En effet, ce que les conflits irakien, libyen, malien, centrafricain, ukrainien et syrien présentent au monde comme identité remarquable est un vote qui passe de son statut d’instrument sanctionnant en aval un processus politique, à un statut de « fétiche » qui essaie de sortir des conflits profonds de sociétés non en les résolvant politiquement, mais en les enrobant d’une fausse onction populaire dont le rôle est de sanctuariser et de sanctifier un conflit qui, en lui-même, reste intact dans sa dynamique et ses arguments antagoniques de fond
Quoiqu’il soit depuis toujours un indice du régime démocratique moderne, le vote reste un simple instrument pas automatiquement assimilable à la démocratie à moins qu’on ne réduise celle-ci à un électoralisme. Le vote, lorsqu’il est libre et transparent, est une procédure de choix qui entérine les orientations politiques majoritaires et minoritaires d’une société sachant que les acteurs majoritaires et les acteurs minoritaires par rapport à un thème sont déjà en phase au minimum sur un sous-bassement institutionnel, idéologique et politique de l’état du monde qui les concerne. A titre d’exemple, les populations d’un Etat votent sur un référendum quelconque si elles sont déjà d’accord sur le dispositif du vote et de vivre au sein de cet Etat sous une forme ou sous une autre. En conséquence, le vote en tant qu’instrument devrait toujours se situer en aval d’un processus politique dont il est la sanction comme choix rationnel des citoyens. Il est une condition nécessaire mais non suffisante à la qualification d’un régime de démocratique. La gestion des conflits politiques contemporains à travers le monde ne pas dans ce sens.
En effet, ce que les conflits irakien, libyen, malien, centrafricain, ukrainien et syrien présentent au monde comme identité remarquable est un vote qui passe de son statut d’instrument sanctionnant en aval un processus politique, à un statut de « fétiche » qui essaie de sortir des conflits profonds de sociétés non en les résolvant politiquement mais en les enrobant d’une onction populaire dont le rôle est de sanctuariser et de sanctifier un conflit qui, en lui-même, reste intact dans sa dynamique et ses arguments antagoniques de fond. Le vote n’est plus ce qui permet à des hommes libres de choisir une orientation soutenue par un accord tacite sur le fond des choses entre tous les citoyens, mais une bénédiction urbi et orbi censée effacer les conflits sociétaux. Il nous semble que cela soit à la fois un détournement du rôle de la procédure de choix qu’est le vote et un appauvrissement du processus politique au sens où le « a voté » qui auréole un processus politique bâclé n’a par la suite aucun effet positif de long terme sur la stabilité de la société en question et les Droits de l’Homme.
Etant donné que le choix de voter pour sortir des conflits sociétaux graves intervient de nos jours très souvent après une guerre ou pendant celle-ci, nous pouvons émettre deux hypothèses sur la nouvelle frontière politique du vote.
La première hypothèse revient à postuler que ceux qui font la guerre considèrent celle-ci comme un processus politique à part entière en se situant dans la même veine analytique que Von Clausewitz pour qui la guerre est « la continuation de la politique par d’autres moyens » et de Michel Foucault qui considère que « la politique, c’est la guerre continuée par d’autres moyens ». La situation de l’Irak où le sang coule toujours à flot après une guerre sanctionnée par un vote et une élection présidentielle ou encore celle du Mali où les attaques terroristes meurtrières restent d’actualité à Kidal après une guerre et un vote pour élire un nouveau président, sont des cas de figures qui prouvent que la guerre comme « continuation de la politique par d’autres moyens » et « la politique comme guerre continuée par d’autres moyens » sont des processus qui ne peuvent en aucun cas se défaire de l’instauration de la loi du plus fort et de la résistance immédiate à celle-ci. De même, les élections qui se préparent en Centrafrique où la chair humaine devient un repas prisé, en Lybie où les milices armées font la pluie et le beau temps, en Syrie où passer de vie à trépas est un sport quotidien et en Ukraine où la scission est l’horizon politique indépassable de Moscou, ne peuvent en aucun cas permettre la sortie des conflits de fond : dans tous ces conflits, le vote prêche la démocratie mais construit et entérine la loi du plus fort qu’aura au préalable installée la guerre au sens de processus politique via le schème du ring et du pugilat.
D’où une seconde hypothèse qui consiste à considérer le vote comme un instrument politique pour réduire tant les coûts économiques de transaction des négociations en situation de conflit que pour annuler les coûts économiques fixes d’une guerre qui s’enlise. Dans ce cadre, c’est le pouvoir économique très souvent positivement corrélé au pouvoir militaire qui triomphe. Dans la mesure où sortir d’un conflit exige des négociations économiquement longues et très coûteuses, les acteurs qui ont le rapport de force le plus favorable semblent très souvent pencher pour un vote militarisé comme en Ukraine ou en Syrie, question de réduire les coûts des transactions inévitables inhérents aux négociations entre deux parties qui se regardent en chiens de faïence. Par ailleurs, lorsque la guerre est déjà engagée comme en Irak, en Syrie, au Mali, en Centrafrique ou en Afghanistan, les acteurs dominants choisissent aussi très souvent le vote comme un moyen de réduire les coûts fixes (morts, frais de fonctionnement des armées, opinions défavorables) qu’induit au quotidien un conflit qui s’enlise notamment dans le cas des guerres asymétriques. Le vote permet dans ce cas de fixer un calendrier d’amortissement des coûts fixes grâce l’enclenchement d’un processus de retrait de ses troupes.
Nous assistons donc à une transformation radicale du rôle et de la fonction du vote dans les conflictualités contemporaines qui rythment nos vies. Le vote ne protège pas toujours les droits de l’homme car il est moins émancipateur que conservateur des idéologies et de distributions de pouvoirs dominantes. D’où la construction d’un lien étroit et inquiétant entre vote et dictatures à la fois politiques, économiques et idéologiques tant au Nord qu’au Sud. Cette dynamique est loin de s’arrêter car les Nations-Unies ont désormais comme indicateur de classement démocratique des pays, leur capacité à organiser un scrutin dans les normes de transparence. Ce que peut parfaitement faire une dictature ou alors un camp en situation de force dans un conflit armé. La Syrie va voter son président alors que le bain de sang continue. C’est un cas d’école illustratif de cette nouvelle frontière politique du vote comme instrument déconnecté du respect des Droits de l’Homme. Autrement dit, voter devient un Droit de l’Homme tronqué pour se donner le droit de marcher sur les Droit de l’Homme. Nous devons donc méditer : Ne faisons-nous pas du vote un fétiche des dictatures de tout ordre lorsque nous enjambons les cadavres pour aller voter ? Que veut dire voter lorsqu’on le fait alors que les balles sifflent à l’extérieur de l’isoloir sécurisé et emportent des vies ?
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