Rédiger ce texte est pour moi un effort de carême, un acte de
pénitence pour la cause de mon peuple. Au moment où j’écris ces lignes,
je suis assis dans une chambre d’hôtel à Rome, répondant à l’invitation
d’une université pour une activité scientifique, un colloque
international. En marge de cette conférence, je me suis laissé distraire
par une curieuse coïncidence, notamment la visite d’Etat du Président
Paul Biya en Italie aux mêmes dates. On appelle cela diplomatie dans le
langage technique.
J’apprends qu’au cours de cette visite, le président Biya a reçu la
médaille d’or de la Conférence des Recteurs des Universités italiennes
(CRUI) au cours d’une cérémonie arrosée d’un discours très élogieux sur
ses « grandes réalisations » en faveur de la culture et de
l’enseignement supérieur au Cameroun. Au fait quel est l’état de
l’enseignement supérieur au Cameroun ? Pourquoi l’Italie est-elle
devenue la première destination occidentale des étudiants camerounais ?
Justement parce que nos universités ne se portent pas bien.
Qu’honore-t-on au fait ? La médiocrité ou l’excellence ? En les
entendant encenser les réalisations de mon Président (je distingue bien
la personne de la fonction), je me suis alors demandé si les
universitaires italiens parlaient vraiment du Cameroun ou lisaient un
discours qu’on a écrit pour eux et pour la circonstance ? S’adressant
aux investisseurs Italiens, on a entendu le président Biya blaguer,
amusant au passage la galerie de ses auditeurs italiens, sur ses plus de
trente ans de longévité au pouvoir, un peu comme si c’était un exploit.
Oui, mieux vaut en rire pour ne pas pleurer ! N’oublions pas que le
pouvoir politique est une question de vie ou de mort pour nos peuples.
Mais au fond les intérêts économiques occidentaux se moquent de la
démocratie et des droits de l’homme en Afrique. Tant pis pour ceux qui
ne l’ont pas encore compris et continuent à compter sur les
chancelleries occidentales pour les aider à trouver le chemin de la
liberté.
Comment expliquer que c’est à un moment aussi trouble de l’histoire
du Cameroun où le système Biya réprime honteusement la résistance
anglophone à l’assimilation francophone, écrase toute forme de
dissidence et piétine les libertés publiques que les gouvernants
italiens, assoiffés d’investissements, ont choisi de faire du président
Biya un héros de la culture et de l’enseignement supérieur? De qui se
moque-t-on finalement ? Bien sûr de ces millions de pauvres Camerounais
victimes au quotidien de l’économie politique de la violence qui
alimente l’économie mondiale. Cette diplomatie de l’hypocrisie ponctuée
de compromissions et de silences complices et coupables se nourrit du
sang humain comme on peut le voir avec le génocide en cour dans l’est de
la RDC où la dignité humaine est honteusement sacrifiée sur l’autel des
intérêts économiques des multinationales et de quelques pays voisins.
Cette diplomatie de l’hypocrisie fait de l’ordre politique et économique
mondial une vraie structure de péché au sens où l’entend l’enseignement
social de l’Eglise. Les gouvernants italiens ont-ils oublié le drame de
Lampedusa ? Et s’ils ne l’ont pas oublié, ignorent-ils que ce sont des
régimes médiocres comme ceux de Mr Biya qui poussent les jeunes à
l’aventure migratoire à travers les déserts et les mers ? Dans ces
circonstances, une diplomatie de complaisance est une diplomatie de
complicité.
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Toujours de ma chambre à Rome, quand j’apprends que le Président Biya
sera reçu par le Pape François, le chef de l’Eglise catholique, je ne
peux m’empêcher de penser au dialogue entre Jésus et Pilate au cours de
sa passion. Jésus qui dit à Pilate : « Je suis né et je suis venu dans
le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité
écoute ma voix. Pilate lui dit: Qu'est-ce que la vérité? » (Jn 18,
37-38). Je me suis alors demandé si le dialogue entre le Président Biya
et le Pape sera centré sur la vérité, celle-là qui libérera Mr Biya et
son peuple (Jn 8, 32). Je me suis demandé si la diplomatie vaticane avec
son réseau de nonciatures est au service de cette vérité dont doit témoigner
l’Eglise, corps du Christ, à temps et à contretemps. Que disent les
nonces au Pape sur nos chefs d’Etat qui vont lui sourire au Vatican
alors que dans leurs pays ils piétinent les droits de l’homme, les
libertés publiques, et la dignité humaine ? Quand le Pape reçoit un chef
d’Etat comme Mr Biya qui a 84 ans, est au pouvoir depuis près de 35
ans, garde le silence sur la fin de son règne, piétine les libertés
publiques et démocratiques dans son pays, qu’est-ce qu’il lui dit ? Il
dépend bien sûr en cela des nonces apostoliques, les ambassadeurs du
Vatican dans nos pays. Malheureusement les nonces ont l’ingrat boulot de
faire le maximum pour préserver les bonnes relations diplomatiques avec
l’Etat, lesquelles seraient utiles pour la mission de l’Eglise ;
paradoxalement, cela se fait parfois au prix de son rôle prophétique. On
appelle aussi cela diplomatie et je me demande souvent ce que cela a à
voir avec l’évangile, le service de la justice et de la vérité à temps
et à contretemps. On me dira qu’il revient aux églises locales, et non
au nonce qui est souvent un étranger, d’assumer ce rôle prophétique par
rapport à l’insanité politique de nos pays qui coûte la vie à des
milliers de personnes. Mais que d’évêques et de prêtres ont eux aussi
peur des représailles de Ponce Pilate.
Voilà donc l’Eglise prise, au nom de la diplomatie, dans un système
dont l’essence même est l’hypocrisie, ce jeu de masques et d’images qui
fait ombrage à la vérité et se nourrit de vies humaines. Je rêve du jour
où mon église se distanciera davantage de cette diplomatie de
complaisance qui fait du mal aux pauvres. Qu’advienne ce temps où tout
chef d’Etat qui va à la rencontre du Pape, d’un évêque ou d’un prêtre
craigne d’entendre le message prophétique de Jean Baptiste sur les
droits de l’homme : « Tu n’as pas le droit de prendre la femme de ton
frère » disait Jean Baptiste à Hérode (Mt 14, 4). On sait que Jean
Baptiste a fini en prison et ensuite a été décapité. L’église n’a pas le
droit de taire la vérité par peur de la persécution.
Pour terminer, j’ose croire, mais sans me faire aucune illusion,
qu’un lecteur bienveillant n’aura pas du mal à comprendre que la cible
de ma dissidence n’est pas Mr Biya comme personne mais le système
politique malsain qu’il représente et qui fait souffrir tant de mes
compatriotes depuis des décennies. C’est ce système organiquement bien
huilé que tout chrétien a le devoir de subvertir quitte à être livré par
les grands prêtres et les scribes à Ponce-Pilate pour souffrir et
mourir comme le Maître. Il vaut mieux mourir par amour pour la vérité et
la justice que de paludisme? Je m’expose au déchainement de l’enfer
mais je ne me fais aucun souci parce que Pâques est proche ! Ainsi peut
commencer l’écriture de mon cahier d’un retour au village natal.
Ludovic Lado, Jésuite
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/ DIPLOMATIE COMME HYPOCRISIE : LE SYSTEME BIYA A ROME ET AU VATICAN ! par Ludovic Lado
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