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20 Mai 2014: Pour un rapatriement de l’âme de notre unité nationale

Il est arrivé plusieurs fois déjà, chez nous comme ailleurs, que l’on me pose la question suivante : « Tu es Camerounais, qu’est-ce que cela signifie pour toi ? ». Ma réponse a toujours été la même jusqu’à maintenant, et rien n’indique que je vais la changer à l’occasion de cette 42ème célébration de la Fête nationale de l’Unité « Etre Camerounais ne signifie pas encore grand-chose pour moi, fondamentalement ». Tant et aussi longtemps que nous autres, à qui la nationalité en question a été historiquement et politiquement attribuée par des Européens au 19ème siècle, nous n’aurons pas trouvé en vérité des réponses endogènes et consensuelles à ces questions vitales que j’ai entendu le Président de la République en fonction formuler il y a une trentaine d’années : « Pourquoi sommes-nous Camerounais ? Qu’est-ce qui nous rend fiers de l’être ? Quel Cameroun voulons-nous pour nos enfants ? » D’autres questions de fond et semblables à celles-là peuvent s’ajouter, et il est tout aussi curieux et dommage qu’aucune démarche systématique et commune de réflexion n’ait été encore initiée, ne fût-ce que par les biyaïstes les plus convaincus, les plus avisés ou les plus activistes. 


Il n’empêche, cependant, que je puisse remarquer qu’une partie non négligeable des congénères des Lions dits Indomptables a assimilé l’idée répandue selon laquelle l’identité du Cameroun, socle de son unité, renferme deux principaux noyaux constitutifs : d’une part la culture « francophone » plus répandue dans huit régions (Adamaoua, Centre, Est, Extrême-nord, Littoral, Nord, Ouest, Sud ) ; d’autre part, la culture « anglophone », davantage présente dans les deux autres régions (Nord-ouest et Sud-ouest). 

Il se trouve qu’au regard des résultats concrets des actes politico-administratifs consacrant la Réunification du 1er octobre 1961 et l’Unification du 20 mai 1972, nombre d’anglophones se sentent aujourd’hui floués et lésés, au bout du compte ; on pense être encore très loin de la civilisation nationale unitaire espérée. Christian Cardinal Tumi écrit précisément dans son livre Ma foi : un Cameroun à remettre à neuf : « Le pouvoir d'inaugurer une politique, de façonner le cours des évènements en matière politique, économique, sociale et culturelle reste, en fait, entièrement entre les mains des Camerounais de culture française[…]Le Cameroun anglophone, à la table de conférence , ne peut parler avec la même autorité et dignité que le Cameroun francophone, très influencé par la forte présence[ …] de la France ».(Douala, Editions Véritas , 2011, pp31-32). 

Le Sénateur Victor E. Mukete, qui vient de faire paraitre Mon Odyssée. Histoire de la Réunification du Cameroun, est quant à lui de cet avis « Ce que les dirigeants de ce beau pays béni, qui est un don de Dieu, devraient faire c’est de mener une réflexion profonde au sujet de ce dont on a besoin pour éliminer le soupçon mutuel » ((Limbe,Presprint Plc. 2013, P.537). D’autres personnes ont également exprimé, de manières diverses, des points de vue similaires lors des activités liées à la célébration, indûment tardive, du Cinquantenaire de la Réunification, en février 2014. 

Sans nier le fait que l’impératif de notre unité nationale doive passer immanquablement par une meilleure gestion de l’héritage franco-britannique, auquel s’ajoute d’ailleurs celui des Portugais, des Hollandais et des Allemands, je privilégie davantage, aujourd’hui, la logique pour ainsi dire d’une introversion décisive et intelligente. De mon point de vue, c’est aussi et surtout, en ces temps de bataille mondiale rangée et opportune des industries culturelles, le dynamisme vital de nos cultures locales respectives qui devrait constituer le laboratoire de notre identité et de notre unité politique. Nous avons encore à appréhender nous-mêmes puis à nous approprier les fondements profonds de notre existence commune. Celle-ci ne devra plus alors se définir et s’actualiser en référence, comme encore c’est le cas, au vernis des cultures française et britannique. Ces dernières, malgré leur impact quelquefois positif, ne peuvent pas nous prendre en otage et séparer ontologiquement, à l’aune d’une histoire politique qui n’a commencé qu’en 1884, des peuples tout à la fois singuliers et proches depuis des siècles auparavant. 

En général, les chantres d’une camerounité essentiellement francophone et/ou anglophone embouchent officiellement la trompette pour défendre en réalité des intérêts immédiats et personnels de positionnement sur l’échiquier politico-administratif national. En privé et partout, dans les villes et villages, de jour comme de nuit, c’est surtout une autre perspective, mieux sentie, qui émerge. Il s’agit bien de celle du vivre ensemble qu’impose le contact quotidien entre des personnes issues des différentes aires culturelles ambiantes identifiées : fang-beti-bulu, grassfields, sawa-mbog liaa et soudano-sahélienne. . Il ne suffit pas, du reste, d’exhiber cette diversité de manière folklorique. Nous nous devons de faire de ses éléments transversaux l’âme même de l’unité nationale ; mieux, l’âme même d’un développement tous azimuts. 

Ce n’est malheureusement pas sur un tel chemin, il faut le dire, que nous engage le bien nommé Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi (Dsce) auquel tendent à se référer actuellement toutes nos administrations publiques. La Vision Prospective qu’il nous propose pour l’horizon 2035 s’y décline à travers une formule synthétique qui dévoile les priorités du moment dans un ordre décroissant. Ce dernier fait de l’unité nationale désirée non pas la fondation de l’édifice national mais plutôt un idéal à la remorque de préoccupations économico-politiques : « Le Cameroun : un pays émergent, démocratique et uni dans sa diversité » (n°130). Sans compter le fait que, s’agissant précisément de l’unité évoquée, la brève allusion aux « valeurs locales » africaines qui devraient légitimement et abondamment s’y attacher se trouve ici, comme naturellement, noyée dans un océan énumératif de valeurs que d’autres peuples mondialisent à grands frais et à leur profit. Je continue de soutenir que nombre de ces valeurs marquent inutilement et de manière corrosive, entre autres symboles, les paroles de notre hymne national. Celui là même qui sera encore solennellement chanté dans la cacophonie, lors de la prochaine célébration de la Fête de l’Unité, simultanément mais différemment par des francophones et des anglophones, à l’exclusion de ceux qui ne pourraient exécuter notre chant patriotique que dans nos langues locales. Ce sont pourtant ces langues, ainsi que la culture qu’elles expriment, qui peuvent nous dévoiler le supplément d’âme profonde dont nous avons tant besoin pour construire solidement aujourd’hui et vivre en vérité l’unité nationale : un certain humanisme sacré. 

Par Nug Bissohong Thomas Théophile
Enseignant-chercheur à l’Université d’Etat de Douala
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