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Lettre de Iya Mohammed à Paul Biya à propos de la Sodecoton

Monsieur le Président de la République,
En dépit de mon engagement à toujours remplir fidèlement mes fonctions à la tête de la SODECOTON, je suis tourmenté depuis de longs mois par des accusations non fondées de vos Services de Contrôle.
Nul ne doute que dans ce contexte, l’information sur un préjudice financier de 9 milliards causé à l’entreprise par mon fait vous est parvenue. Par devoir de sécurité, il me revient de vous dire la vérité.
Voyez-vous, à la suite de cette décision, entre autres humiliations, je devais présider le mercredi 03 avril 2013 le Conseil d’Administration de la Société des Servies pour l’Europe et l’Afrique à Paris, j’ai été refoulé publiquement à l’aéroport de Douala et mon passeport retiré. Le discrédit s’est du reste internationalisé, puisque j’étais déjà attendu en France.
Mais le plus important pour moi reste la décision que vous prendrez sur mon avenir, suite à la décision arbitraire du Conseil de Discipline Budgétaire et Financière. Déjà dans sa démarche, l’instance n’a donné la parole à aucun de mes conseils qui ont néanmoins, à la veille des délibérations déposé leurs conclusions.
1.- Les faits
Après un séjour de plus de 6 mois et de nombreux autres recoupe¬ments à la SODECOTON, les Inspecteurs d’Etat ont rendu un rapport portant sur la gestion des années 2005 à 2010, rapport qui ne m’a jamais été communiqué au motif qu’il n’est destiné qu’au chef de l’Etat. Mais nous l’avons tout de même retrouvé quelques temps après entre les mains d’un étudiant, le nommé DJARYANG Samuel qui m’a questionné sur le dossier par voie électronique.
Par la suite, j’ai été, en ma qualité de Directeur Général, traduit à titre individuel et personnel, sans un autre dirigeant ou employé de l’entreprise, à répondre de 38 griefs devant le Conseil de Discipline Budgétaire et Financière.
Je n’ai pas compris comment, un Directeur Général pourrait répondre s’il y en avait, d’une quarantaine de fautes techniques d’une entreprise de 3.000 personnels sans qu’il ait été identifié le moindre dysfonctionnement imputable à un collaborateur ou quelque autre dirigeant que ce soit.
Résultat, j’ai été condamné comme vous le savez, à rembourser à la SODECOTON, 9 milliards de francs, dont prés de 4 milliards représentant l’équipement du complexe sportif de l’entreprise et le management de son club de football corporatif.
2.-Eléments d’analyse des griefs retenus
En rejetant une vingtaine d’accusations des Inspecteurs d’Etat parmi les plus grossières, le Conseil en a donc retenu 20, dont 12 induisant selon lui un préjudice de 9 milliards.
Monsieur le Président de la République,
Vous avez promis que les gestionnaires véreux vont «rendre gorge». Puis, en répondant au souhait de la majorité des Camerounais, vous avez aussi envisagé le remboursement du corps du délit par son auteur dans une récente réforme de l’organisation judiciaire et des procédures pénales, concrétisées par la création d’une juridiction spéciale (le TCS). Mais le Conseil de Discipline Budgétaire et Financière devrait-il vendre l’illusion au public?
En analysant ci-dessous ne serait-ce que les cinq (5) premiers griefs valant 8 milliards et demi, les 9 milliards sont en effet illusoires.
a)- Dissimulation de recettes (fautes de gestion 1 et 2): 2 861 098 161 F. Ni la Direction Générale, ni aucun organe d’audit de l’entreprise ne se reconnaît dans cette affirmation concernant les ventes.
Le cabinet du Directeur Général ne dispose pas de guichet de vente. Je ne saurais donc dissimuler une recette.
Pour toute démarche, les vérificateurs ont contesté les soldes des stocks d’huile et d’aliments de bétail (tourteaux). Mes collaborateurs des services techniques leur ont montré comment il faut les calculer et il m’a semblé qu’ils ont compris simplement.
C’est la première fois que j’entends parler de dissimulation de recettes depuis le début de cette affaire.
En revanche, si un de mes collaborateurs dans le circuit de vente a fauté, en 6 mois d’investigations grassement payées par l’Etat à Garoua, les Inspecteurs d’Etat devraient avoir identifié la position de travail de l’entreprise où les recettes sont dissimulées, interroger l’agent en cause, avant de remonter éventuellement aux autres niveaux hiérarchiques et impliquer enfin, le cas échéant, le Directeur Général. Cela aurait été professionnel.
Pour ne l’avoir pas fait, je reste convaincu qu’il s’agit d’une affirmation purement gratuite.
b)- L’octroi des ristournes (faute de gestion n°3): 1 509 871 966 F C’est la première fois que j’entendrais que pour attribuer une ristourne, une Assemblée Générale d’actionnaires doit d’abord se réunir. Aucun acte pour me l’opposer n’a été cité, ni par les Inspecteurs d’Etat, ni par le Conseil de Discipline.
Dans tous les cas, la SODECOTON, société d’économie mixte n’est pas née avec moi et l’attribution de la ristourne a toujours relevé de la Direction Générale, compétence que les actionnaires n’ont pas revendiquée non plus des décennies.
Bien plus, que représentent les ristournes de 1,5 milliard en 6 ans sur un marché aussi concurrentiel que celui des huiles dont certaines affluent du Nigeria voisin?
La Sodecoton n’en a distribué que l’équivalent de 250 millions par an en nature. Les Inspecteurs d’Etat auraient dû se rapprocher des entreprises comme Guinness pour comprendre le poids de la ristourne en entreprise commerciale où le client est roi. Elles sont attribuées dans ces sociétés en espèces sonnantes et trébuchantes pour fidéliser la clientèle. Nous nous contentons de donner de l’huile en cadeaux à nos gros acheteurs et l’on en fait un procès. Sommes-nous une entreprise rudimentaire?
c)- L’engagement des dépenses au profit d’une association sportive (faute de gestion n°4): 3 778 045 668 F. Le Conseil de Discipline reste muet sur l’association sportive dont il s’agit; sa gêne est compréhensible.
L’entreprise finance chaque année sur son programme d’activités et son budget approuvé, en plus des actions liées à son objet principal, de nombreuses actions à caractère social, dont le développement du sport. A la suite de la dynamique sportive de son personnel, elle a consenti depuis plus de 20 ans à appuyer son club corporatif et va même au-delà en soutenant de nombreuses autres équipes du septentrion, avec l’accord constant des autres organes de gestion, fiers de leur équipe.
En effet, les dirigeants de la SODECOTON sont conscients de ce que, sans ce genre d’appui, le septentrion, zone défavorisée par la nature mais très peuplée de jeunes, serait pratiquement rayé de la carte du sport. A preuve, en dépit du maigre appui apporté aux autres équipes de cette partie du pays, seul le club de football de l’entreprise se maintient durablement à l’élite domine le championnat de la tête aux pieds et reste sur la scène internationale depuis une quinzaine d’années.
Où se trouve donc le préjudice? L’immense complexe sportif de l’entreprise est en place, l’équipe offre à la jeunesse un encadrement modèle.
La SODECOTON est-elle seule à financer le sport? MTN et ORANGE qui sont étrangères au Cameroun sacrifient des milliards chaque année pour notre sport, idem pour les Brasseries du Cameroun.
Nous nous serions attendus à ce que les Inspecteurs d’Etat vérifient que les moyens que nous décaissons pour le sport y parviennent effectivement. Ils en ont eu pour 6 mois à Garoua.
La SODECOTON est une entreprise citoyenne qui s’investit beaucoup dans le social, aux côtés de l’Etat qui m’a fait confiance. Pourquoi m’imputer seulement la part du sport qui est pourtant infime (près de 600 millions l’an) ? Qui remboursera ce que nous mettons chaque année en milliards de francs avec les mêmes procédures dans:
  • les routes;
  • les pistes rurales;
  • l’électrification rurale;
  • les écoles;
  • les centres de santé;
  • les adductions d’eau;
  • les forages;
  • les salaires des maîtres des parents;
  • les magasins de stockage des récoltes agricoles;
  • les intrants agricoles;
  • les semences;
  • etc.
d)- L’aliénation du patrimoine de l’entreprise sans autorisation et sans évaluation (faute de gestion n°5): Accusation tout aussi grossière: 339.351.746 F et qui ne relevait même pas du champ d’investigation 2005/2010, mais 2003.
Il existe dans le Grand Nord des zones où la SODECOTON n’a plus mené aucune activité depuis des décennies, le mode d’exploitation a changé.
De vieilles bâtisses érigées pour la plupart par des ouvriers en matériaux précaires à l’époque coloniale y tombent en ruine. Nous ne pouvons ni vendre faute d’acquéreurs, ni y mettre des frais d’entretien. Les Services Publics locaux en ont occupé ce qu’ils pouvaient.
Pour avoir cédé à 15.000 000 F, à un jeune compatriote de Kaélé qui en a exprimé la demande, deux cases délabrées, les Inspecteurs d’Etat ont soupçonné le Directeur Général de faire un arrangement à la camerounaise.
Ils m’ont accusé d’avoir bradé, sans évaluation, ce qu’ils désignaient alors «des villas». Le Conseil de Discipline, sur la commande de son rapporteur, a commis unilatéralement son expert, sur la base des faits erronés, pour me «coincer».
Ce dernier de retour leur a communiqué le résultat selon lequel, les cases construites à l’époque de la colonisation en matériaux précaires ne peuvent guère aujourd’hui, ensemble, valoir plus de 3.000 000 F.
Face à ce surprenant résultat, le rapporteur a proposé au Conseil de considérer maintenant que c’est le terrain sur lequel sont implantées les cases qui est important et en a fixé selon lui le montant à 336.000.000 F, à raisons de 6.500 F le mètre carré.
Ce que Monsieur le rapporteur WAFFO ne savait pas, c’est que:
- d’un, pour l’instant, à Kaélé, le terrain n’est pas vendu;
- de deux, lorsque par la force des choses, il faut tout de même attribuer une valeur à un immeuble là-bas, on s’en tient au barème arrêté par l’Administration du cadastre, soit 200 F le mètre carré.
Autrement dit, si l’on s’en tient à la superficie qu’ils déclarent dans leur propre expertise, c’est la SODECOTON qui devrait rembourser une dizaine de millions à l’acquéreur. Il n’y a donc aucun préjudice à imputer à Monsieur IYA MOHAMMED. C’est de la poudre dans les yeux à ce sujet.
Voilà Monsieur le Président de la République sur les cinq premières fautes seulement évaluées à 8 milliards et demi, un aperçu des travaux ayant abouti à ma condamnation par le Conseil de Discipline Budgétaire et Financière à payer 9 milliards de francs CFA.
En conclusion Excellence, je sollicite humblement, au regard du caractère arbitraire des griefs qui me sont opposés au Conseil de Discipline Budgétaire et Financière, votre sursis et votre protection pour que ma liberté soit préservée et que je puisse en toute sérénité exercer les voies de recours auxquels j’ai droit devant la chambre Administrative de la Cour Suprême, quitte à être déchargé de mes fonctions de Directeur Général à l’exercice desquelles, contrairement à ce qui est véhiculé, je n’ai jamais failli.
J’ai en effet toujours été à l’aise avec mon salaire, bien qu’étant, à suivre les rapports de la Chambre des Comptes, le Directeur Général le moins payé de la République, comparé aux autres dirigeants, en dépit d’un chiffre d’affaires qui culmine des fois à 100 milliards l’an et nonobstant les bénéfices réalisés. Ce salaire n’est du reste pas mon seul revenu.
Comment irais-je alors jusqu’à dissimuler les recettes des ventes d’huile et autres aliments de bétail? Invraisemblable pour un Directeur Général qui a bénéficié de tant de confiance de votre part, de tant de facilités, de bonheur et de grâces.
J’ai espoir que vous me préserverez la liberté et qu’en partant de la SODECOTON que j’ai aussi aimé servir, je laisserai une entreprise en parfaite santé, continuant à réaliser des bénéfices substantiels chaque fois que le climat et les cours le permettront et accompagnant toujours le Gouvernement dans la recherche du bien-être des populations.
Je vous pris de bien vouloir accepter, Excellence Monsieur le Président de la République, l’expression de ma profonde déférence.
Votre humble serviteur.
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