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LA CORRUPTION SELON MONO NDZANA par Innocent Ebodé

Il n'est pas inutile de revenir des mois après sur le diagnostic pointu, caustique et original, qu’ Hubert Mono Ndzana, a posé sur la corruption et les dérapages de la gouvernance dans une interview accordée à Mutations en début d'année*. Ce philosophe pourtant proche du parti dominant, est très apprécié pour sa réputation établie de grande gueule, et surtout pour sa pertinence corrosive dans ses analyses des faits politiques, sociaux ou économiques.

1. Sur l’ « Opération Epervier »
nom de baptême de la campagne anti-corruption qui a conduit plusieurs dignitaires du régime dans les geôles. Pour Hubert Mono Ndzana, la lutte anti-corruption, telle qu’elle est menée, a un côté distractif, des contours vaudevillesques, et in fine futile : «  L’Opération Epervier est un grand spectacle qui choisit ses vedettes […] qui se vendent bien. […] Malheureusement exhibitionnisme ne rime pas avec efficacité. [Cette Opération] correspond plus ou moins à ce que j’appelle une philosophie de l’esquisse, c’est-à-dire, un geste que l’on commence et qui s’épuise dans ce commencement sans s’achever. L’esquisse soulève l’enthousiasme du spectateur qui est assoiffé d’action, et qui voit sa soif s’éteindre dès le début de cette action, au point que l’artiste n’a plus besoin de poursuivre une trajectoire qui n’a plus besoin d’être. Malheureusement, l’assoiffé se réveille toujours et constate que l’artiste ne faisait que l’illusionner. » La lutte contre la corruption n’est donc que de la poudre [de Perlimpinpin ?] versée dans les yeux de citoyens qui applaudissent candidement un faux spectacle.
2. La grande et la petite corruption. 
Le philosophe estime que la spectacularisation de la campagne anti-corruption n’a pour dessein que d’exhiber les gros poissons [ministres, directeurs généraux], et ne tient aucun compte des petits poissons qui sont tout aussi redoutables : « […] Epervier trahit son nom en se faisant sélectif, en ne cherchant que les têtes de proue, les échantillons les plus célèbres, alors que la corruption est rampante et omniprésente comme le lierre. Dans l’ordre normal des choses, l’oiseau commence par les poussins […] Le vol perpétré par un ministre ou par un directeur général fait peut-être mal à l’Etat, Léviathan pourtant insensible. Mais la corruption perpétrée par des corrompus subalternes fait tout aussi des ravages : ces directeurs et procureurs qui signent les agréments et autres paiements, les juges qui déforment les procès en donnant raison à ceux qui ont tort, et réciproquement, les sous-directeurs qui exigent des pourcentages sur chaque premier salaire, sur chaque rappel de solde, sur les allocations retraites et veuvage, les policiers qui arnaquent les transporteurs puisque le commissaire attend sa quote-part… C’est cette corruption-là que le peuple vit au quotidien et concrètement dans sa chair [...] On ne saurait lutter contre le cancer en laissant les métastases. »
3. La corruption vide l’Etat de sa substantifique moelle. 
Le Pr. Mono Ndzana détaille avec une précision chirurgicale, décoiffante et désopilante, le dépeçage de la fortune publique par les différents charognards qui opèrent dans l’administration publique : « En corruption, [il faut] distinguer plusieurs niveaux de prédation […] : les grosses baleines et grands carnassiers qui laissent tout de même une carcasse charnue et encore garnie, les petits rongeurs comme les souris qui viennent la dégarnir en laissant des miettes, puis les fourmis chargées de tout nettoyer, ne laissant qu’un os dur. Le peuple ne prend nulle part au festin. »
4. Le « Mapartisme économique ». 
L’analyste pointe la responsabilité des fonctionnaires dans l’échec des innombrables projets qui sont enterrés dans le cimetière de l’administration publique. Si le projet est bien ficelé de telle manière qu’il n’y gagne rien à titre personnel, le fonctionnaire préfère le laisser moisir dans ses tiroirs. Le philosophe en a tiré un concept qu’il a baptisé le « Mapartisme économique » qui repose sur le principe de « ma part », qu’il décline, comme toujours, avec dextérité: « Gérer convenablement, est la croix et la bannière de notre système économique où les intérêts privés des gestionnaires priment sur ceux de l’Etat. Acheter un avion par exemple : chacun doit prendre sa part dans l’opération. Et tel il est de l’avion, tel il est d’un camion ou d’un ordinateur. A tous les niveaux de la chaine, chacun doit prendre sa part. De juteux projets ont rebroussé chemin au Qatar ou en Indonésie, parce que le gestionnaire avait demandé à l’investisseur : « Où est ma part ? » [Cela s’appelle] le Mapartisme économique. »
 Ce « Mapartisme » est la cause sinon directe, du moins fondamentale, de la navigation à vue de la gouvernance en Afrique, et de la gestion à la six-quatre-deux des systèmes économiques bancales de nos pays, source de misère et de pauvreté. Pas étonnant que nos pays aient été positionnés dans l’arrière-cour de la mondialisation sous le vocable de PPTE, pays pauvres très endettés.
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