Dans sa lutte pour l’indépendance du Cameroun, l’Union des populations du Cameroun (Upc), parti nationaliste le mieux organisé dès sa fondation en avril 1948 avait comme préalable la réunification des deux Camerouns hérités de la Première Guerre mondiale. Dans sa lutte pour le pourvoir, Ahmadou Ahidjo, alors premier ministre du Cameroun sous tutelle française enfourche lui aussi le même cheval de bataille. Lorsque Paul Biya hérite du pourvoir dès novembre 1982, il entend transcender l’unité nationale qui faisait son bonhomme de chemin pour conduire les Camerounais vers l’intégration nationale.
A la genèse de tout cela, dans les partis politiques qui s’activent à exercer le pouvoir, chacun, le long de la frontière « franco-britannique » au cœur de l’Afrique, a son idée – grande ou petite – de la réunification. A la barre depuis le 5 mai 1960, après moult péripéties, Ahmadou Ahidjo réfléchit : « maintenant que nous avons le pouvoir, qu’allons-nous en faire ? » relève Philippe Gaillard, dans son ouvrage biographique sur le premier président de la République du Cameroun. Un de ses collaborateurs lui propose la réponse qui devient son projet de société : « faire du Cameroun en Etat ». La nation suivra, mais il faudra une génération pour que les ressortissants de ce pays se sentent camerounais avant que bamiléké, bassa, bulu, ewondo, duala, peulh, etc. Voire sujets de telle chefferie ou originaires de tel village.
Si entre Camerounais, l’école, les confessions religieuses chrétiennes, les internats, les œuvres et les mouvements religieux ont énormément œuvré pour le rapprochement des ethnies, le nouveau pouvoir s’adosse sur ce socle pour donner corps à la mystique de l’unité. Mais des considérations politiques héritées de la guerre d’indépendance, des affinités personnelles n’auront pas moins fissuré ce socle. Une grande partie des actuelles régions de l’Ouest, du Littoral et du Centre était acquise à la cause de l’Union des populations du Cameroun. Le pouvoir se retrouve entre les mains des anciens élèves de l’école supérieure de Yaoundé, puis des anciens séminaristes et élèves du lycée Général Leclerc. Les politiques d’équilibre régional, de développement auto-centré donnent lieu à un clientélisme qui finit par exacerber le tribalisme et des frustrations qui hypothèquent dangereusement l’unité nationale. On en veut pour preuve la floraison des memoranda très à la mode il y a une vingtaine d’années. En réalité, ce sont quelques cadres qui se sentaient en marge de la « mangerocratie » et de la « démocrature » qui portaient à l’attention d’un destinataire bien ciblé les frustrations qui étaient les leurs. Une fois récupérés, ils se font les chantres les plus serviles et zèles du système qui les a sortis de l’ombre. Ce sont les mêmes qui pissent au quotidien ces motions de soutien érigées en « voix du peuple ». Il s’agit en fait d’un soutien de circonstance professé par une élite qui cherche à préserver ses acquis, à s’incruster dans le système ou à se positionner. N’a-t-on pas vu il y a trente ans des signataires des motions de soutien se retrouver parmi les meneurs du coup d’Etat avorté d’avril 1984 ? Ce n’est pas par hasard non plus que seuls des cadres de l’ancienne grande province du Centre-Sud et de l’Est qui ont l’essentiel du pouvoir entre leurs mains. Il se trouve par ailleurs que des cinq qui sont au cœur du système, quatre sont de la région du chef de l’Etat dont son fils, bien que discret. Les voisins, originaires de la région du Centre, sont aussi les plus nombreux parmi les victimes de l’opération dite Epervier. C’est aussi parmi eux que l’on dénombre de plus en plus de morts. Ceci n’est pas sans rappeler les tragiques évènements de 1984 dont la responsabilité a été essentiellement portée par les ressortissants de l’ancien grand Nord. « Les paradoxes du pays organisateur », œuvre du regretté Charles Ateba Eyéné est venu confirmer le décalage entre la classe dirigeante et la base.
Au delà de tout ce qui précède, le Cameroun demeure un pays admirable. Les Camerounais aussi et surtout. Et pour cause, malgré des frustrations qui font le quotidien de cette immense majorité qui subit la loi d’airain de la minorité au pouvoir, ce n’est pas souvent que le ras-le-bol va jusqu’à l’irréparable. Les Camerounais savent jusqu’où s’arrêter. Ce n’est pas tellement par peur de la force brutale de l’Etat. Ne connaît-on pas ici des entreprises privées où les employés passent des mois, des années sans salaire ? Le cas le plus récent est celui du personnel de l’hôpital protestant de Bonabéri. On dirait que chaque Camerounais sait se munir de quelques flèches supplémentaires pour pouvoir tenir dans ces moments de soudure. Il n’en demeure pas moins que ce sont ces attitudes- là qui anéantissent la lutte contre la corruption. Encore que sur ce fléau précis, c’est ceux-là qui bénéficient le plus de ce système inique qui sont les plus corrompus parce que tout pour eux rien pour les autres. Ainsi, ont-ils les moyens d’étaler leur opulence et leur omnipotence sur les autres pauvres hères qui ont du mal à survivre. Les Camerounais ne veulent pas d’une égalité parfaite. Ils ne souhaitent qu’une répartition équitable de la richesse nationale : avec une possibilité pour tous d’envoyer leurs enfants à l’école, de se soigner, une meilleure application de la justice sociale, de la justice tout court.
Jacques DOO BELL
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/ 20 Mai - De l’unité à l’intégration nationale: utopie ? par Jacques DOO BELL
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