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Narcis Bangmo : CONSOMMATION ABUSIVE DE BOISSONS SPIRITUEUSES VERSUS DÉVELOPPEMENT DES CAMPAGNES : UN AUTRE PARADOXE DU PAYS ORGANISATEUR

Du quotidien Le jour, on pouvait lire il y’a quelques jours, « 5 litres de whisky l'envoient dans le coma à Ebolowa ». Loin d’être un fait anodin, ce concours du « meilleur consommateur » de la ville, fut-il clandestin, trahit l’état d’ébriété de l’ensemble de la société Camerounaise, dont tous les leviers de productions sont bloqués et confisqués par une élite aux reflexes sans merci et qui a pour seul souci, les préservations des acquis égotistes. Oubliant que cette rente qu’elle accumule généralement sans efforts, en spoliant le peuple par collusions avec les importateurs de produits frelatés, quand elle ne l’est pas elle-même, n’a de sens que si elle (la rente) s’inscrit dans une logique existentialiste qui consiste à une redistribution viable et à une transformation sociale d’envergure.
50 ans c’est l’âge de la maturité et de la responsabilité. C’est surtout l’âge où la fierté de voir sa progéniture se mouvoir sans trainer en elle, les tares et les avatars d’une histoire de vie qui aurait été celle des parents et profiter des rêves les plus fous qui caractérisent à raison chaque génération. A cet effet, Raoul Wafo (2013), fait remarquer sur son compte Facebook que : « La grandeur de notre leadership se révèle par la qualité de nos paroles et se démontre par l’originalité de nos actions. Plus que jamais, le monde en ce moment a un cruel besoin de leader qui incarne de vraies valeurs. Si tu te disposes réellement et paie le prix pour l’être, alors tu seras cet agent de changement qui impactera radicalement cette génération et laissera un héritage crédible. Vis ta vie pour être un modèle à suivre ». Chaque parent conscient de ce fait, même dans des conditions de vie plus modeste, se construit une éducation dont l’empreinte psycho-sociale s’enracine de fil à aiguille dans sa descendance et non l’inverse.
Quelle image donne-t-on à une jeunesse  aujourd’hui à la croisée des chemins, quand à 50 ans, on trouve du temps pour organiser ou participer à des concours du « meilleur consommateur » ? Comment comprendre que la région du Sud soit coutumière des pratiques de consommation périlleuse de boissons de mauvaise qualité (importées ou locales), pendant que les paysans croupissent dans la misère, emportés par des spiritualités nymphomaniaques, dans un environnement où les terres en friche s’évaluent en millier d’hectare? Ne s’agit-il pas d’un autre paradoxe du pays organisateur ?
Du whisky frelatés pour une pauvreté durable 
Pendant que sa société bouillonne et son pouvoir vacille, le premier ministre Turque prend une décision courageuse, celle d’interdire la consommation des boissons alcoolisées au-delà de  22 h dans toute la Turquie. Une décision qui est interprétée par les pays producteurs de boissons comme un acte de dictature. Un sermon étonnant dans le pays le plus respectueux des libertés individuelles et collectives de tout l’Orient et le monde Arabe. L’illusoire et le grotesque de l’appauvrissement des masses à maintenir sous la dépendance des produits alimentaires essentiels ou non, se dessinent avec véhémence, accentuant le fossé des clivages entre les classes. Pourtant le printemps Arabe nous apprend que perpétuer un régime, « soushommisant » son peuple n’est pas une vérité infinie. Les jeux et le pain comme instruments de distraction et de divertissement du peuple, finissent quand même par se dévoyer. Comme tout système d’organisation et de gestion de la cité, les failles s’y invitent et parfois dictent leurs lois. L’occident peut parfois se permettre certains écarts parce que ses piliers ne reposent pas sur des artifices. Les Turques qui ont compris la leçon, ne laisseront pas le jeu prendre le pas sur l’enjeu, car quand l’ouverture devient synonyme de renoncement de soi, on va inexorablement vers une décomposition totale des savoirs endogènes locaux.
De ce point de vue, les plaisirs extravagants et les fastes de la volupté quoique utiles pour l’équilibre humain, ne doivent en aucun cas précéder l’apothéose des vraies valeurs fondatrices de la société tel que le travail, qui sait souvent nous dispenser du sens commun et du vulgaire. Dès lors, on ne sait plus bâtir une société sur des artifices, sur des bonbons et des gadgets sans avoir la certitude qu’on en produira sur un temps-long.
Spiritueux a pour racine étymologique spiritus (esprit). Les boissons spiritueuses sont des boissons alcoolisées produites pour la consommation humaine. Elles sont produites soit directement par distillation, macération ou addition d’arômes, soit par le mélange d’une boisson spiritueuse avec une autre. Leurs titre alcoométrique minimal est de 15 % vol (CE, 2008). L’expression « boissons spiritueuses » n’est pas hasardeuse en effet. Il s’agit bien des buvandes qui portent des esprits, en ce sens qu’elles sont susceptibles de confisquer l’autonomie du consommateur et en devenir son maître absolu. Elles annihilent les capacités réflexives et engourdissent les facultés intellectuelles comme le ferait toute autre drogue. C’est d’ailleurs le cas de l’ “Odontol”, dont la seule évocation du nom cache très mal les affres éventuelles de sa consommation excessive.
Le nom « odontol » serait inspiré de la publicité visuelle d’un dentifrice du même nom. Les personnes présentes dans les différents spots exhibaient leurs dentitions, pour sans doute, montrer l’efficacité du produit à travers leurs belles dents blanches. La boisson en question, qui est considérée par certains comme du whisky made in Cameroun, a la particularité de contenir un taux d’alcool élevé (parfois supérieur à 90%  vol) et qui exige du consommateur qu’il ouvre de façon  inconsciente, grandement la bouche de manière à montrer les dents. Ceci en appelle également aux soins dentaires,  l’odontostomatologie dont la racine serait « Odontol ».

Le grand Sud forestier du Cameroun a une tradition relativement longue de consommation de boissons traditionnelles, produites de façon artisanale et dont les premiers distillats sont contemporains à la production cacaoyère, principale culture dite de rente dans la Région. L’ « Odontol » permettait d’abreuver et surtout de doper le corps et le morale des travailleurs, pendant les récoltes des fèves de cacao et des vivres frais.
Les différentes crises qui expliquent la déprise du cacao aidant, la production s’est intensifiée malgré l’archaïsme des outils de distillation et l’insécurité au niveau des segments qui composent les filières des différentes matières premières, que sont des produits alimentaires aux sucres fermentescibles. L’ « Odontol » est ainsi passée d’une consommation dite de case aux bistrots. D’abord comme une source de diversification des emplois dans un contexte de crise économique et sociale, et ensuite comme un exutoire des difficultés quotidiennes dans nos villes qui se confondent aux villages, avec l’exode rural et le transfert des comportements.
Bien au delà des simples débats autour des lions indomptables et du football en général, ces bistrots  sont devenus des sortes d’« arènes politiques » au sens d’Olivier de Sardan. Des lieux où se construisent et se déconstruisent des rapports sociaux, cependant au détriment des environnements de tradition que sont : la case et/ou la concession. Ce sont des formes de « terroir machiste » où la femme généralement productrice et vendeuse, a pour mobile essentiel de présence en ces lieux, le service et l’exclusion au débats. Les bistrots s’inscrivent dans le prolongement des expressions conjuguées de domination familiale et redonnent aux hommes leur fierté perdue de leur incapacité d’assumer désormais les missions régaliennes de chef de famille et tout ce qui va avec.
Le bistrot à Odontol devient de ce fait un espace de vie dans un contexte où, la simple symbolique de la norme réside dans l’imaginaire perdu de ceux qui sont curieusement censés l’instaurer, l’organiser et la réguler. Et d’ailleurs le terme « Bakassi » utilisé dans le jargon de la consommation pour nommer les bistrots où se vend l’ « Odontol », distillé à partir du vin de palm à Sangmélima et dans l’ensemble des villes du Sud, est choisi à dessein (Ngatsing Tchuente, 2007). Bakassi est la ville camerounaise théâtre des violences souverainistes et identitaires. C’est le lieu où le Cameroun à militairement combattu contre le Nigéria avant la résolution pacifique du conflit à La Haye au Pays Bas. Plus qu’un lieu d’affirmation de la masculinité et du patriarcat socioéconomique, le bistrot « Bakassi » épouse une dimension conflictuelle susceptible de fragiliser le tissu social dans un environnement où la « solidarité des opprimés » est souvent fille de stabilité dans la vulnérabilité.
Une barbouze au service des pouvoirs endogènes centralisés et non du peuple
Elite vient du latin « eligere » qui signifie choisir. L’italien est plus précis, « eleggere » qui veut dire élire. De ce point de vue, il est difficile de dire à proprement parlé que nos peuples ont des élites parce qu’elles ne sont en réalité que la résultante d’une émanation populaire de façade. Ce sont des produits du décret, mieux des créatures et des esclaves dont la seule existence est consubstantielle à la volonté d’un homme-dieu qui fait et défait et non du peuple qu’on dit souverain. Qu’elles soient politique, économique, religieuse où traditionnelle, elles jaillissent au dehors d’un système politico-administratif, d’une bourgeoisie d’Etat qui se comportent comme des barbouzes au service des puissances endogènes centralisées, au milieu du peuple dont-elles simulent quotidiennement le port des aspirations. Certaines d’entre elles réussissent d’ailleurs l’exploit d’appartenir à toutes les composantes du concept « Elite » : homme politique, homme d’affaire, religieux et chef traditionnelle et se comportent comme de véritables « infilteurs » des communautés (Amougou, 2013). L’élite, mais alors la vraie, est une éducatrice dont la mission essentielle, dans tous les secteurs de la vie où elle est appelée à exercer, est de réguler l’action publique pour un meilleur épanouissement socioéconomique de tous.
Les « nôtres » cependant, n’agissent pas pour facilit er la redistribution et soulager les souffrances  des populations, mais plutôt pour les instrumentaliser en agitant le chiffon rouge du danger imminent de l’étranger-accumulateur, l’étranger-source de tous les malheurs. Un discours infamant dont la seule finalité réside dans le contrôle de tous les leviers de l’économie et en toile de fond le maintien du statut quo d’une pauvreté durable et perpétuelle, seule gage de dépendance et de soumission au régime, qui en temps opportun peut distribuer le « corps du christ », ce repas électoral (riz, maquereau…) lien social véritable entre les deux entités.
S’il n’y avait pas eu coma, Eric Ekwelle à 50 ans, aurait été un héro local comme on en trouve paradoxalement dans les villes et villages au Cameroun. 5 litres de whisky c’est inédit pour ne pas faire la une des journaux. Il se serait agi d’une victoire suivie d’un faste, comme on en célèbre au retour triomphale des lions indomptables. Cet homme serait un  homme respecté et craint : « Vous voyez l’homme-là c’est un puissant les gars il boit 5 litres… merde !!!! ». Le niveau de pourrissement des valeurs est tellement si exponentiel, qu’on viendrait à célébrer non pas le meilleur cultivateur, à travers le plus gros régime de banane-plantain, le plus gros porc produit dans le village, mais des gens à travers des plaisirs de dépendances, instruments aux mains des élites qui sont sans l’ombre d’aucun doute soient les pistons des importateurs de Whisky, soient des importateurs eux-mêmes, comme nous l’a révélée la tristement célèbre affaire des importations de poulets surgelés au Cameroun. Voilà pourquoi on continue d’autoriser la consommation des spiritueux importés pendant que ceux produits localement comme l’ « Odontol », oscillent entre interdiction et tolérance. Pourtant aider à sortir cette boisson et ses acteurs du maquis, n’est aucunement une énigme dans l’ensemble des laboratoires de biochimie de nos universités et autres centres de recherches.
Propositions
Cette réflexion voudrait s’imposer comme un plaidoyer pour la sortie définitive de l’Odontol (whisky local) du maquis, et une révision des lois portant règlementation de la vente et de la consommation des boissons alcoolisées au Cameroun. Cette revalorisation de la production et de la consommation des produits locaux précède celle de la matière première (céréales et autres produits contenant du sucre) qui permettra de limiter les intervenants dans les filières et favoriser une économie géographique facteurs, d’amélioration du niveau de vie des producteurs.
Ce qui fait problème dans l’ « Odontol » est connu et peut être, dans une approche nano-technologique de maitrise des températures de distillation détecté et éjecté. Au lieu d’importer les whiskies d’origine douteux, le sursaut patriotique consisterait à aider les groupements paysans à contrôler la filière par eux-mêmes, pour mieux limiter des dommages morpho-physiologiques qui en découlent et au demeurant les nuisances socio-familiales.
La production des boissons traditionnelles dans la Région du Sud, comme dans l’ensemble des villes du Cameroun, pose le problème de l’efficacité des politiques publiques en matière de normes et de qualité dans le monitoring de la production locale, notamment traditionnelle. L’ « informalisation » de la production des boissons dans le cas d’espèces, est une perte énorme pour toutes les parties prenantes. L’Etat dont l’activité économique est à 90% informelle (direction de la statistique, 2012), gagnerait à normaliser ce secteur pour trois raisons :
  • Le regain d’intensité des activités dans cette filière, depuis une vingtaine d’année, est une preuve qu’elle participe à la lutte contre la pauvreté, de façon plus efficace que l’appui de l’Etat qui reste englué dans la grande corruption et ne parvient qu’à doses de perfusion aux populations.
  • La normalisation de ces boissons apportera de la valeur ajoutée à l’économie locale par l’augmentation du revenu des acteurs.
  • L’Etat qui continue d’osciller entre interdiction et tolérance, s’en sortirait plus consolidé.
Une labellisation de ces boissons est bien possible, à condition que l’agence de normes et de qualité récemment créer en 2011, sorte des sentiers battus de la macrostructure économique, pour donner vie aux activités de petits gens. L’urgence d’organiser les acteurs, notamment les femmes (distillatrices) en OP ou en GIC, s’impose de façon lancinante, car c’est à partir d’elles que le processus est gravement remis en question. Tous les acteurs doivent s’organiser autour des O.P., ou des GIC pour faciliter les campagnes d’information, de formation et d’éducation sur les effets induits d’un produit de qualité sur l’économie et la santé des consommateurs. Cette agence devra donc former des formateurs sur le respect de la norme et la qualité depuis les bassins de production de la matière première, jusque dans les salles où le matériel nano-technologique sera mis sur pied pour faciliter le travail des femmes situées en fin de filière.
L’élite-barbouze qui se complait à maintenir le statut quo, doit se rendre impérativement compte qu’il n’y a jamais de situation définitive comme nous l’enseignent les évènements de février 2008. Il pourrait arriver en effet des moments où, contre toute attente, le « on va faire comment », déterminant majeur de l’indolence politique au Cameroun deviendrait « …dégage ! ». La dépendance historico-nostalgique qui consiste en la promotion des discours victimaires et tribalistes de la conservation où de la récupération du strapontin du frère du village, ne fera plus l’unanimité si ce n’est pas déjà le cas depuis le titre à succès : « Les paradoxes du pays organisateur… ». Aucune nation sérieuse ne peut penser son développement sans une dose adulte de spiritualités. Cependant, ces spiritualités doivent être cognitives et non voluptueuses.
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