Ambroise Kom, dans Université des Montagnes - Pour solde de tout compte,
remonte la généalogie de la fondation de l’UdM. La chronologie des
faits est présentée avec sérénité et dans une intention pédagogique
magistrale. L’incursion dans la biographie personnelle renseigne sur les
motivations profondes qui mettent Ambroise Kom sur la voie du projet de
l’UdM. L’ouvrage se démarque du tumulte nauséabond fait des attaques
personnalisées, des invectives proférées sur les plateaux de télévision,
des sommations grotesques. La leçon la plus précieuse de cette
intervention est de créer un espace de débat, en fournissant les
éléments de base nécessaire à la compréhension des enjeux, des tenants
et des aboutissants. En lisant ce texte mesuré dans la tonalité, riche
en enseignements, et précieux pour toutes celles et tous ceux qui
s’intéressent à la condition africaine postcoloniale, j’ai pour ainsi
dire retrouvé le goût de prendre publiquement position sur la
désintégration de l’utopie que symbolise pour moi l’UdM.
J’ai longtemps pris la décision de ne pas parler publiquement de la
désintégration morale de l’UdM parce que je ne voulais pas ajouter la
division à l’incompétence managériale. J’avais un espoir qu’il existait
encore quelque part une volonté de préserver ce patrimoine pour les
étudiants actuels et pour les futures générations. J’ai même vivement
conseillé à un ami qui a tant fait pour l’UdM de garder le silence. Je
me suis trompé sur toute la ligne. J’ai platement confessé mon erreur à
l’ami en question. Il m’a parlé de cette infirmière camerounaise de la
ville de Houston (Texas) qui avait fait un don de quatre mille dollars
pour soutenir le projet. Cette infirmière faisait certainement des
heures supplémentaires, sacrifiant les vacances qu’elle méritait, parce
qu’elle croyait, comme beaucoup d’entre nous, en l’avenir de l’Afrique.
J’ai personnellement pensé à cette brave camerounaise de Seattle qui
avait fait une quête de cinq cent dollars pour cette institution. Je
trouve grotesque la tentative de porter atteinte à l’honneur d’Ambroise
Kom par des insinuations sans preuve de quelque cellule de base mal
inspirée.
Ambroise Kom a prêché l’évangile de l’UdM par avion, par route, par
train ou par téléphone. J’ai moi-même assisté à quelques réunions à
Paris ou sur les bords du Potomac (Washington, D.C). Notre seule joie,
c’était de transformer l’utopie de l’UdM en réalité, de contribuer à la
construction de cette infrastructure du savoir et de la transformation
des mentalités. Nous étions évidemment, comme Ambroise Kom,
minoritaires. Nous étions certainement, sans le savoir, des descendants
spirituels de l’ancêtre Nkwayep. Dans Université des Montagnes - Pour solde de tout compte,
Ambroise Kom évoque pour nous le rôle totémique que ce prélat et
éducateur a joué dans sa vie. La scène de l’autodafé des billets
flambant neufs me semble significative. Elle consacre la primauté de
l’idéal d’intégrité sur toute considération matérialiste. Le prélat
avait aussi mis en place un système permettant aux élèves démunis de
pouvoir financer leur éducation. Cette forme originale d’aide financière
semble avoir inspiré le mode de fonctionnement de l’UdM. La
mobilisation de la diaspora et des bénévoles pour l’enseignement
représentent en effet des subventions qui ont permis d’offrir une
formation de qualité à un coût abordable. Pareille valeur ajoutée a
permis à la jeune institution de se distinguer par son excellence. C’est
cette modalité de financement qui est au principe de l’organisation des
meilleures universités américaines ou anglaises par exemple. Les
nouveaux membres du comité central de l’Association pour l’Éducation et
le développement (AED), aveuglés par les milliards, font tout pour
s’aliéner cette bonne volonté qui a fait le bonheur de l’UdM. La
fonction primitive de l’AED, si on se trouvait dans un monde régi par
l’esprit fondateur de l’UdM, aurait été de travailler inlassablement
pour garantir la stabilité financière à court, moyen et long terme.
Monsieur Kaptué, dans une démonstration d’irresponsabilité chronique,
traîne dans la boue deux jeunes Camerounais qui ont conçu et maintenu
le portail électronique de l’UdM ; tout simplement parce qu’ils sont des
connaissances d’Ambroise Kom. Dieudonné Mouafo, un témoin de
l’histoire, nous a raconté comment il a assisté à la conception de la
première version de ce site web. Après des envolées calomnieuses
gratuites, une mise en demeure de fermer le site web a été servie, au
mépris de toute préservation des données historiques du site. Quand
l’amateurisme s’allie à la malfaisance, cela donne le désastre. A
travers eux, ce sont tous les volontaires qui sont ainsi publiquement
exclus. À cet égard, j’ai particulièrement été bouleversé par les
exclusions qui ont frappé les membres de l’AED, notamment ceux vivant en
France. J’ai été sidéré par la mise à l’index du Professeur Futcha,
dont le seul crime est d’avoir refusé de cautionner la malfaisance
contre Ambroise Kom. Je me suis senti exclu parce que les principes
fondateurs de l’UdM sont désormais excommuniés par les prêtres qui
disent les messes basses sur les montagnes de Banekane. Comment ne pas
protester contre l’arbitraire quand on exclut un membre fondateur à qui
on ne reproche rien d’autre que l’exercice de sa liberté d’expression ?
Le conformisme autoritaire de la pensée unique, que le philosophe
Eboussi Boulaga dénonce en d’autres lieux, mine l’AED. Ainsi, un des
membres radiés par les inquisiteurs du conseil de discipline fut
initialement exclu par le Président de l’AED, sans aucune procédure. Le
politbureau de l’AED semble souffrir des séquelles des quatre décennies
d’autoritarisme et de myopie démocratique qui ont plombé le devenir de
l’Afrique. On ne sort pas indemne du parti unique.
La tentative de privatisation de la ferme
Le 11 novembre 2015, nous avons reçu de Jean-Baptiste Sipa le message suivant: « C'est dommage qu'il soit plus facile à nos amis et frères de la diaspora, de juger de ce qui se passe à l'AED et à l'UdM, à
travers des informations tendancieuses et manipulatrices à des fins
inavouées, que de cotiser pour envoyer une délégation vérifier les
choses sur place et rendre compte. Cela coûte
financièrement bien cher, mais pas davantage que les effets ravageurs de
l'atmosphère déstabilisante qui s'épaissit autour de notre œuvre, grâce
à la capacité de nuisance de ceux qui organisent une
politique de la terre brûlée, plutôt que de reconnaître qu'ils ont pu
s'égarer...et permettre, ce faisant, que des menaces-aujourd'hui
atténuées- pèsent sur l'œuvre. Lorsque la constitution des clans...rend
la communication douteuse autour d'une telle œuvre, il devient
impérieux de descendre sur le terrain pour des vérifications
rigoureuses avant jugement. » Nous avions alors pris l’initiative
d’envoyer une lettre à l’AED pour demander des informations étant donné
les expulsions dont avaient été victimes Ambroise Kom et d’autres
membres de longue date. La réaction de Monsieur Sipa, un classique de la
langue de bois, est pourtant précieuse dans la compréhension des nuages
qui plombent l’horizon de l’UdM. À travers ce mélange d’insinuations,
de refus d’informer et de démagogie, on dénote une véritable obsession
autour de l’action et de la personne d’Ambroise Kom. Le message établit
aussi une ligne de démarcation assez suspecte entre les détenteurs
présumés de la vérité et les étrangers de la diaspora. Les étrangers,
ci-devant accusés de naviguer dans l’égarement, suspectés de faire le
lit de la déstabilisation sont condamnés à n’être que de la nuisance.
Nous ne sommes pas loin de ce que Eboussi Boulaga nomme si justement la
« mutilation anthropologique ». La déshumanisation rhétorique précède
toujours le lynchage réel, au Rwanda comme dans les cellules de base du
parti unique. Si Monsieur Sipa et sa secte avaient quelque pouvoir, il
ne fait aucun doute que les égarés auraient été fusillés sur la place
publique. Le pauvre n’a que sa plume, et nous sommes pour l’instant hors
de danger. Cette obsession deviendra pathologique avec l’étalage de la
gestion catastrophique de l’AED/UdM dans la presse. Afin de déterminer
les faucons de la secte qui a pris l’UdM en otage, il suffit de scruter
les auteurs des plaintes introduites en justice contre Ambroise Kom. La
persécution judiciaire est la poursuite, par d’autres moyens, de la
tentative de privatisation de l’UdM. Ambroise Kom nous enseigne, à
travers la tentative de privatisation de la ferme, comment la quête des
dividendes a durablement colonisé l’imaginaire de certains acteurs
associés au projet de l’UdM. Pour autant lamentable qu’elle soit en tant
que stratégie de communication, la litanie de Monsieur Sipa manque
cruellement d’imagination. Le vocabulaire et la syntaxe de ce passage
sortent tout droit du catéchisme du parti unique. On nous demande de
constituer une délégation pour venir toucher du doigt les réalités,
expression rituelle du parti unique. La prochaine fois, on intimera aux
égarés repentis de se masser comme un seul homme pour soutenir les
guides éclairés de l’AED. On ne sort pas indemne du parti unique.
On ne sort pas indemne du parti unique
Le deuxième moment de cette crise qui me semble important intervient
avec l’une des pathétiques déclarations de Monsieur Kaptué. Il professe
n’avoir jamais lu Changer le Cameroun. Il y a peut-être des
Evêques de l’Église catholique romaine qui n’ont jamais lu la sainte
Bible. On les appellerait, si une telle énormité se réalisait, des
imposteurs. Monsieur Kaptué présente son ignorance comme un monument de
gloire. Il s’agit certainement d’un monument à la gloire du désastre,
pour emprunter cette expression de Mongo Beti.
Le lecteur apprend ainsi que le rôle du collectif Changer le Cameroun
n’est pas seulement décisif, il est incontournable dans l’existence
même de l’idée de l’UdM. Monsieur Kaptué n’a pas lu Changer le Cameroun.
On pourrait spéculer sur ce qu’il faisait pendant que les fondateurs de
l’UdM planchaient sur l’autopsie du mal être camerounais. En tout cas,
il ignore tout de la bible de l’UdM. Ce qui ne l’empêche pas de
proclamer que l’UdM est l’œuvre de sa vie. Le pauvre, il n’a pas pu être
le Père de la Nation. Il aura quand même un lot de consolation : il est
le Père de l’UdM. Il a un service de protocole, avec son directeur de
cabinet et son service de presse. Et qui sait s’il ne rêve pas, comme
les guides éclairés, de la présidence à vie ! Comme dirait le poète,
pitié pour nos fondateurs omnipotents et naïfs. L’UdM, dans l’esprit de Changer le Cameroun,
est une œuvre collective. Elle fait partie d’un patrimoine que personne
ne saurait revendiquer comme propriété privée. Une fois de plus, le
parti unique a pris ses quartiers à Banekane.
La dérive ethnique et les pratiques peu orthodoxes
Ambroise Kom nous informe comment l’UdM est revendiquée comme la
propriété des Bamilékés. La dérive ethnique débouche logiquement sur une
fragmentation micro-ethnique. Les identités totémiques,
départementales, villageoises gouvernent la distribution du cadeau
ethnique. Il est significatif de remarquer que l’un des fondamentalistes
de l’obsession ethnique a promis d’envoyer Benjamin Zebaze dans quelque
chambre froide. Le crime de Zebazé est tout trouvé: il souffrirait de
la multiethnicité. Mais Zebazé sait de quoi il parle quand il aborde le
sujet AED/UdM. Il a cheminé avec les pères fondateurs bien avant que
Monsieur Kaptué ne rentre dans le portrait. Le grand prêtre de
l’intégrisme ethnique, défenseur auto-proclamé de la cause dite
bamiléké, illustre les dangers de l’ethnicisation qui bloque l’émergence
d’une conscience nationale au Cameroun. Il s’agit d’un autre symptôme
de la déliquescence morale qui ravage l’UdM.
L’AED a été mise en place comme un cadre légal nécessaire à la
création de l’UdM. Ce n’est pas elle qui a créée l’UdM. C’est plutôt le
contraire. La révélation est de taille parce que permettant de saisir
les enjeux du débat actuel. La raison d’être de l’AED, c’est de
mobiliser les ressources pour le développement de l’UdM. Aujourd’hui,
l’AED vit des ressources financières de l’UdM. Les frais de scolarité
payés par les étudiants de l’UdM sont gérés par l’AED, qui en assure la
distribution. Ambroise Kom lève un pan sur les dérives de gestion que
les audits ont mis à jour. Je me demande comment les bureaucrates de
l’AED peuvent expliquer et justifier de telles pratiques peu orthodoxes
aux pauvres parents qui vendent les beignets pour financer les études de
leurs enfants à l’UdM. Plus qu’une question de gestion, c’est un cas de
conscience, ou peut-être d’inconscience. L’AED est le détenteur des
comptes de l’UdM. L’AED est devenu un parasite dont la survie risque à
terme priver l’UdM des ressources vitales. En langue populaire, on
appellerait ce renversement de la vampirisation. Le parasitage prive
l’UdM d’autonomie financière et crée une situation surréaliste. L’AED
fonctionne en même temps comme conseil d’administration et comme agent
d’exécution. Sa fonction de contrôle est ainsi caduque du moment où les
décisions exécutives sont, dans les faits, prises par elle. L’enjeu,
c’est la survie de l’UdM, dans les faits comme dans les principes de la
quête d’excellence.
Afin que demain soit un autre jour
J’ai visionné récemment l’excellent film documentaire réalisé par
Raoul Peck sur l’écrivain noir américain James Baldwin. Une des phrases
du film, articulée avec la voix dense de l’acteur Samuel L. Jackson, me
hante: « The story of the Negro in America is the story of America. It is not a pretty story »
(L’histoire du Noir en Amérique est l’histoire de l’Amérique. Ce n’est
pas une jolie histoire). On pourrait dire que l’histoire de l’UdM au
Cameroun c’est l’histoire du Cameroun. Et cette histoire, c’est un peu
l’histoire du fou, pour emprunter le titre du roman de Mongo Beti.
L’histoire du fou, c’est l’histoire d’une famille, mais c’est aussi
l’histoire d’un peuple qui avait beaucoup souffert parce qu’ayant
beaucoup rêvé d’une autre Afrique. Je ne peux ne pas penser au cher
maître André Ntonfo et Haïti, berceau brisé de la Négritude. Il importe
que l’UdM échappe au syndrome haïtien. Il importe que la montagne de
Banekane devienne une citadelle de l’espoir. James Baldwin nous rappelle
que toutes les insuffisances que nous dénonçons ne vont pas
nécessairement nous donner les clés d’un lendemain meilleur. Mais,
poursuit-il, les lendemains meilleurs ne peuvent devenir possibles que
si nous confrontons les obstacles que nous rencontrons. Ambroise Kom,
dans Université des Montagnes - Pour solde de tout compte,
accomplit sa part de responsabilité en offrant son analyse de la crise
de l’UdM. Il reste à toutes les actrices et acteurs d’assumer leur
moment de responsabilité. Peu importe le lieu, la manière et le langage.
C’est la seule condition pour « ne désespérer de rien », afin que demain soit un autre jour.
Cilas Kemedjio
Frederick Douglass Professor,
Directeur du Frederick Douglass Institute for African and African-American Studies.
University of Rochester, USA
Home / Cilas Kemedjio
/ Note de lecture de Cilas Kemedjio sur le dernier livre du Pr. Kom Université des Montagnes: Pour solde de tout compte par Cilas Kemedjio
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