Ils s'appellent Nkongho Felix Agbor Balla et Fontem Neba.
Ils sont respectivement président et secrétaire général du Cameroon Anglophone
Civil Society Consortium (CACSC), une organisation constituée d'avocats, d'enseignants
et de membres de la société civile anglophone qui lutte depuis fin novembre
2016 contre le projet d'anéantissement culturel porté par les régimes des
présidents Ahmadou Ahidjo-premier président camerounais -
puis de Paul Biya - au pouvoir depuis plus de quarante-quatre ans.
Le 17 janvier, le CACSC a été officiellement interdit et
ses deux leaders arrêtés et transférés dans une prison de Yaoundé. En vertu du
principe de non-rétroactivité d'une disposition législative, leur arrestation
est donc illégale. Toutes proportions gardées, cet épisode rappelle étrangement
l'arrestation, en août 1970, d'Ernest Ouandié - véritable
héros national - et de Mgr Albert Ndongmo, deux grandes figures
camerounaises de l'opposition au régime tyrannique du dictateur Ahidjo, et met
en lumière le continuum entre ce régime et celui de Paul Biya.
"
Coup d'Etat spirituel "
Les méthodes sont similaires. La mise hors jeu des
organisations militantes précède et annonce une campagne de répression contre
des leaders qui sont progressivement arrêtés – à l'époque liquidés
–, accusés de crimes farfelus, et condamnés au terme de procès
scandaleusement iniques. L'évêque Ndongmo, dont le statut ecclésiastique lui
évita l'exécution après qu'il avait été condamné à mort, fut ainsi accusé
d'avoir participé à un " coup d'Etat spirituel " contre Ahidjo.
Aujourd'hui, l'avocat Nkongho Felix Agbor Balla et le docteur Fontem Neba sont
accusés d'" actes séditieux " et de nourrir des projets sécessionnistes,
entre autres amabilités. A l'heure oùle régime instrumentalise la menace
terroriste à des fins de contrôle social, la vie de ces deux leaders est en
danger.
Cliquez ici pour commencer à discuter, acheter et vendre en toute sérénité !
Cliquez ici pour commencer à discuter, acheter et vendre en toute sérénité !
Les propagandistes du régime, à commencer par le ministre
de la communication, Issa Tchiroma, ne convaincront que les convaincus. Comme
le rappelle Amnesty International, le jour même de leur interpellation, les
deux leaders avaient publié un communiqué appelant leurs soutiens à s'abstenir
de toute forme de violence.
Dans son arrêté d'interdiction, René Sadi, ministre de
l'administration territoriale camerounaise, trouve pourtant le moyen de leur
reprocher de mener des " activités contraires à la Constitution ".
Quelle pépite ! Parlons-en de cette Constitution. Elle stipule que le "
Cameroun adopte l'anglais et le français comme langues officielles d'égale
valeur ". M. Sadi peut-il en toute conscience affirmer que l'anglais et le
français ont la même valeur au Cameroun ? Que les Camerounais anglophones ont
un statut identique à celui des Camerounais francophones ?
Suprême
incompétence
La même Constitution stipule que " toute personne a
le droit à la vie et à l'intégrité physique et morale. Elle doit être traitée
en toutes circonstances avec humanité ". Violer de jeunes étudiantes
(originaires des régions anglophones) coupables de participer à des
manifestations, déshabiller des étudiants en public, traîner leur visage dans
la boue, est-ce là des traitements que M. Sadi considère comme humains ? La
liste est longue et accablante : l'Etat camerounais est le seul fossoyeur de la
Constitution camerounaise. Cela a d'ailleurs toujours été, et là aussi la
parenté entre les régimes Ahidjo et Biya est évidente.
Sur un dernier point également cette parenté est
apparente : les deux régimes partagent la même suprême incompétence. Dans la
préface à la réédition de son livre, Main basse sur le Cameroun, cinq ans après
son interdiction, Mongo Beti écrivait : " L'édition originale de mon livre
évoquait, il y a cinq ans, une paupérisation en vrille des populations
camerounaises, plus particulièrement de la paysannerie, qui en forme la grande
majorité. L'expression, que le lecteur pouvait croire hyperbolique alors,
paraît bien faible aujourd'hui.
Qu'on en juge par cet exemple pris dans un domaine qui
peut être un bon paramètre de l'évolution d'un pays sous-développé :
l'investissement social. Bien modestes, mais réels sous la colonisation, les
services de santé n'ont cessé de péricliter depuis l'indépendance pour
s'effondrer purement et simplement. Désormais, le malade qui vient se faire
opérer dans un hôpital doit se munir lui-même de ses compresses, de sa
couverture, et même de ses propres médicaments, s'il peut en trouver. Mais le
président, pour sa part, fait régulièrement soigner une affection chronique
dans les meilleures cliniques françaises, au prix fort comme on l'imagine, et
aux frais des misérables citoyens camerounais qu'un extrême dénuement n'exempte
point d'impôts. " C'était en 1977. Quarante ans plus tard, Mongo Beti
écrirait exactement la même chose. Voilà le bilan du président Biya.
A l'heure de sa mort, Ernest Ouandié, qui fut fusillé,
refusa qu'on lui bande les yeux. Il voulait partir en homme libre et digne. Ses
dernières paroles, assénées à des autorités qui ne l'entendaient pas de cette
oreille, furent de dire qu'il quittait le monde des vivants l'esprit
tranquille, car il " avait formé des gars susceptibles de demander un jour
des comptes à ce régime ". Aujourd'hui Balla et Neba, demain d'autres,
jusqu'au jour, qui ne manquera pas d'arriver, où des héritiers d'Ernest Ouandié
accompliront sa prophétie.
Lemonde.fr : Yann Gwet
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire
Laissez nous un commentaire sur cet opinion.