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Proposition alternative pour passer de la nationalité tribale à la citoyenneté économique par Louis-Marie Kakdeu

Les notions de citoyenneté et de nationalité sont récurrentes dans les théories politiques et sociologiques depuis la chute du mur de Berlin (Sirinelli J-F., 2003). Elles ont même fait irruption dans les théories du développement.


Pourtant au Cameroun, l’obligation de contribuer à l’effort de construction nationale n’est pas une condition nécessaire pour jouir de ses droits de citoyen dès lors que l’on a une parenté nationale et est autochtone/originaire d’une localité. Je propose dans cette réflexion, un modèle local de la citoyenneté camerounaise basée sur la fiscalité et susceptible d’être stratégiquement et opérationnellement plus efficace pour résoudre le « problème national » (Mbembé A., 1994) qui déchire l’opinion en ce moment.


Les Camerounais doivent faire la part des choses. Les ethnies sont un élément constitutif de notre Nation politique mais, elles ne sont pas centrales dans l’équation de notre émergence économique. Nous avons le choix : soit nous voulons faire de la politique nostalgique tournée vers le passé (« Nous avons été traumatisés par le passé et nous faisons la politique pour faire payer les coupables »), soit nous nous engageons à faire la politique de l’espérance tournée vers l’avenir (Plus jamais ça !).


Je vous invite aujourd’hui à abandonner le débat calamiteux sur le « problème national » à connotation tribale pour vous concentrer sur la modélisation de notre émergence. Je reste convaincu que l’incidence du tribalisme sur ma génération 1980 est négligeable à cause des bienfaits de l’école, de l’ouverture culturelle et du mixage démographique. Le positionnement de la politique sur le passé a la maladresse de nous dire que seules les victimes du passé (héros et ayant-droits) ont la légitimité politique : « Vous devez leur laisser la place puisqu’ils ont beaucoup souffert pour le pays ». Non, cette logique politique emprisonne la citoyenneté dans l’activisme de rue et la disculpe du devoir de cotisation sociale.

L’intention criminelle dans le débat prémonitoire des crimes contre l’humanité de 2000-2011 en Côte d’Ivoire consistait à demander à chaque ivoirien d’indiquer son « village d’origine » dans l’idée que seuls les« ivoiriens de souche séculaire et multiséculaire » auront le droit de décider (citoyenneté) de la gestion des cotisations faites par les « travailleurs immigrés » qui ont pourtant fait de la Côte d’Ivoire la première puissance mondiale du cacao. Tout d’abord, je décline ma subjectivité politique. Je suis libéral et j’envisage le citoyen comme un contribuable. Celui qui cotise doit avoir le droit de décider ou mieux, le droit de regard sur sa cotisation indépendamment de ses origines raciales, tribales ou religieuses. Nous devons mettre sur pied un cadre juridique susceptible de permettre d’attirer de « gros contribuables » puisque c’est avec les impôts qu’on bâtit un pays émergent. La faiblesse de la politique d’ouverture du Président Houphouët-Boigny aurait été de n’avoir pas fait accompagner son slogan libéral de « la terre appartient à celui qui la met en valeur » d’un cadre juridique adéquat (code de la citoyenneté et droit foncier). Le Cameroun vient de publier une loi incitative aux investissements. Il lui manque de définir la citoyenneté de l’investisseur étranger par rapport à l’autochtone.

Un plan de développement est nul s’il ne peut être financé. Il existe au moins trois approches de financement possibles : les aides au développement, l’ajustement de la politique monétaire ou l’ajustement de la politique budgétaire à travers l’augmentation des recettes et la réduction des dépenses. Je penche plutôt pour la dernière approche fiscale. Lorsqu’on note « l’agonie du peuple » (Ndochy-Sappy P.-A., 2008) dans des pays comme la Guinée de Sékou Touré qui ont choisi de sortir de la communauté monétaire, on s’autorise le droit de douter de l’efficacité de la sortie de la zone franc. On pourrait ensuite discuter de la nécessité de l’indépendance de cette zone actuellement sous l’emprise de la France mais, la priorité reste pour moi l’augmentation de nos recettes fiscales. Cela nous est accessible et faisable à l’immédiat. Faisons déjà ça ! Je propose d’adopter un code de la citoyenneté (différent de la nationalité) qui permettra de booster les investissements privés à l’interne et d’attirer et de consolider les investissements étrangers (IDE). Un investisseur a besoin de citoyenneté et non de nationalité (tribale). En confondant nationalité et citoyenneté, on oblige l’étranger à chercher d’abord la nationalité pour être rassurer d’être traité à égalité avec les autres contribuables nationaux.

Parlant de « la déflation de l’Etat » en Afrique, Mbembé A. (1994) met l’accent sur « son dépérissement et sa radicale remise en cause » en tant que « bien public » et en tant « qu’instrument privilégié pour assurer la protection et la sécurité des individus, créer les conditions juridiques de l’extension des droits politiques et rendre possible l’exercice de la citoyenneté ». La citoyenneté (résidence permanente avec pouvoir de décision) permet à l’investisseur de défendre ses intérêts économiques. A l’externe, cela signifie qu’un gros contribuable étranger pourrait avoir le droit de vote et d’éligibilité au Cameroun jusqu’à tous les niveaux de décision jugés nécessaires pour défendre son investissement. Au niveau interne, cela signifie qu’un Camerounais qui investit dans une région autre que sa région d’origine aura le droit d’être traité équitablement devant la loi régionale comme les contribuables autochtones. Et à quoi serviront alors les ethnies ? A un rôle symbolique. En Suisse, un Genevois est celui qui paye ses impôts à Genève. Un Bafang sera celui qui paie ses impôts à Bafang. Ne seront éligibles au village que ceux qui paient leurs impôts au village. On aurait éventré de l’ethnie, tous les avantages politiques.

Le code de nationalité camerounaise actuelle prévu par la loi N°68-LF-3 du 11 juin 1968 confond nationalité et citoyenneté. Notre pays applique le droit de sang. Comme à l’ivoirienne, un prétendu Camerounais doit pouvoir justifier de son village (tribu). Je n’y trouve pas de problème. On peut même s’opposer à la double nationalité. Pareille, pas de problème pour moi. Mais, on ne peut pas s’opposer à la double citoyenneté car, la citoyenneté est liée aux intérêts. Si un Camerounais choisi d’adopter la nationalité étrangère, il doit pouvoir continuer de jouir de sa citoyenneté camerounaise s’il justifie de la présence de ses intérêts économiques au Cameroun. L’administration camerounaise devrait simplement s’assurer que ce double-citoyen est à jour de ses cotisations au Cameroun.

En l’état, la loi camerounaise chasse les investisseurs nationaux et internationaux malgré l’existence d’un code de l’investissement. La Constitution donne le pouvoir aux autochtones et implicite que « ceux qui viennent d’ailleurs » doivent respecter l’ordre social prédéfini. A l’image de la Côte d’Ivoire, le contenu de la loi camerounaise portant Code électoral signifie implicitement : « pour peu que vous soyez autochtones, vous avez le droit de décider même si vous ne contribuez pas à l’effort de (re)construction de votre collectivité ». Dans la Constitution du 18 janvier 1996 amendée le 14 avril 2008, l’Etat proclame que tous les hommes sont égaux en droits et en devoirs mais paradoxalement, le même Etat s’engage à préserver les droits des populations autochtones « conformément à la loi ». Mais, quelle est donc cette supra loi qui engage tant l’Etat dans sa Constitution nationale? C’est un vide juridique au Cameroun sauf si l’on se réfère aux lois tacites applicables dans le champ politique.

En effet, il faut comprendre que le même Etat s’engage dans la même Constitution à garantir que « Tout homme a le droit de se fixer en tout lieu et de se déplacer librement, SOUS RESERVE des prescriptions légales relatives à l'ordre, à la sécurité et à la tranquillité publics ». Sur le plan politique, il faudrait comprendre implicitement par cette disposition que : « Quiconque s’installe dans une localité étrangère sans admettre la supériorité du droit des autochtones dans la conduite des affaires locales, se rend coupable de violation des prescriptions légitimes relatives à l’ordre, à la sécurité et à la tranquillité tribale».

Ainsi, les « contribuables venus d’ailleurs » n’ont pas le droit de « semer le trouble dans le village des gens ». Je rappelle que la localité peut être une capitale politique, économique, régionale ou départementale et on observe effectivement que dans ces lieux cosmopolites, les autochtones ont pris en otage le contrôle des mairies indépendamment de leur capacité à payer les impôts. Vous voulez vous plaindre de cette logique identitaire ? Non, vous ne pouvez pas car, au Titre I, Article 1, Alinéa 2 de la Constitution, il est stipulé que l’Etat reconnaît et protège les valeurs traditionnelles conformes aux principes démocratiques. Et voilà les fondements de notre démocratie identitaire ! A ce sujet, des auteurs comme Mbembé A. (1994) parlent de « citoyenneté de proximité, de pratiques d’exclusion, de clôture identitaire et de persécution dont on peut craindre qu’elles ne débouchent, dans un avenir proche, à de véritables pogroms ». Sur le plan économique, cette logique est contreproductive car, seuls les « petits copains » viennent investir dans nos communes où le processus de prise de décisions ayant des impacts économiques n’est pas transparent.

Des sociologues comme Giddens A. (1987) soutiennent que la citoyenneté ne doit pas être considérée comme la prise de possession d’un statut qui est fondé sur quelque chose d’économique, mais de social puisque les différents types de droits citoyens sont gagnés après de longues luttes historiques. La faiblesse de cette approche est qu’elle accorde la primauté au social sans en fournir les sources de financement : Comment arrive-t-on à financer le social si l’on ne produit pas ? Dans une société en développement et en pleine mutation sociale comme celle du Cameroun, la primauté ne doit pas être donnée à la préservation des liens historiques mais, aux exigences de la production et de la croissance. On doit ouvrir la société à ceux qui produisent de la richesse. Abandonnons le modèle social français qui n’arrive pas à se financer aujourd’hui. Purifions-nous de la « malédiction francophone » (Kom A., 1991, 2000) ou mieux de la malchance historique qui nous empêche d’être nous-mêmes et de penser pour nous-mêmes. Pensons jaloux, pensons Camerounais.

Je m’amuse souvent à dire que les gens qui veulent atteindre Paul Biya par la Suisse « tapent leurs corps ». Tant qu’il demeure un « gros contribuable » en Suisse, on le protègera comme un œuf. Même les socialistes suisses savent de quel côté se trouvent les intérêts de leur pays. Pour cette raison, vous n’aimez pas la Suisse ? Ils s’en foutent de vous. Ils pensent d’abord pour le bien-être de leurs citoyens dont la qualité de vie fait partie des meilleures au monde. Que faut-il faire alors en attendant qu’ils aient fini de « suisser » Biya et de le jeter au bord de la route comme Mobutu et Gbagbo ? S’asseoir autour d’une table de dialogue pour concevoir notre part de nationalisme politique d’une part et de citoyenneté économique d’autre part.

Qu’est-ce que je propose en conclusion ? Que la citoyenneté ne soit plus liée à la parenté nationale (lieu d’origine) mais, au lieu où l’on paie ses impôts (c’est le lieu de résidence la plupart du temps sauf qu’on pourrait distinguer par la loi, la résidence principale de la résidence secondaire). En démocratie, cela permettrait de maîtriser le problème de vote/parti ethnique/communautaire en vigueur de nos jours (Bayart J-F., 1991 ; Le Roy E., 1992 ; Webster E., 2008).

Si un citoyen n’est éligible au niveau municipal/régional que dans sa commune/région de résidence (où il paie ses impôts au même titre que tout autre citoyen), alors on voit mal comment, les autochtones et les allogènes qui vivent dans cette commune/région ne se mobiliseraient pas ensemble pour revendiquer leur droit de regard sur la gestion des recettes fiscales. On voit mal aussi comment les leaders de partis politiques qui vivent pour l’essentiel dans les grandes agglomérations, réussiraient à faire prospérer des partis ethniques dont l’encrage est dans leurs ethnies d’origine. Ces derniers par exemple seraient obligés de mettre leurs idées en valeur dans la circonscription où ils payent leurs impôts qui ne sera pas forcément leur lieu d’origine. On observe enfin qu’à chaque fois que le critère de définition de la citoyenneté est basé sur une illusion de « valeur nationale », le débat public conduit plutôt au communautarisme comme c’est actuellement le cas en France. « Quittons derrière les problèmes pour une fois ! »

Louis-Marie Kakdeu
Auteur entre autres de « Le sens de la citoyenneté au Cameroun dans le contexte de la construction nationale »
Courriel : kakdeu@yahoo.fr

Louis-Marie Kakdeu

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