peuples, en dehors de la langue anglaise du colonisateur occidental, ne partagent pas les us et coutumes et il me semble que la construction d’un état sécessionniste fondé sur la langue étrangère ne peut prospérer et serait même illusoire tant il est vrai que les deux communautés n’ont pas de liens affectifs qui permettent la constitution des Etats.
C’est d’ailleurs pourquoi, je le pense, lors du referendum organisé par les Nations Unies en 1961 pour rattacher la partie nord administrée par le Nigéria à ce dernier, les populations de cette région, qui n’avaient pas les mêmes usages et coutumes que le Nord Ouest ni que le sud ouest, avaient voté pour le ralliement au Nigéria, au lieu de se rattacher à leurs frères du nord Cameroun avec lesquels ils n’avaient plus certes la même communauté de langue depuis 40 ans du règne des occidentaux, mais ils ont gardé leur langue maternelle.
Pour la raison de l’absence de cette volonté d’union ou de l’affectio societatis dont nous parlions plus haut, et au-delà du clivage anglophone francophone qui va bientôt disparaitre puisque tous nos enfants vont aussi bien à l’école anglophone que francophone,(on peut même dire que le Cameroun s’anglophone plus qu’il ne se francophone), si la partie nord du Cameroun qui s’était rattachée au Nigéria malgré nous était restée au Cameroun, elle ne serait certainement pas le fief des séparatistes SCNC (ou de l’Ambazonia Republic) qui semble se trouver plus dans le Nord ouest que dans le sud ouest.
D’où l’on voit tout de même que les démons de la séparation, sous le prétexte de la libre détermination des peuples à disposer d’eux-mêmes, sont alimentés par une trop grande gourmandise de la gouvernance locale dont les élites s’accaparent de tous les pouvoirs sans même laisser les miettes aux minorités, non pas minorité au sens quantitatif du terme comme
dans notre constitution, mais au sens de l’appartenance au voisinage du cercle du pouvoir. Plus vous êtes éloigné du cercle du pouvoir, moins les leaders au pouvoir pensent à partager avec vous. Elles ne donnent qu’à leurs clients, c’est-à-dire ceux qui font commerce avec eux, on parle alors du clientélisme. Les richesses du pays ne sont pas pour les pauvres qui sont détruits dans les marécages au profit des nantis (comme on tente de le faire au quartier KONDO BONAPRISO Douala depuis 2005) et dans les bidonvilles pour que les riches puissent passer avec leurs belles voitures. Cette gourmandise obèse de certaines personnes du pouvoir est évidement source de fragilité des Etats par l’existence du plus grand nombre de ceux qui paient ou donnent chaque jour au pays afin que les autres se rassasient, ou par le plus grand nombre de ceux qui sont laissés sur le trottoir de la croissance, écartés de l’exercice quotidien du pouvoir accaparé par certains cercles de leaders dirigeants.
L’exemple du Rwanda est illustratif à cet égard. Après un règne sans partage de quatre cent ans avec tous les abus autoritaires du pouvoir, les Tutsis avaient fini par croire qu’Imana leur avait doté seuls du pouvoir diriger le Rwanda, ce petit pays de l’Afrique de l’Est que l’on cache en le montrant du doigt sur une carte. Les Hutus, qui avaient subi cet esclavage pendant si longtemps, se sont révoltés en 1959 et, chassant le Roi Tutsi, avaient pris le pouvoir pour fonder la République du Rwanda. On raconte que Paul Kagame, l’actuel président Rwandais s’était enfui sur le dos de sa mère vers l’Ouganda voisin où il fit ses armes. Une fois les Hutus au pouvoir au Rwanda, on a aussi assisté au Hutu power et au refus par le Président Juvénal Habyarimana d’autoriser le retour des exilés de 1959 au pays. Ce qui conduisit naturellement au conflit armé du 1er octobre 1990 qui aboutit à l’attentat contre l’avion présidentiel le 06 avril 1994, au génocide rwandais mais surtout à la perte du pouvoir par les Hutus qui furent pourchassés jusqu’au Congo et dont les leaders furent tués ou arrêtés et mis en prison sous l’accusation de génocide et crime contre l’humanité devant le Tribunal Pénal International pour le Rwanda. Les Hutus n’ont finalement dirigé le Rwanda que pendant 44 ans.
Les autorités rwandaises Tutsies vivent aujourd’hui dans la hantise de la reprise du pouvoir par les Hutus qui s’organiseraient hors du pays. C’est ce qui, me semble-t-il, justifie la chasse à l’homme qu’elles continuent de livrer à l’élite Hutu en exil partout dans le monde et la traduction devant les tribunaux internationaux de ceux qui étaient plus ou moins proches du pouvoir Hutu.
D’où l’on voit que la confiscation du pouvoir et son exercice sans partage peut conduire à la dislocation des Etats, mais surtout peut conduire au renouvellement forcé de l’élite gouvernante. Ici le clientélisme dont fait souvent montre certains pouvoirs pendant le renouvellement de l’élite gouvernante cède la place au renvoi par la force de toute l’élite gourmande pour la remplacer par les nouveaux venus. Et jusqu’à ce changement, l’élite gouvernante, barricadée derrière son armée et ses soutiens, bombe le torse et se croit toujours à l’abri.
Lorsque la révolution libyenne a attaqué le régime de Kadhafi, qui aurait put parier que ce dernier serait mort moins d’un an après ? Si l’on a pris parti pour ou contre les révolutions Tunisienne et égyptienne, on est forcé aujourd’hui, devant la déliquescence du pouvoir en Egypte et le nombre de personnes tuées chaque jour, de regretter le temps de la paix sous
Hosni Moubarak. La guerre civile en Syrie dure depuis 3 ans déjà alors que le monde espérait qu’on avait déniché un dictateur qui allait bientôt être remplacé démocratiquement par un libérateur. Après trois ans de guerre et plusieurs milliers de morts, nous nous demandons encore comment sortir de ce guêpier et redonner la paix à ce peuple dont personne n’entendait parler avant. Comme il en avait été de même avec le peuple Irakien pendant le règne de Saddam Hussein et avant le bombardement américain.
Les prises de pouvoir sont si aléatoires et personne ne peut prétendre être à l’abri. Ne voilà-t-il pas qu’un simple soulèvement populaire a renversé le régime Ukrainien de Viktor Ianoukovich ? Une telle manifestation de la démocratie peut-elle avoir lieu en Afrique sans interférence de l’armée ? Ne rappelle-t-elle pourtant pas une autre que le Cameroun a vécue en février 2008 ? Est-ce pour autant que la crainte de casser les œufs doit empêcher le peuple de faire de l’omelette ? Nous croyons que la réponse réside dans le dosage des équilibres politiques et sociaux. Une démonstration inutile et ostentatoire de la force, y compris et surtout de la force de l’arbitraire, loin d’effrayer si c’est le but que l’on recherche, est souvent l’élément déclencheur de toutes les révolutions de par le monde et nul n’est vainqueur avant l’affrontement. C’est précisément le mauvais usage du pouvoir qui conduit à sa perte car celui qui porte un panier d’œuf ne cherche pas la bagarre.
Et c’est conscient de tous ces enjeux géopolitiques et géostratégiques que les Patriotes doivent prendre la mesure de toute chose, et même si l’on crache sur leur main tendue, il est impératif pour l’opposition patriotique et constructive de continuer à rechercher les chemins de la paix, du développement et de la prospérité commune. Féliciter ceux qui tiennent les rennes du pays quand ils font bien et les critiquer sincèrement quand ils font mal, contribue à la construction de notre démocratie et partant à l’amélioration de nos conditions de vie commune dans le rio dos camaroes. C’est le seul moyen pour l’opposition de la troisième voie, la nôtre, de mettre l’Etat et l’homme au centre des préoccupations et de se démarquer des partisans de la gouvernance égoïste par la force, qui usent et abusent du pouvoir pour régler des comptes au lieu de gouverner, et de ceux qui croisent les doigts pour que le véhicule tombe dans le ravin au prochain tournant et qui font corps avec ceux qui veulent partager le bébé à la Roi Salomon. Quand le sage montre la lune, l’insensé regarde le doigt, or si le fleuve fait des détours c’est justement parce que personne ne lui montre la voie. Et qu’est-ce que je gagne à vouloir sauver leur bifteck, me demanderez-vous ? La paix pour tous. Jean 18,23.
Douala, Cameroun le 16 mars 2014
Jean de Dieu Momo, Avocat, Président National PADDEC, Cameroun Tel 99 96 35 03 Email : momodieu@gmail.com
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire
Laissez nous un commentaire sur cet opinion.