Opinions Nouvelles

Opinions Nouvelles
Opinions pour mieux comprendre où va le monde

Betran KOMNANG LA PERTE DU POUVOIR PAR LA FEMME DANS LA FAMILLE ET LA SOCIETE - DE LA CUEILLETTE A LA CHASSE : ANTHROPOLOGIE MYTHIQUE DU SANG


L’ethnogenèse et l’anthropologie des origines remontent au plus à « l’état de nature » (T. Hobbes), et précisément aux sociétés des « chasseurs-cueilleurs » (Alain Testart), comme s’il s’agissait d’un couple d’activités apparu de façon indissociable à l’origine. Un peu de logique et une observation méthodique du mode de vie des populations actuelles et subactuelles les plus préservées des influences des civilisations modernes permettent de postuler cependant que la cueillette, activité plus facile et sure pour garantir une autosuffisance alimentaire dans la cellule familiale préhistorique a précédé la chasse qui, en comparaison, demeure à ce jour encore aléatoire. Cette hypothèse somme toute banale, qui n’a pas besoin de s’appuyer sur une référence dogmatique (l’alimentation du couple adamique), est pourtant très forte de signification, d’une part lorsqu’on sait que la femme, aidée par un désir naturel plus prononcé (que chez l’homme) de prendre soin du fruit de ses entrailles, aurait dominé cette activité, et d’autre part en intégrant ces données à la lutte au sein de la famille pour le pouvoir entre les genres féminins et masculins.
En effet, si nous nous inspirons des hypothèses les plus abouties des anthropologues et des pédopsychiatres mettant en exergue l’instinct maternel, l’on percevra que l’activité de la cueillette était probablement dominée à l’origine par la femme. L’anthropologie sociale et culturelle fait l’hypothèse que, rivalisant d’ingéniosité, ce sont les femmes, prévoyantes et dans le souci plus prononcé de garantir la nourriture à sa progéniture plus proche d’elle que de l’homme, qui les premières innoveront pour la conservation des aliments. D’où les premiers outils qu’elles fabriqueront (avant les hommes) et qui devaient servir à cueillir, capturer, récolter et déterrer les aliments. Pour la diversification de l’alimentation, elles s’adonneront aussi à la petite chasse en initiant la capture des insectes comme les termites, les chenilles comestibles, les grillons ou les sauterelles, le ramassage d’œufs d’animaux, la collecte du miel d’abeilles sauvages, etc.
Dans certaines sociétés primitives semi-nomades installées un temps à proximité des mers, des fleuves, des rivières ou des marigots, les femmes se seraient aussi livrées les premières au ramassage des mollusques (escargot, moule, pieuvre), à la petite pêche (crevettes, écrevisses, langoustes, crabes, poissons). Elles seraient aussi les premières à imaginer les techniques de conservation de ces aliments que sont le salage et le séchage (au soleil ou au four à bois) et la conception, voire la fabrication des greniers et des silos dans la terre, pour constituer des réserves en aliments dont elles finiront par mieux connaitre que les hommes (Malinowski).
Soulignons que l’humanité ne s’est pas encore sédentarisée et n’a donc pas encore maitrisé l’agriculture et l’élevage, ce qui fait que l’alimentation est assurée exclusivement par les ressources naturelles spontanées. C’est encore le cas de nos jours chez quelques peuples. Dans cette même logique de l’instinct maternel, poursuivant le même objectif d’autosuffisance
alimentaire, c’est encore la femme qui serait à la base de l’agriculture avec la sédentarisation, concevant les premiers outils, qu’ils soient de pierre ou de bois. En revanche, pour ce qui est de l’activité du petit élevage avec la domestication des animaux, les hypothèses sont plutôt contradictoires. Quoi qu’il en soit cela n’entame pas notre insinuation : si ces observations aux fondements anthropologiques et pédopsychiatriques sont bien exactes, alors il s’avèrera qu’en plus de l’avance originelle de la femme sur l’homme en ce qui concerne la maîtrise des premières techniques, il est vrai rudimentaires, c’est logiquement elle qui détenaient aussi la richesse et donc le pouvoir (politique) au sein de la famille primitive et des premières sociétés anciennes. Au début des âges elles auraient pu garder la main sur ces richesses. Et pourtant le rapport de force s’est clairement inversé à son détriment. Comment cela s’est-il passé ?
Idéologies et mythes comme stratégies de prise du pouvoir par l’homme dans la famille.
Physiquement plus fort que la femme, nous faisons l’hypothèse que l’homme n’a pas digéré d’être dépendant de celle-ci sur le plan alimentaire. C’est ici que se serait forgée son ambition d’inverser ce rapport de force d’abord économique. Une analyse permet d’imaginer la femme pragmatique mais aussi généreuse apportant à manger à toute la famille, en ce compris à son conjoint. C’est cette générosité féminine dont l’homme profita très souvent qui permettra à la famille d’atteindre une certaine autosuffisance alimentaire. Si l’homme put dégager du temps pour s’investir dans de nouvelles activités aux rendements plutôt aléatoires et aux bénéfices peu urgents (la pêche, ensuite la chasse), c’est grâce à cette collecte féminine qui assurait l’essentiel. C’est du moins ce que postule l’anthropologie historique et comparative.
En s’adonnant à la chasse au gibier, l’homme a maîtrisé, en plus de cet art, prélude à l’art de la guerre, les stratégies d’attaque et de défense. Or ce pouvoir militaire qui excluait la femme désormais peu aguerrie est étroitement lié au pouvoir politique dans toutes sociétés. Aujourd’hui encore la figure de l’archer ou celle du forgeron, travaillant à la fonte du fer pour la fabrique des armes de guerre, reste masculine (Marcel Mauss et L. H. Morgan).
Pour parvenir à faire de la capture de bêtes sauvages et dangereuses sa chasse-gardée, l’homme se mit à l’école de la fabrique des idéologies et des mythes avec l’objectif affirmé qui allaient se perpétuer de génération en génération. Parmi les idéologies véhiculées, figurent celles interdisant aux femmes d’exercer cette activité leur portant malheur. Comment ?
L’ethnologie observe que dans les communautés villageoises actuelles et subactuelles des chasseurs-cueilleurs, les femmes ne sont autorisées à la chasse que de certaines petites bêtes citées supra, parmi lesquelles les insectes. Une observation pertinente permet de remarquer que le sang ne coule pas chez ces celles-ci. L’ethnologue Alain Testart souligne que c’est à l’aide des filets et des bâtons que les femmes pouvaient chasser, mais jamais avec des armes typiques de la chasse tel l’arc, la flèche ou le harpon qui font couler du sang. Cela est encore vrai chez les Pygmées d’Afrique centrale aujourd’hui, les Bochimans (région du Cap, Afrique du Sud), les Aborigènes australiens, les Aïnous (nord du Japon), les Esquimaux et les autres  peuples de la Sibérie orientale, les Inuits et autres Indiens du Canada, de la Californie, du sud de l'Amérique du Sud, etc.
Pour dominer la femme et conforter son pouvoir, c’est autour du sang que l’homme institua des pratiques symboliques bénéficiant d’une charge idéologique et d’un imaginaire puissant. Illustrons cela avec le cas des peuplades Koma qui vivent sur les sommets des monts Alantika dans l’Adamawa, château d’eau dans le septentrion camerounais (C. Seignobos, géographe).
Anthropologie mythique du sang chez les Koma des monts Alantika (Cameroun).
Comme chez d’autres peuples du monde, il s’est perpétué chez les Koma que le sang qui coule est indicatif de la perte de la vie. Comme cette vérité s’observe déjà chaque mois chez la femme pendant la période de menstruations (règles douloureuses), preuve que la femme n’est pas prête à donner la vie, l’idéologie allait se jouer sur cette symbolique. Dans cette période du cycle menstruel féminin, la femme dans sa faiblesse et sa douleur est considérée par la tradition comme étant malade (ils en parlent comme de la « maladie des femmes »).
Surfant sur le tabou du sang qui s’écoule aussi à la perte de la virginité de la jeune femme ainsi qu’à la parturition (accouchement), les hommes au sein de ces peuplades qui préservent un mode de vie primitif élaboreront tout un système mythique de coutumes interdisant aux femmes de faire couler le sang de tout autre animal, en plus de ce que leur corps laisse déjà couler ; sous peine de stérilité, de malédiction ancestrale, puisque le sang est sacré, étant la vie (Eldridge Mohammadou, historien). Selon le mythe véhiculé, ce cumul de la perte de leur sang avec celui d’un animal qu’elle verserait fut décrété néfaste pour la femme car susceptible de lui attirer la malédiction pour une future procréation. Or comme la crainte de ne plus pouvoir porter d’enfant dans son sein touche à la maternité, puissant symbole de la féminité, les femmes Koma l’intériorisèrent dans leur culture (Frobenuis, anthropologue).
Cet évitement du sang animal par la femme allait impacter sur d’autres domaines de la vie sociale. Les femmes se saupoudrent avec l’ocre blanche (colorant de terre argileuse), et jamais avec l’ocre rouge, destiné aux hommes, et qui est la couleur exhibée lors des sacrifices. En plus de la chasse donc, seuls les hommes peuvent participer aux rites de sacrifices destinés aux ancêtres décédés. Or il s’agit précisément d’une fonction de prêtrise dans leur culte des ancêtres, qui intercèdent auprès de leurs dieux, selon les croyances animistes de cette société. De cette façon, la prêtrise étant une fonction de pouvoir réservée aux hommes d’une caste, le mythe idéologique du sang en excluait d’office la femme. Il va sans dire que l’interdiction aux femmes des lieux de sacrifice (dits sacrés) allait suivre, ainsi que l’évitement de certains mets et aliments pourtant prisés socialement par l’homme : gésier, œuf, tête de caprin, etc. (Dunia Edmond, ethno-écologue). L’exclusion de la femme alantikaise des rites sacrificiels et donc de la forme de pouvoir politique qu’est la prêtrise dans la communauté profita à l’homme de la caste des prêtres, qui se réserva du coup la bonne chair après les sacrifices d’animaux.
Par le même stratagème, la femme respecta le tabou de la division du travail en reconnaissant
en l’homme de la caste des forgerons, autre figure du pouvoir établi chez les Koma, le seul habilité et autorisé à fabriquer les ustensiles en acier de toute sorte et donc des armes pouvant servir à la chasse et à la guerre (M.-Z. Njeuma, historien). Or ce tabou de la fonte de l’acier est précisément un puissant instrument qui garantit l’élévation de l’homme de la caste des forgerons au-dessus des autres, et lui permet encore de nos jours à abattre toute concurrence commerciale dans la vente d’objets en acier dans les marchés de la zone. Voilà qui aide à comprendre comment la femme Koma, indépendamment de sa caste, perdit son pouvoir dans la famille et la société.
Avec du recul, ces interdictions se perçoivent toutes comme une stratégie séculaire, voire millénaire, fabriquée de toute pièce par nos ancêtres masculins pour exclure les femmes du domaine de la chasse puis de la guerre. Or qui dit guerre parle de stratégie et donc de politique (Laburthe-Tolra, historien). Pas étonnant que depuis que l’homme évolue en société, avant et après l’antiquité, même après les révolutions de toute sorte où l’on claironne une volonté pour l’égalité des genres, les femmes demeurent sous-représentées dans l’échiquier politique, étant marginalisées, voire dans le cas asiatique, traitées comme une « sous-espèce humaine ».
Ces interdictions pas toujours rationnelles, tel l’écartement originel de la femme du domaine de la grande chasse (animaux à sang) alors qu’elle initia la petite chasse et supprima donc les vies animales, n’était rien d’autre qu’une stratégie de domination visant à la déposséder du pouvoir qu’elles détenaient dans la cellule familiale. Cette exclusion s’est perpétuée jusqu’à nos jours, de sorte que le féminin des termes chasseur-cueilleur, archer et forgeron n’existe pas dans nombre de langues, notamment le français (Le Larousse), où ils sont exclusivement masculins. Pourtant, devinez qui, d’après l’expérience acquise dès le départ, nous l’avons vu, fut plus apte à la fabrication et à l’utilisation des premiers outils, qu’ils soient de bois ou de pierres, dans les activités justement de la petite chasse et de la pêche aujourd’hui perçues comme masculines. Il est évident que tout ce qui conforte encore de telles idéologies dans nos coutumes, en postulant par exemple encore sur la dangerosité du cumul du sang féminin avec celui d’une bête tuée, n’est qu’artefact, autrement dit un « phénomène d’origine artificielle ou accidentelle » pourtant perçu comme une évidence.
Peaufinant leur technique de chasse en excluant la femme de cette activité, l’homme sera, à l’apparition des communautés villageoises avec la sédentarisation, les plus aptes à protéger les ressortissants contre les pilleurs, les envahisseurs et les conquérants. C’est lui qui organisera donc l’auto-défense de la communauté, puis l’armée des guerriers avec la formation des empires. Ila prendra la tête des haut-fourneaux pour la fonte des outils et des armes, et maitrisera davantage les techniques de guerre. Ce nouveau pouvoir militaire allait induire un pouvoir économique (d’abord par le pillage des terres ennemies conquises puis l’exploitation des ressources ayant plus de valeur sur le marché) ; mais cela induisait surtout un pouvoir politique d’où la femme n’en serait que plus exclue, jusqu’aujourd’hui dans quasi toutes les nations. Même avec la postmodernité et la mondialisation de notre temps, l’idéologie est si
fortement ancrée au sein de nos sociétés, telle une ligne d’orientation névrotique, que femme et homme en général accepte religieusement cette domination masculine comme allant de soi, surtout que même la nature a doté l’homme de plus de biceps.
Alors que nous nous acheminons vers la fin de notre analyse, comment ne pas toucher un mot sur les rites d’initiation parfois extrêmes qui constituèrent une indication du passage des garçons Koma de l’enfance à l’adulescence. Or comme ces rites furent exclusivement réservés au genre masculin, la femme, non initiée, se retrouva en quelques sorte dans un statut d’éternel enfant, comme une simple aide pour l’homme, tout ce qu’on veut mais jamais son égal. D’où aussi, en plus de la force et des pouvoirs politique et économique, la tolérance vis-à-vis de l’infidélité masculine, la culture de la polygamie un peu partout en Afrique et, à l’opposé, tous actes infériorisant la femme en commençant par l’ablation du clitoris (incision), le mariage forcé de la femme, la louange de sa soumission, de sa virginité, de sa fidélité à l’époux y compris, dans l’Europe du Moyen-âge, par l’imposition d’une ceinture de chasteté qui servait à l’époux de sceller le sexe de sa femme et conserver ensuite la clé pour lui seul, etc. (Evelyne Peyre, paléoanthropologue). La perte du pouvoir de la femme dans la famille était totale. Elle se perpétue encore comme on peut l’observer à l’œuvre autour de nous.
En guise de conclusion, rappelons qu’à l’origine la femme avait un certain pouvoir dans la famille. Que si l’essence de la domination masculine est la force, celle-ci s’est appuyée sur des mythes et des idéologies irrationnelles comme le tabou du sang. Insistons sur le fait que ces interdictions furent un puissant instrument idéologique de domination masculine, qui exista par ailleurs dans toutes les communautés du monde. Bref, c’est ainsi que l’humanité connue l’alternance du pouvoir au sein de la cellule familiale, et partant, de la société.
Cependant, si l’homme se rappelle que la femme, alors qu’elle était détentrice du pouvoir au sein de la famille, prenait soin de lui, alors sa force qui a souvent servit à humilier la femme devrait davantage servir à la protéger.
Référence :
1- Alain Testart, Les chasseurs-cueilleurs ou l'origine des inégalités, 1982, Paris : Société d'Ethnographie (Université Paris X-Nanterre).
2- Evelyne Peyre, « Du ‘sexe’ et des os », in Féminin Masculin - Mythes et idéologies (dir. C. Vidal), Ed. Belin, 2006, p. 35–48
3- Alain Testart, Les fondements de la division sexuelle du travail chez les chasseurs-cueilleurs, 1986, Paris: Société d'Ethnographie (Université Paris X-Nanterre).
4- Edmond Dounia, Contribution à l’étude ethnoécologique et alimentaire des Koma Gimbé -Monts Alantika, Nord-Cameroun, Mémoire de fin d’études, Institut Supérieur Technique d’Outre-Mer, 1988, Le Havre.

Partagez sur Google Plus

About BIGDeals

This is a short description in the author block about the author. You edit it by entering text in the "Biographical Info" field in the user admin panel.
    Blogger Comment
    Facebook Comment

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire

Laissez nous un commentaire sur cet opinion.